Les Hmong sont une de ces nombreuses communautés de Guyane, si présents sur nos marchés et dans les itinéraires touristiques de la Guyane.Pour autant, de nombreuses questions restent en suspens : l’intégration des Hmongs en Guyane, leur culture, leur histoire mais aussi la « modernisation », les inévitables bouleversements de leurs traditions. Qu’en pense un fils et petit-fils des premiers migrants ? Jacques Guéritault, de la famille LAU FAI NENG, vit entre Cayenne et Cacao, entre ses racines hmongs et françaises, et tente de nous éclaircir sur certaines de ces questions.

Pourquoi Les Hmongs sont-ils venus en Guyane ?

Pendant la guerre du Vietnam, les Hmongs ont participé d’une certaine façon au conflit en aidant les Américains. À la fin de cette guerre, les Américains ayant perdu, ils ont ramené une partie des Hmongs aux Etats-Unis, et la France a aussi été une terre d’accueil, puisque les Hmongs avaient aidé la France lors de la guerre d’Indochine. Au Laos, l’activité des Hmongs était d’élever le bétail et de cultiver leurs champs qui s’étendaient sur de grandes surfaces. C’est pourquoi ils le font en Guyane, c’est l’activité qui se rapportait le mieux alors à leur activité précédente au Laos. Il est probable que la France ait trouvé sur le territoire Guyanais des similitudes avec le climat, la forêt luxuriante qu’il pouvait y avoir au Laos, c’est surtout parce qu’il y avait du territoire libre d’exploitation. Car si les Hmongs avaient atterri à Paris, leur installation aurait sûrement été bien problématique, les problèmes d’acculturation bien plus forts qu’en Guyane ! Donc nous pensons tout d’abord que les Français ont installé les Hmongs en Guyane à cause de la place, expliqua-t-il. Et ensuite à cause du climat, car il se rapproche du climat des moussons dans le bassin Indochinois, donc c’est aussi à quoi ressemble le Laos lors des saisons humides et chaudes. C’est donc tout un ensemble de raisons qui ont poussé la France à accueillir les Hmongs en Guyane, ou plus précisément à Cacao, malgré les réticences de certains Guyanais à l’époque.

Avez-vous perdu certaines traditions après ce long voyage ?

M. Guéritault expliqua que lorsque l’on arrive dans un pays, que l’on a fuit la guerre, on arrive en masse, on est donc obligé de s’adapter au pays d’accueil, on est aussi obligé de modifier certains côtés des traditions de façon à ce que l’intégration fonctionne le mieux possible. Maintenant, il y a beaucoup de familles qui ont gardé les traditions (folklore, principes familiaux…) et qui veulent continuer à vivre avec. Il faut adopter certaines traditions locales pour mieux s’intégrer, par exemple : Noël, que l’on ne fêtait pas auparavant, au Laos, mais nous avons un devoir de commémorer nos traditions, car il faut bien que les jeunes sachent quelles étaient les anciennes traditions pour ne pas les perdre et pour qu’ils sachent qui ils sont. Effectivement nous avons perdu beaucoup de traditions, continua-t-il. Ce n’est pas forcément un mauvais point car cela fait évoluer les populations, tel que la modernisation. Je pense que l’on a perdu les points négatifs, comme le fait de réserver certaines tâches aux femmes tel que s’occuper des enfants, ainsi que de la maison. Mails il y avait aussi des tâches destinées aux hommes comme la chasse et l’élevage du bétail. On s’aperçoit que le mode de vie guyanais nécessite que les 2 membres de la famille travaillent pour « gagner leur pain » rajoute M. Guéritault. Les enfants de ces familles-là sont allés à l’école, comme les Français, pour éviter ce choc de cultures, les parents ont bien dû s’adapter à ce mode de vie social.

Y a-t-il une différence entre les Hmongs qui sont nés en Guyane et les Hmongs qui sont nés au Laos ?

M. Guéritault de la famille LAU FAI NENG de Cacao pense que les Hmongs qui sont nés au Laos avaient la nationalité laotienne donc ils sont arrivés en Guyane en tant qu’immigrés. En revanche, ceux qui sont nés en Guyane, ajouta-t-il, possèdent la nationalité française, il s’agit de la seule et unique différence, sinon la majorité des Hmongs en Guyane parlent français, d’ailleurs les enfants parlent plus français que Hmong maintenant, mais à part cela, c’est la seule différence, termina-t-il.

Comment les Hmongs voient-ils la société évoluer ?

