Dans le cadre du programme Protege, des observatoires des pêches ont été mis en place dans le Pacifique, en particulier à Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie. Ils répondent à un besoin qui se faisait ressentir depuis déjà plusieurs années en fournissant des données sur les ressources et les pratiques de ces deux territoires.

«Avant la création de l’observatoire des pêches, il y a environ deux ans, il y avait très peu de connaissances sur l’état de la pêche et des ressources à Wallis-et-Futuna », explique Baptiste Jaugeon. Il est animateur sur le thème pêche et aquaculture du programme européen Protege au sein du service de la pêche de la Direction des services de l’agriculture de la forêt et de la pêche, à Wallis et Futuna. L’objectif de cet observatoire est d’apporter des connaissances pour alimenter les stratégies de gestion des ressources. Pour cela, il a tout d’abord fallu collecter des données. « Nous avions déjà une belle série temporelle grâce aux fiches de pêches, remises par les professionnels en échange de l’aide au carburant, débutée en 2006. » Et lorsqu’une enquête sur le budget des familles est menée par le bureau des statistiques sur plus de 1000 ménages wallisiens et futuniens, l’Observatoire en profite pour y inclure un questionnaire sur la pêche. La dernière enquête sur le sujet datant de 2005, les indicateurs (production de poissons, nombre de pêcheurs, nombre de bateaux etc.) ont donc pu être actualisés et comparés.

Moins de pêcheurs, moins de poissons pêchés

« En 2005, à Wallis, 35 % de la population pêchait régulièrement pour subvenir à ses besoins alors qu’aujourd’hui ils ne sont plus que 9 %. On observe également une diminution du nombre de pêcheurs au Futuna (35 % contre 51 % auparavant) », décrit Baptiste Jaugeon, qui a publié ces analyses dans le rapport annuel 2021. Cette diminution du nombre de pêcheurs a influencé la production. « Ainsi, de 1000 tonnes de poissons pêchées chaque année pour les deux îles, nous sommes descendus à 300 tonnes. » L’animateur explique ces résultats par les changements de consommation des ménages : « Aujourd’hui, les gens consomment plus de produits importés et transformés et mangent moins de produits locaux, ce qui est également la cause de nombreux problèmes de santé ». Cette baisse de production s’explique aussi par une démographie décroissante (le territoire a perdu 22 % de sa population entre 2003 et 2018).

Moins de loches et de perroquets

« La baisse de production s’associe à une diminution de la pression de pêche, ce qui est plutôt bon signe pour la ressource côtière », ajoute-t-il. Cependant, les stocks de poissons ne se portent pas au mieux à Wallis-et-Futuna. Depuis début 2020, l’observatoire mesure et pèse les poissons au retour des pêcheurs, ce qui permet d’évaluer ces stocks. Il est estimé à près de la moitié le nombre d’espèces surexploitées, sur les 17 étudiées. « Ce n’est ni trop mauvais ni trop bon. Ce résultat confirme les ressentis des pêcheurs. Cela dépend des espèces ciblées, nuance Baptiste Jaugeon. Nous savons qu’il y a, en particulier, une diminution des populations de loches et de perroquets. » Il suppose qu’un pic d’exploitation des ressources a dû avoir lieu aux débuts des années 2000. « La population était plus importante et il y avait de la surpêche avec des pratiques de type dynamite ou grands filets. » Mais, même si celles-ci ne sont plus exercées, d’autres pratiques persistent.

Une nouvelle réglementation en réflexion

L’animateur de l’observatoire pointe en particulier du doigt la chasse sous-marine nocturne, encore très pratiquée à Wallis. « Le souci ce ne sont pas les ménages, souvent avec peu de moyens, qui pêchent de nuit devant chez eux pour avoir un peu de poissons pour se nourrir. Tant que les prises restent modestes. Mais certains pêcheurs non licenciés vont chasser de nuit et commercialiser leurs poissons », déplore-t-il. Or, la réglementation, datant de 1994 et mise à jour en 2005, interdit pourtant la chasse sous-marine nocturne. « C’est interdit, car les perroquets et d’autres poissons herbivores dorment, il suffit donc d’aller les cueillir. Le milieu est vite surexploité, explique-t-il. La réglementation est méconnue des pêcheurs, ou vue comme venant de l’extérieur, sans qu’il y ait eu de concertation préalable, et n’est pas appliquée. » Les pêcheurs professionnels licenciés sont pourtant en demande d’une réglementation pour contrôler la pêche nocturne. « Mais ils ne veulent pas que ce soit la gendarmerie qui s’en occupe. La coutume souhaite se réapproprier l’espace maritime et s’occuper de sa gestion. » Aujourd’hui, un débat s’ouvre sur le statut de cet espace maritime et sur une nouvelle réglementation à mettre en place. Baptiste Jaugeon précise : « Il ne faut cependant pas oublier que l’observatoire est indépendant, il collecte de la donnée, l’analyse et la restitue, nous ne faisons pas de recommandations sur la gestion. »

Qu’est-ce que le programme “Protege” ?

