Les vies de Guizanbourg

Que reste-t-il de Guizanbourg ? Des briques, des ruines, de la boue ?
Pour le voyageur qui passe devant le site en pirogue, l’état actuel peut paraître bien désolé ; d’autant plus désolé si l’on s’imagine la grandeur d’antan de cette commune pressentie pour être la capitale industrielle de la Guyane durant la deuxième moitié du XIXe siècle. Mais s’arrêter à cette seule impression serait bien réducteur. Après le départ des derniers habitants dans les années 1980, le bourg aurait pu tomber dans l’oubli à tout jamais. Pourtant si Guizanbourg a disparu de la carte, il vibre toujours dans l’esprit de beaucoup. Tout d’abord, Guizanbourg est un miroir de l’histoire du territoire. L’écomusée municipal d’Approuague-Kaw installé dans le bourg de Régina -qui aura sept ans cette année- consacre une partie de son exposition permanente à la localité disparue en retraçant le parcours de l’ingénieur suisse ayant donné son nom à la localité. De plus, en 2014 le service langues et patrimoine de la région Guyane a initié une opération d’inventaire du patrimoine culturel en collaboration ave l’association Aïmara. La recherche historique en cours s’appuie sur les archives et sera enrichie par la collecte des mémoires orales auprès des personnes y ayant vécu une partie de leur vie (voir l’appel à Contribution en encart). Guizanbourg devient donc un objet de valorisation historique… indirecte.

Au-delà des faits avérés que l’on peut collecter à son sujet, Guizanbourg est aussi source d’inspiration. Le bourg est au cœur d’au moins deux créations littéraires. Dans le roman d’Alain Bossu La demoiselle de Guizanbourg  paru en 2010, le village est l’élément central. Le parcours de vie de deux femmes et d’un homme offre aux lecteurs une ballade agitée au fil de l’Approuague. De l’ingénieur Guisan aux aventures du centre spatial, le récit est rythmé par les sons du carnaval et les parties de dominos. Le portrait dressé de Guizanbourg entre désir et secret devient le cadre d’une épopée moderne où tout est possible à l’image de la Guyane toute entière.
Guizanbourg est aussi le lieu de vie de Fia Boloto, personnage de la pièce de théâtre éponyme d’Emmanuel Lucenay, mise en scène par Roger Vaïti et jouée au Zéphir à guichet fermé en mai 2011. Fia Boloto est un garçon d’une dizaine d’années dont le père orpailleur est souvent absent. Avec sa mère, ils sont victimes de divers maléfices si puissants qu’ils sont présentés comme la cause de la disparition du bourg. Si la pièce a pour décor Guizanbourg, l’auteur n’a pourtant pas de lien direct avec ce lieu. Cependant le village a nourri l’imaginaire d’Emmanuel Lucenay à double titre. Sa mémoire a conservé les bribes des histoires que son père lui narrait durant leurs têtes à tête réguliers sur les bancs des Amandiers. Puis, ces souvenirs ont trouvé une résonance particulière à l’écoute des témoignages d’habitants de Régina qu’Emmanuel Lucenay a recueillis lors de son travail universitaire sur le village de Saint-Esprit dans les années 1990 qui évoquaient Guizanbourg et les sorts associés.

Si Guizanbourg est terre de tous les mystères, elle est aussi terre de souvenirs où s’entremêlent mythe et réalité. Car Guizanbourg est au cœur des mémoires de ceux qui y ont vécu. Combien sont-ils encore vivants -sans oublier leurs descendants- qui ont un lien direct avec Guizanbourg pour y avoir vécu tout ou partie de leur vie ? Des familles entières aujourd’hui installées à Régina ou encore Cayenne ont pour mémoire commune le village du temps où la cloche de l’église sonnait encore. Le souvenir est si vif et si significatif que certains n’ont pas hésité à essayer de réinvestir les lieux en 2008 lors d’un mayouri organisé par l’association Zanmourette. Pour beaucoup être né à Guizanbourg est une fierté ou simplement une vérité à ne pas oublier. Tel un acte de revendication légitime sur leurs origines, des anciens habitants exigent que ce soit notifié sur leurs actes de naissance en dépit des logiques administratives, qui ont supprimé la localité au profit du projet de “ Régina ”. À travers ces démarches, le village devient alors un lieu de (re)construction collective. Sans plus aucune âme qui y vive depuis près de quarante ans, le bourg est devenu un espace de libres projections. Tour à tour objet de patrimoine, source d’inspiration ou outil de mémoire, les multiples vies de Guizanbourg n’ont pas fini de nous fasciner.

Une enfance à Guizanbourg
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