Interview de Fréderic Melki, photographe subaquatique, directeur général de Biotope
Propos recueillis par Une saison en Guyane*

Frederic Melki, vous photographiez in situ la faune des criques de Guyane. Comment est née cette expérience photographique ?

La passion de la nature est un phénomène inexplicable qui vous prend au berceau : on préfère regarder les grenouilles plutôt que les voitures, élever des poissons plutôt que collectionner des petits soldats. L’envie de montrer ces spectacles que si peu de personnes prennent la peine d’observer, ainsi qu’une sensibilité artistique, m’ont amené naturellement à photographier la nature. Parallèlement, mon premier voyage en Guyane, dans les années 90, m’a conduit à Twenké, sur le Haut Maroni où j’ai pu réaliser mes premières découvertes de la diversité des poissons guyanais. A chacun de mes voyages ultérieurs j’ai approfondi la connaissance des poissons, devenant progressivement un spécialiste du sujet. C’est donc tout naturellement que j’ai relié deux de mes passions en photographiant les poissons de Guyane dans leur milieu naturel.

L’ichtyofaune des criques de Guyane semble assez méconnue des naturalistes et surtout du grand public. Quelle part de biodiversité reste il à découvrir dans ce domaine ? La photo est-elle le moyen de sensibiliser la population à cet univers ?

J’ai toujours été étonné de voir que les gens connaissaient mieux la faune des récifs coralliens que celle des rivières qui coulent devant chez eux ! Pourtant, la première fois que l’on regarde dans une crique, on est aussi surpris qu’émerveillé : étrangeté des ambiances, forêts inondées, entrelacs d’arbres et de branches, myriades de poissons surprenants ou colorés composent un tableau réellement envoûtant.
Malgré l’extraordinaire travail scientifique réalisé par les ichtyologues, beaucoup reste à découvrir, en particulier en allant dans des zones non prospectées mais aussi en modifiant les méthodes d’investigation. On peut dire que chaque mission réalisée en Guyane apporte son lot de découvertes scientifiques.
L’approche sensible, apportée par la photographie, est essentielle à la prise de conscience de la beauté et de la fragilité de ces mondes méconnus. L’absence d’images est ce qui a le plus nuit à la conservation des poissons en général. Il est tout de même incroyable de noter que les poissons sont le seul groupe de vertébrés à ne compter aucune espèce protégée en France ! J’attribue cela à la difficulté d’accès au milieu de vie des poissons et donc au désintérêt des naturalistes pour ces animaux qu’ils ne connaissent pas.

Comment la photo subaquatique peut-elle contribuer à améliorer la connaissance scientifique de la faune aquatique en Guyane ?

Jusqu’à présent, les investigations scientifiques sur les poissons se faisaient en utilisant des techniques de pêche au filet ou à la roténone. Les très petites espèces ou les poissons vivant sous les berges sont difficilement capturées par ces méthodes. L’observation en plongée, de jour comme de nuit, couplée à la photographie permet de recueillir, au-delà des images mêmes, une foule d’informations inédites sur l’écologie et sur la vie des poissons, voire sur la présence d’espèces jusque-là inconnues. Par exemple, à la réserve Naturelle de la Trinité, j’ai pu observer à deux reprises la reproduction des Coumarous. Le mâle et la femelle enfouissaient leurs œufs dans le sable au pied d’une cascade. Jusque-là les scientifiques pensaient qu’ils lâchaient leurs œufs en pleine eau. Ces connaissances sont essentielles pour pouvoir gérer correctement les sites naturels et protéger les frayères.

A première vue, les eaux noires des criques de Guyane ne semblent pas propice à la plongée et à la photo. Y a t il des criques très claires et pourquoi ? Quelles difficultés rencontrez-vous et quelles techniques utilisez-vous ?

Il existe beaucoup de criques en Guyane où les eaux sont très claires, en particulier dans l’intérieur. Cela est plus compliqué sur le littoral où l’influence des marées et les pluies limitent les créneaux utilisables. De façon générale, la grande difficulté vient des conditions très variables et du choix judicieux de la saison en fonction des sujets à photographier. Par exemple la saison des pluies est idéale pour les marais, pripris et prairies inondées, alors que le début de la saison sèche est bien meilleur pour les criques.
La photo subaquatique, et d’autant plus en forêt guyanaise, est bien plus difficile que la photo terrestre : poids du matériel, accès aux sites, très faible lumière, courant, transparence de l’eau, particules en suspension, enchevêtrement de branches sont des difficultés auxquelles il faut s’habituer. C’est la raison pour laquelle j’utilise un appareil réflex (D700) pouvant travailler en haute sensibilité. Je complète le cas échéant avec un flash. Le plus important pour réussir ses photos est la connaissance du milieu et des poissons et surtout une patience immense. Je passe couramment 4 à 5 heures d’affilée dans l’eau à chaque séance.