Il est l’architecte d’un organisme méconnu en Guyane, mais indispensable pour la coopération des Guyanes en matière de conservation. Patrick Chesney nous a invité à Georgetown et à Iwokrama, il nous explique la stratégie de son ONG…

GSF Logo (Portrait)Parlez-nous un peu de vous et comment êtes-vous arrivé à travailler pour Guiana Shield Facility ?

Mon nom est Patrick Chesney, je suis du Guyana, donc du plateau des Guyanes. J’ai commencé par étudier l’agriculture, puis l’agroforesterie. J’ai fait mes études en partie au Costa Rica et en Allemagne. J’ai travaillé pendant quinze ans comme chercheur pour le gouvernement canadien. De retour au Guyana, j’ai travaillé pour l’ONG C.I. (Conservation International) en tant que responsable de la politique de conservation et relation avec les donateurs et les projets. C’est en 2007 que je rejoins l’UNDP (United Nations Development Programme) en tant que gestionnaire du programme Guiana Shield Initiative. J’ai toujours été intéressé par la protection de la nature, c’est pour cela que je suis là !

 

Comment est né Guiana Shield Facility et quel est son fonctionnement ?

C’était il y a plus de 20 ans, lors d’une table ronde européenne sur l’avenir du plateau des Guyanes, que le programme Guiana Shield Initiative (GSI) est né. Sous l’impulsion du gouvernement néerlandais, des fonds ont été débloqués afin que l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) puisse mettre en œuvre un programme de conservation du plateau des Guyanes.
Concrètement, 20 recommandations pour la conservation de la région ont été établies sous le nom de “Déclaration de Paramaribo”. L’objectif : créer le dialogue entre les pays de cette région et les encadrer dans leurs actions afin de répondre aux questions environnementales et faire progresser les priorités de conservation.

 

Quels sont les pays qui participent à GSF et dans quelles mesures sont-ils impliqués ?

Des six pays qui composent le plateau des Guyanes (Guyane française, Suriname et Guyana, Brésil, Venezuela et la Colombie). Seul le Venezuela n’est pas impliqué dans l’action de notre organisation.

 

Peut-on considérer les actions de GSF comme du lobbying écologique ?

Nous faisons partie des Nations Unies, nous ne pouvons pas faire de lobbying ! Ce que nous faisons c’est influencer les pays pour les pousser à coopérer avec nous. Si nous avons besoin de preuves scientifiques, nous les obtenons directement auprès des chercheurs, et nous présentons les études aux décideurs pour qu’ils prennent les bonnes décisions. Sinon, nous utilisons l’arsenal diplomatique de l’UNDP qui possède une grande connaissance de la région et dont le professionnalisme nous permet d’atteindre plus facilement les gouvernements des pays du plateau des Guyanes.

Pouvons-nous avoir un regard rapide sur les différents programmes en cours ?

GSF soutient des programmes qui aident les pays à respecter leurs engagements actés dans la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Dans cette convention, le concept de REDD+ (Réduction des émissions dues à la déforestation et à la dégradation des forêts) en tant que moyen de réduction des émissions de carbone dans l’atmosphère a été adopté.
Nous soutenons donc des activités liées à REDD+ au Guyana et au Suriname.Dans l’état brésilien de l’Amapa, nous favorisons le dialogue entre l’État et les communautés indigènes, dépendantes des ressources forestières et soumises à des pressions. Nous avons, entre autres, un programme sur l’eau douce du plateau des Guyanes (WAVINGS), un workshop important a eu lieu à Cayenne à ce sujet en octobre 2008. C’est un enjeu extrêmement important pour la planète, dont les réserves déclinent rapidement. De l’eau douce, nous en avons en abondance dans la région, il faut la gérer ensemble !

 

Quelles sont les actions du GSF menées au centre d’Iwokrama (cf. article précédent) ?

Iwokrama est associé à GSF depuis 2007, le site a été identifié comme étant l’un des meilleurs pour tester les protocoles des indicateurs des trois ecosystem services : biodiversité, eau potable et stockage du carbone. L’idée est d’obtenir des compensations financières en contrepartie des services fournis par la forêt. d’Iwokrama. Nous travaillons aussi avec les communautés traditionnelles pour développer les approches de “partage des avantages”. Iwokrama reçoit des fonds pour les services de carbone forestier et des agents gèrent sur place le partage des bénéfices avec les communautés.

 

Parlez-nous de ce séminaire sur la biodiversité des corridors écologiques qui a eu lieu à Iwokrama ?

En mai 2014, nous avons organisé ce séminaire qui s’inscrit dans les objectifs de la Convention internationale sur la diversité biologique (CDB) qui rentre aussi dans notre champ d’action. Les six pays du plateau des Guyanes ont été invités à y participer pour dresser un bilan sur nos expériences sur les corridors écologiques du plateau des Guyanes, et s’inspirer de l’expérience internationale.

 

Pouvons-nous imaginer de manière réaliste que le plateau des Guyanes puisse partager, à l’avenir, un grand espace protégé?

Entre 2002 et 2011, nous avons observé une augmentation importante des aires protégées dans la région. Et selon notre analyse, 79 % du plateau des Guyanes est important en terme de conservation pour les écosystèmes et pour la biodiversité. Nous avons pour objectif, si nous avons les moyens, d’aider les pays à mettre en place des corridors écologiques transfrontaliers entre les aires protégées. Donc oui, c’est réaliste d’imaginer une grande aire protégée pour l’avenir, et c’est très souhaitable.

 

Est-ce que le Brésil est un pays clé pour atteindre les objectifs de GSF ?

Absolument. Le Brésil soutient la relation entre Guiana Shield Facility et le traité amazonien de coopération, un protocole d’entente entre les deux entités est d’ailleurs en cours de validation. Nous avons besoin de la coopération du Brésil pour résoudre les problèmes transfrontaliers néfastes pour l’environnement, comme le mouvement des mineurs et des garimpeiros dans les pays du plateau des Guyanes. Nous aimerions bénéficier des connaissances, de l’expérience, de l’équipement et de la solidité financière du Brésil pour atteindre nos objectifs à l’avenir.

Quel est le futur de Guiana Shield Facility ?

Je dirais que le futur est incertain. Aujourd’hui le projet est soutenu par l’Union européenne et le gouvernement néerlandais, mais le programme devra être renouvelé à la fin de l’année 2014. Nous faisons en sorte que les actions locales et nationales soient liées aux actions et obligations internationales, nous communiquons et multiplions les efforts pour récolter des fonds et poursuivre notre programme en 2015. L’utilité du programme a été démontrée, le fait qu’un organisme gère les affaires transfrontalières concernant la conservation est acquis.

 

Quels sont les donateurs potentiels pour le GSF?

L’Union européenne est notre principale donatrice. Nous avons également sollicité l’aide des gouvernements du plateau des Guyanes, les organisations telles que le Fonds amazone et le programme LifeWeb de la Convention de diversité biologique. Nous avons également un partenariat avec l’Académie chinoise de sciences dans l’optique d’un soutien pour GSF car la présence de la Chine sur le plateau des Guyanes est croissante. Nous n’avons pas de forts partenariats avec l’Amérique du Nord, mais peut-être allons-nous nous rapprocher du Canada, car beaucoup de compagnies minières canadiennes opèrent au Guyana et au Suriname. La nature de ces activités d’exploitation minière va de pair avec la destruction de la forêt, de la biodiversité et la pollution des eaux. Nous devons réfléchir à des mécanismes de responsabilité sociale pour ces entreprises.

 

Interview Pierre-Olivier Jay – Georgetown – Avril 2014
Traduction Daniela Norena