Quels sont les axes principaux de recherche du CIC ?

Il s’agit de recherches épidémiologiques ; d’un côté nous travaillons sur les sciences sociales appliquées à des thématiques de santé, comme le VIH ou l’accès au soin ; d’un autre côté, nos thématiques sont plus médicales avec une forte connotation maladies infectieuses et tropicales. La Guyane est encore dans ce qu’on appelle la transition épidémiologique, ou la place des maladies infectieuses laisse progressivement la place aux problèmes cardio-vasculaires, au diabète, “les maladies de civilisation”. En Guyane, nous avons encore un peu des deux, les maladies infectieuses sont bien présentes avec le HPV, responsable des cancers de l’utérus en Guyane, le paludisme, ou encore l’histoplasmose. Les équipes de notre laboratoire travaillent aussi sur le VIH, sur la dengue, notamment pendant la grossesse, sur des maladies génétiques comme la maladie de Pompe.

Quelle est la spécificité du CIC de Guyane ?
Le nom complet est INSERM-CIC 1424, nous dépendons de l’INSERM à l’échelle nationale. Mais le labo est très spécifique, car il repose sur trois pieds, un en Martinique, un en Guadeloupe et un plus important ici en en Guyane. Les CIC ont été créés en France comme des plates-formes de haut niveau, le point de convergence de différents laboratoires de recherche, de l’industrie pharmaceutique, de start-up, le questionnement scientifique vient donc souvent de l’extérieur. En Guyane à l’inverse, les projets de recherche sont souvent initiés et réalisés par le CIC lui-même. Nous nous posons les questions, nous tentons d’y répondre, c’est un fonctionnement très intéressant, avec une approche santé globale. Nous développons des pistes de travail très locales, quitte à nous détacher un peu du format national, mais en gardant l’exigence INSERM. Cela permet de faire des publications scientifiques, en bonne quantité. Nous sommes un des hôpitaux généraux qui publient le plus, au regard du faible nombre d’hospitaliers universitaires.

Comment se passent la recherche médicale et la coopération régionale ?
Lorsqu’on se retrouve dans de grandes réunions, il est parfois difficile de faire du lien avec les équipes étrangères, c’est un peu impersonnel. En revanche, en travaillant concrètement en petit groupe avec les équipes sur place, on peut faire des choses. C’est ce qu’on essaie de faire. Au Suriname, ils ont monté un centre de recherche clinique à l’image du CIC et je suis allé faire une formation pour eux sur l’analyse des données. Avec les données d’hépatite C, une maladie qui constitue un vrai problème chez eux, nous avons relevé une prévalence importante chez les hommes d’origine javanaise d’une quarantaine d’années. Ils étaient enthousiastes ! C’est un centre jeune qui accumule des données, c’est très encourageant. Ce qui est important, c’est de trouver des thématiques de recherches communes pour travailler à l’avenir avec ces pays, comme nous l’avons fait avec l’Amapa sur le VIH.

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos recherches sur l’histoplasmose ?
Chaque année, il y a minimum 7000 morts par an à cause de l’histoplasmose (cf article précédent), chez les personnes infectées par le VIH en Amérique du Sud. Pour des raisons de confusion, notamment avec la tuberculose, ou de méconnaissance, cette maladie n’est souvent pas détectée, et du coup pas traitée non plus. Notre objectif, c’est que d’ici 2020, tout le continent soit équipé d’outils de dépistage rapide de cette maladie, car aujourd’hui les méthodes sont lourdes et onéreuses (biopsie, myelogramme, biologie moléculaire). Nous travaillons en collaboration avec le CDC d’Atlanta (Centre américain pour le contrôle et la prévention des maladies ) et avec des industriels qui préparent une bandelette urinaire qui pourrait tout révolutionner. Sur ces sujets, nous avons des projets coopération avec le Suriname, le Guyana, la Colombie, Trinidad, il y a aussi des thèses en cours.

Peut-on dire qu’il y a un manque de reconnaissance de la recherche médicale guyanaise ?

Le problème vient de la faible masse critique de la recherche médicale en Guyane et de son manque de lisibilité. Ce mille-feuille d’institut de recherche n’est pas très compréhensible depuis l’extérieur. Ce que j’aimerai, c’est qu’on arrive à rassembler tous ces organismes autour d’une unique structure, équipée d’une biobanque (un centre de ressource biologique en réseau) pour qu’on puisse dire, à la fin d’une année, en Guyane, en recherche en santé tropicale, il y a eu tant de financements, tant de doctorants, tant de publications scientifiques. J’ai réalisé une présentation du projet pour I-Site, un appel à projet porté par l’ANR (Agence nationale de la recherche) devant un jury international, et on nous a rétorqué : « Quel le tissu industriel de la Guyane ? Avez-vous des prix Nobels ? Combien de médailles Fields ? ». (sourire) Nous devons être en mesure de présenter toutes les équipes de Guyane, que ce soit l’IRD, le CNRS, le CIC, l’Institut Pasteur, le service santé des armées, etc.. dans une entité globale pour gagner en crédibilité devant ce genre d’instance. Notre identité de recherche, nos particularités pourraient alors être reconnues. Cela favoriserait l’attractivité de l’université de Guyane et de l’hôpital de Cayenne. Si nous voulons des professeurs pour la nouvelle université de Guyane et un CHU un jour, il faut de la recherche !