Déjà il y a deux avis là-dessus, commença M. Guéritault, tout d’abord celui des anciens qui voient les jeunes évoluer, et celui des jeunes qui voient les anciens vieillir, ceux-ci se posent des questions quant à la reprise des activités. Le regard des anciens qui voient les jeunes qui réussissent à faire autre chose que de l’agriculture, c’est une preuve d’intégration parce que lorsque les anciens sont arrivés ici, en Guyane, ils n’avaient qu’une envie c’était de voir leurs enfants réussir « mieux » que ce qu’ils avaient réussi à faire. Car la majorité des premiers parents Hmongs en Guyane ne savaient que très mal lire, n’ayant pas pu aller à l’école très longtemps, et encore moins faire d’études. En effet, à l’époque, les habitants de la montagne n’allaient pas forcément à l’école très longtemps, d’autant plus que c’était soit laotien soit thaïlandais, donc ils se sont dit, comme tous les parents : «  je vais tout faire pour que mes enfants réussissent mieux que moi », continua-t-il. Quand ils voient leurs enfants réussir dans des voies qu’ils ont eux même choisi, les parents Hmongs sont très contents et pour les autres ils sont très très contents qu’ils reprennent l’activité et qu’ils viennent travailler avec eux, comme cela ils sont rassurés et sûrs que tout le monde aura de quoi se nourrir et de quoi survivre. Les Hmongs ont toujours cette idée de « survivre » dans la tête, du fait du traumatisme qu’ils ont eu lors de la guerre du Vietnam.

Les enfants voient leurs parents comme tous les autres, on voit les parents vieillir, on s’attache à eux et dans un certain sens ils n’aiment pas trop voir les parents s’épuiser à l’agriculture, qui est un métier très dur et très épuisant, pour garder ses parents le plus longtemps possible, il faut soit les aider physiquement soit bien réussir pour leur permettre de leur offrir « de beaux vieux jours », termina M.Guéritault.

Les jeunes préfèrent-ils la vie d’avant (comme leurs parents, grands-parents) ou celle de maintenant ?

La vie de maintenant, commença-t-il, t’offre beaucoup de confort mais beaucoup de stress aussi parce qu’il faut constamment travailler pour avoir le chèque à la fin du mois. On ne nous permet pas, sauf pendant les vacances, de nous relâcher. Or, dans la vie que l’on menait avant, même s’il fallait travailler pour vivre, on travaillait pour soi et lorsque l’on travaille pour soi, on se repose quand on est vraiment fatigué, on n’a pas de patron, on est soi même sont propre patron.Donc on travaillait beaucoup et on ne se reposait quasiment jamais afin d’offrir un meilleur avenir possible aux enfants, mais il y avait aussi cet aspect simple dans la vie, on n’avait pas besoin de télévision, de playstation, énuméra-t-il, on n’avait pas besoin d’aller dans des bars… On avait juste besoin de faire pousser nos cultures, élever notre bétail, cultiver et récolter nos légumes, notre riz, etc… Tout tournait autour de ce travail là, ça évitait d’avoir certains stress dans notre vie. Aujourd’hui, on essaye de répondre à des besoins qui ne sont pas forcément nécessaires, pas si on vit comme nos parents ont vécu. Aujourd’hui, on s’est créé pas mal de besoins pour avoir du confort, parce qu’on les connait, si on ne les connaissait pas, on n’aurait pas eu de besoins, donc la vie d’avant était certainement plus dure mais en même temps c’était simple. De nos jours c’est beaucoup plus compliqué, mais on est beaucoup plus confortable, si jamais on réussit. Les jeunes préfèrent la vie de maintenant car en Guyane on n’a pas le stress de mourir, de se battre,car la vie est mieux ici, insista M. Guéritault.

Les jeunes veulent-ils retourner au Laos ?

Non, car au Laos la population Hmong vit dans des conditions dégradées, on va dire humainement, très difficiles, parce qu’ayant été contre le régime mis en place, on est donc plus ou moins chassés, traqués, donc en Guyane on est en paix, expliqua-t-il.

Comment les jeunes voient-ils évoluer la société Hmong ?

Il y a beaucoup de Hmongs qui partent faire leurs études, mais il y en a aussi quelques-uns qui restent avec leurs parents, en dépit d’avoir réussi leurs études, ils restent donc pour continuer l’activité agricole, ça veut dire que l’on n’a pas forcément le choix parfois. Parmi ceux qui sont partis, il y en a qui reviennent parce qu’avec la filière des études, le chômage, avec l’échec, certainement, dans certaines accessions aux diplômes, ils reviennent parce qu’ils ont tenté quelque chose qui leur plaisait et qu’ils n’ont pas forcément réussi. Ils peuvent revenir aussi avec l’envie de retrouver leur famille, leurs racines. C’est très difficile d’être déraciner une première fois pour ensuite se déraciner soi même pour aller vivre ailleurs juste pour ses études et ils se rendent compte que la Guyane, c’est un trésor. Parfois ils restent dans ce secteur parce qu’il est plus porteur et qu’ils se rendent compte de la beauté et de l’importance de ce métier d’agriculteur en Guyane, dit M.Guéritault.

Les jeunes Hmongs marcheront toujours-t-ils dans les pas de leurs parents ? Sinon, qui héritera des terres ?

Tous les Hmongs ne seront pas agriculteurs, certains sont : ingénieurs, mécaniciens, carreleurs, pilotes… Il y a beaucoup de Hmongs qui ne font pas forcément de l’agriculture. Cependant la plupart des agriculteurs, espèrent que quelqu’un de la descendance reprenne l’activité d’agriculture..

Nous remercions Monsieur Jacques Guéritault de la famille LAU FAI NENG de Cacao pour avoir répondu à toutes nos questions.