Financé essentiellement par l’enveloppe régionale du 11e Fonds européen de développement (FED), Protege, pour Projet régional océanien des territoires pour la gestion durable des écosystèmes, est « une initiative qui vise à promouvoir un développement économique durable et résilient face au changement climatique en s’appuyant sur la biodiversité et les ressources naturelles renouvelables ». Il englobe plusieurs actions sur les thèmes agriculture et foresterie, pêche côtière et aquaculture, eau et espèces envahissantes. Démarré en 2018, ce projet de coopération régionale a été mis en œuvre en Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna et les Iles Pitcairn pour une durée de quatre ans.

 

Nouvelle-Calédonie, un observatoire très attendu

«Depuis une dizaine d’années, le besoin d’un observatoire des pêches en Nouvelle-Calédonie se faisait sentir », assène Liliane Fabry, la coordinatrice de l’observatoire des pêches côtières de l’archipel voisin de Wallis-et-Futuna.
La Nouvelle-Calédonie est composée de trois Provinces, qui gèrent chacune leur domaine maritime, « ne serait-ce que pour avoir des données pays, la création de cet observatoire est justifiée », ajoute-t-elle. Mis en place en 2020, il fournit ainsi au gouvernement des données pays. « C’est sa première mission mais, on s’est vite rendu compte qu’il y avait des besoins bien plus nombreux. Il y avait un trou béant ces dix dernières années en termes d’acquisitions de connaissances. On s’est engouffré dans cette brèche, pour combler les lacunes. »

Un manque de données important

Tout comme à Wallis-et-Futuna, l’observatoire mesure et pèse les espèces commerciales, débarquées sur le marché de Moselle, à Nouméa, où transite une grande partie des poissons consommés sur le territoire. Cela leur donne une représentation du stock pêché par espèce et par zone. Jean-François Laplante, animateur de l’observatoire des pêches, précise : « En parallèle, depuis un an, nous déterminons la taille à maturité sexuelle d’espèces peu connues, afin de déterminer le pourcentage d’individus pêchés matures ou juvéniles, ce qui permettra d’évaluer le niveau d’exploitation de l’espèce. » Pour un certain nombre d’entre elles, ces données n’étaient pas disponibles en Nouvelle-Calédonie. La coordinatrice enchaîne : « Pour mettre en place des mesures de gestion, des outils pour encadrer la pêche ou interdire la pêcherie d’une espèce, il est nécessaire d’avoir des données chiffrées. Mais aujourd’hui elles sont quasiment inexistantes ». Malgré les premiers résultats publiés par l’observatoire, aucune conclusion ne peut être tirée de ces chiffres. « Est-ce que ce qu’on mesure est représentatif de la réalité ? questionne l’animateur. Nous avons encore besoin d’un recul de quelques années, et d’échantillonner davantage pour conforter nos résultats. »

Des quotas pour l’export d’holothuries

En attendant, le but est d’amener des discussions entre les différents acteurs. « L’observatoire est une sorte de guichet unique, dit Liliane Fabry. Il met les pêcheurs, les Provinces, le gouvernement autour de la table. Avant sa création il était difficile de trouver un lieu où faire converger les besoins et attentes et produire des choses utiles à tout le monde. » Un des autres objectifs de l’observatoire est de lancer des projets spécifiques afin d’appuyer les mesures de gestion à mettre en place. L’un d’entre eux s’est notamment intéressé aux holothuries (qui représentent 30 % des captures et qui sont destinées uniquement à l’exportation). Cette étude a permis l’évaluation des stocks des douze espèces commercialisées grâce aux données issues des professionnels et des échantillonnages effectués via l’observatoire. « On peut dire qu’ils sont encore exploitables mais globalement les indicateurs sont à la baisse. Les stocks diminuent », résume Jean-François Laplante. Il y a deux ans, des quotas avaient été imposés pour les deux espèces les plus lucratives, via une convention internationale. « Ce fut la portée d’entrée pour créer un groupe de travail autour de cette problématique avec l’objectif d’anticiper les mesures de gestion et d’éviter qu’elles viennent de l’extérieur. » L’observatoire a alors recommandé la mise en place de quota pour l’ensemble des espèces commerciales « avec une mise en application, on l’espère, en 2023 ».
Un bon accueil auprès des pêcheurs
Un suivi avec une douzaine de pêcheurs professionnels de crabes a également été mis en place depuis quelques mois. A la fin de l’année, ils espèrent avoir des informations « pour alimenter le plan de gestion crabes de demain ». Liliane Fabry conseille : « Il faut comprendre pour mieux gérer et il y encore beaucoup à apprendre et collecter. C’est un travail de longue haleine. Mais, les mesures de gestion ne sont pas une fin en soi. » Son collègue conclut : « Les pécheurs ont relativement bien accueilli l’observatoire. Ce qui les a rassurés, c’est notre présence sur le long terme. Être sur le terrain nous permet d’échanger avec eux, de comprendre leurs réalités et leurs besoins. Ce qui ressort c’est qu’ils ressentent tous la pression actuelle sur la ressource, surtout près de Nouméa, elle arrive à un niveau proche de la capacité de tolérance du milieu. »
Texte de Sylvie Nadin

Photo Bastien Preuss