C’est une prospection aérienne, menée en juillet 2010 par Olivier Tostain (société ECOBIOS), afin de comptabiliser les nids d’Ibis présents aux abords du fleuve Mahury, qui a révélé les vestiges d’un bâtiment rectangulaire à proximité de l’ancien canal de Torcy. Face à l’érosion active imposée par la dynamique littorale, une évaluation de ces vestiges fut aussitôt mandatée par le DRASSM (Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-marines).

Si les archives fournissent de nombreuses informations sur la chapelle de Torcy, sa construction et le mobilier dont elle était pourvue, en revanche nous n’avons que très peu d’éléments en ce qui concerne la mise en place du cimetière attenant à celle-ci. Les opérations archéologiques menées ont donc permis d’accéder aux premières informations concernant ce site d’inhumation. L’expertise s’est déroulée en deux missions. La nature du terrain (alluvions) associé au temps imparti à la fouille (trois heures hebdomadaires, pendant les marées les plus basses), ont imposé des interventions ciblées et des observations rapides. Cette expertise impliquait des objectifs scientifiques et techniques visant à circonscrire l’ensemble du site comportant la chapelle de Torcy et son cimetière attenant. A marée basse, la chapelle est facilement repérable sur le site par ses fondations en pierres. A l’intérieur de l’édifice l’espace est divisé en deux, matérialisé par un traitement privilégié du sol de la zone du chœur de la chapelle. Les archives dépouillées précisaient que l’ensemble religieux de Torcy comprenait une chapelle, un cimetière attenant mais aussi une sacristie et un presbytère. Aucun de ces deux derniers bâtiments n’a été retrouvé. En revanche du matériel épars a été repéré sur le site : des chandeliers issus de la chapelle, des pipes en terre, des bouteilles en verre et de la céramique liée à la vie quotidienne.

En ce qui concerne le cimetière de Torcy, celui-ci se développe au nord de la chapelle et s’étend potentiellement sur 4900 m². Nous avons identifié deux structures rectangulaires, constituées de pieux et de planches de bois, qui encadrent un amas de pierre pouvant avoir servi de calvaire, signalant l’espace funéraire. L’alignement de ces structures est parallèle au canal de Torcy, lui-même matérialisé par un alignement de pieux.
Les fondations d’un mur, dans l’emprise de la mangrove, concrétisent la limite ouest de l’espace funéraire : cette construction pourrait s’apparenter à un mur de clôture du cimetière. Elle pourrait également être mise en relation avec l’un des anciens bâtiments de l’Elisa, une habitation coloniale située, selon les archives, aux abords immédiats de la chapelle.
Les sépultures qui ont été retrouvées ne sont pas accolées directement à la chapelle. Un pavement le long du mur gouttereau, puis une allée d’arbres (si l’on se réfère à l’alignement de souches encore visibles) sépare cette dernière des premières sépultures et constitue la limite sud du cimetière. En ce qui concerne la limite nord du cimetière, aucun vestige n’a été retrouvé au-delà d’une limite que nous avons matérialisée par une balise implantée sur le site.

« Le village de Torcy [...] est à présent sous l’eau. Aux marées basses, à certaines périodes, on distingue les cercueils du cimetière, dans la vase. L’église est complètement ensablée. De l’usine, on n’aperçoit plus que la cheminée. Loin dans les flots, on reconnaît quelques piquets de wapa qui formaient le revêtement de protection des digues. »
 Henriette Célarié, Revue des deux mondes, 1930.

Les observations que nous avons pu mener sur place ont également permis de cerner la topographie du cimetière de Torcy et de mettre en évidence son organisation spatiale. Cet ensemble funéraire se matérialise par un alignement plus ou moins régulier d’inhumations en cercueils qui s’organisent en une quinzaine de rangées parallèles. Cette organisation rigoureuse peut notamment être liée à la courte durée d’utilisation du cimetière, une trentaine d’années tout au plus, et peut expliquer l’absence de remaniements au sein de cet espace funéraire. Mis à part les cercueils, divers vestiges à vocation funéraire ont également pu être repérés au sein du cimetière. En avant des fondations de mur signalées précédemment en limite ouest, nous avons retrouvé une pierre tombale inclinée, à demi enfouie (longue d’1,14 m, large de 39 cm, et épaisse de 10 cm). Aucune inscription, ni épitaphe n’y figurait. Ce type de stèle verticale se situe généralement à la tête d’une sépulture. On les retrouve au sein des cimetières français à partir de 1830, puis elles se généralisent au cours du XIXe siècle. Au centre du cimetière nous avons repéré un pavement, similaire à celui retrouvé le long du mur gouttereau, à l’extérieur de la chapelle. Ce pavement recouvre plusieurs cercueils. Une croix en fonte de plusieurs mètres de long est visible à proximité. Les registres des baptêmes et mariages des années 1845-1848 du quartier de Torcy indiquent une fréquentation quasi exclusive de la chapelle par la population servile des alentours. Les investigations menées sur le terrain ont également permis de constater que les sépultures suivent rigoureusement et invariablement une orientation Ouest-Est. Cette orientation confirme le respect du rituel d’inhumation de tradition chrétienne au sein de ces populations. Les défunts sont tous inhumés sur le dos, la tête à l’Ouest quel que soit le mode d’inhumation (en cercueil ou en pleine terre). Mise à part un élément en bois, qui s’apparente à la branche d’une croix, aucun signe religieux, ni offrandes n’étaient présents au sein des sépultures. Le mobilier associé aux défunts est essentiellement d’ordre vestimentaire : il s’agit de boutons en os et d’agrafes.
L’abandon de la chapelle de Torcy se situe probablement à la fin des années 1880. On peut évoquer parmi les différentes causes, les problèmes d’inondation et d’érosion dont les premiers témoignages remontent à la création même du canal Torcy.

Cette expertise menée en 2011 a permis, malgré des contraintes techniques particulièrement difficiles, de mettre en évidence le caractère unique de ce site en Guyane, original par sa localisation géographique et par sa topographie, inédit par la présence d’un édifice cultuel et religieux réservé tout d’abord aux esclaves, puis aux travailleurs libres du quartier de Torcy. L’abondance des sources archivistiques qui le documente et son histoire liée au creusement du canal de Torcy au XIXe siècle, diffère très nettement des cimetières dévolus aux populations serviles découverts au sein des autres colonies françaises à la même période.

Texte de Catherine RIGEADE, Arkaeos, Unité de recherche ADÉS