Connaissiez-vous la ville de Cayenne avant de réaliser le projet du musée ? Quelles ont été vos surprises ?

Nous avons découvert la Guyane grâce à ce projet. Au moment du concours, il y a déjà 3 ans, nous avons séjourné une semaine avec l’équipe de Maîtrise d’œuvre pour nous imprégner et mieux appréhender les enjeux du projet de la future Maison des cultures et des mémoires de la Guyane. Nous avons la chance d’avoir un ami botaniste qui vit à Cayenne depuis de nombreuses années qui nous a “ initiés ” à la Guyane.
Il nous a permis d’entrevoir une partie des richesses de la Guyane : la diversité de la faune et de la flore, mais également la variété des cultures et des communautés qui cohabitent.
Nous avons été surpris de voir à quel point la forêt et son climat particulier influent sur la vie des gens et, nécessairement, sur les constructions.
Se protéger du soleil, de la pluie et réussir à ventiler le mieux possible est fondamental. Cela explique la forte présence des toitures dans le paysage et dans les constructions traditionnelles. Le Carbet représente cet archétype architectural.

Au regard des grandes villes pour lesquelles vous avez travaillé, quelles sont les caractéristiques de Cayenne ? Ce musée pourrait-il à lui seul rénover l’image du centre-ville ?

L’hôpital Jean-Martial jouit d’une position clef dans la ville. Il est à la fois ouvert sur la plus grande place de la ville et est installé en bordure du littoral. On peut imaginer que l’évolution du projet, notamment par l’acquisition des derniers terrains militaires situés au nord du site, puisse encore améliorer ce que le projet propose : la mise en relation de la ville avec la mer et la mangrove.
D’ores et déjà, cette relation est mise en place grâce au café-restaurant situé à l’extrême Nord du site, face à l’anse de l’hôpital. Depuis les coursives du musée, on embrassera du regard à la fois l’océan, la mer et les toits de la ville.
Il existe de nombreuses communautés qui vivent en Guyane. Elles se côtoient, et se respectent sans doute, mais ne se connaissent pas forcément. Nous espérons que ce projet puisse offrir un lieu ouvert, neutre, où les différents groupes puissent s’y sentir représentés et leurs richesses mises en valeur : richesse de langue, de savoir-faire, de mode de vie. À l’heure de la mondialisation et de l’homogénéisation des cultures, il est fondamental que les jeunes générations puissent comprendre leurs racines, et ne pas perdre de vue d’où ils viennent. Donc oui, ce musée va rénover l’image du centre-ville, et il va aller bien au-delà : il va contribuer à ouvrir la ville sur son propre paysage social, urbain, et maritime.

Quelles sont pour vous les plus grandes difficultés pour réussir ce geste architectural ?

Les constructions seront exposées de manière très différente aux intempéries par rapport à nos habitudes en métropole. L’éloignement avec certaines filières d’approvisionnement, représente également une complexité que nous allons devoir surmonter. Ainsi la forme, les matériaux, les modes d’assemblage, la logistique de chantier, la maintenance future, sont source de nombreuses questions que nous devons traiter.
Outre ces problématiques liées au climat et à l’éloignement, une part de la complexité du projet réside dans l’attitude à adopter vis-à-vis du patrimoine. Notre intervention doit altérer le moins possible les constructions historiques. Toutefois, nous pensons que le patrimoine architectural doit être vivant et, par conséquent, il faut faire attention de ne pas tomber dans une doctrine conservatrice rigoriste qui aurait tendance à figer dans le temps ce qui a été réalisé par le passé. Les nouveaux usages et la créativité architecturale contemporaine doivent pleinement s’inscrire dans l’évolution de Jean Martial.
Ainsi, il ne faut pas hésiter, parfois, à remettre en cause certaines dispositions architecturales anciennes de manière à répondre aux usages contemporains et valoriser ainsi le lieu dans sa globalité.

Est-ce que vous aviez l’habitude d’intégrer des architectures anciennes dans vos créations ?

(Nicolas Moreau) Je suis particulièrement sensible à cette question, car j’ai été élevé par des parents qui sont architectes du patrimoine, formés à l’école de Chaillot et ancien Architecte des Bâtiments de France. Cette imprégnation familiale va même plus loin puisque mon frère fait également partie de l’équipe des architectes du patrimoine (JAB) avec qui nous sommes associés sur ce projet. Construire en prenant en compte l’ancien est pour moi une source d’inspiration et un réel plaisir.

(Hiroko Kusunoki) Mon point de vue est celui d’une Japonaise qui vit en France. Au Japon, nous avons une autre approche sur la question du patrimoine architectural. Nous pensons que la conservation passe par la transmission des savoir-faire ancestraux. Peut-être connaissez-vous les temples d’Isse. Isse Shrine est un haut lieu de l’architecture sacrée. Nous répétons la construction de ces temples sous forme de copie exacte, et cela tous les 20 ans. J’aime beaucoup cette idée de garder l’architecture vivante par cette opération de reconstruction. Il s’agit à chaque fois de revivre l’expérience et de sentir les mêmes émotions que nos ancêtres. Le nouveau temple vit sa vie pendant 20 ans, vieillit, se couvre de mousse. J’espère que le projet de la MCMG vivra aussi avec le temps, et vieillira avec les Guyanais.