La colline de Cépérou est un site patrimonial historique qui domine le centre ville de Cayenne. Elle fut le théâtre de guerres entre Amérindiens et Européens au XVIIe siècle. Atelier Aymara a réalisé en 2021 un mémorial pour le compte de la Collectivité territoriale de Guyane, sous la forme un mobilier de 8 panneaux de bois ( Ebénisterie par Guyane Tradi ) présentant notamment l’histoire de cette colonisation émaillée de guerres. 

La presqu’île de Cayenne & le mont Cépérou

Muccumbro

La presqu’île de Cayenne est habitée depuis plusieurs milliers d’années, comme l’attestent les polissoirs, les roches gravées et l’archéologie. Selon l’Anglais Harcourt, elle était dénommée Muccumbro par les Amérindiens. Si diverses vagues de populations se sont succédées, Muccumbro était une terre kali’na au début du XVIIe siècle. Dans le journal de Jesse de Forest (1623), la presqu’île est mentionnée comme « semée » de villages kali’na. En 1634, Pietersz de Vries décrit « une île remplie de monde » et dont le chef se nomme Arrawicary. À cette époque, malgré les épidémies qui ont déjà fait disparaître plus de 90 % de la population littorale, la nation kali’na est toujours assez puissante pour défendre et garder la possession de ses terres.

« Côte Sauvage »

Dissimulé par un rideau de mangroves, le littoral des Guyanes doit sembler bien inhospitalier aux premiers explorateurs européens, à la fin du XVe et début du XVIe siècle. Les Espagnols vont en effet délaisser cette partie de l’Amérique, qu’ils ont baptisée « Côte Sauvage », ouvrant la voie aux autres nations européennes qui cherchent à se faire une place sur le « Nouveau Monde ». Malgré leur rencontre avec les Amérindiens, et ce dès leur premier voyage, les Européens considèrent le continent comme une terre vierge et l’ont partagé entre les deux nations ibériques.

Le meilleur port de la côte

Le long de cette bande côtière du plateau des Guyanes, aux rares reliefs, les collines de la presqu’île de Cayenne, associées aux iles de Rémire, devinrent très vite des repères connus de tous les marins. Au XVIe siècle, la rade de Cayenne est une escale prisée des négociants européens venant commercer avec les Amérindiens – bois précieux et hamacs s’échangent contre haches et couteaux. Après avoir parcouru le littoral de l’Araguari à l’Orénoque en 1596, l’Anglais Lawrence Keymis écrit n’avoir pas trouvé de meilleurs ports en toute la côte qu’à l’endroit où la rivière de Cayenne se jette dans la mer. Cinquante ans plus tard, le français Antoine Biet vante à son tour l’excellent mouillage au pied de la colline, pouvant permettre à cent navires de jeter l’ancre en toute assurance et à l’abri d’un site facile à fortifier. Le petit mont rocheux de Cépérou, qui domine la rade et les terres alentour, apparaît en effet comme un  lieu propice à l’installation d’un fort.

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1500-1600 – Premiers contacts 

 

Dans le sillage de Colomb

Le contact entre les Amérindiens et les Européens à la fin du XVe siècle est immédiatement marqué par la violence. Dès son premier voyage, Colomb ramène de force des Amérindiens d’Hispaniola (actuel Haïti), qu’il exhibe en Espagne. Dans son sillage, les Européens planifient l’esclavage des Amérindiens et organisent des razzias sur les côtes des Guyanes pour fournir de la main-d’œuvre destinée aux plantations des Caraïbes. Face aux violences de l’invasion européenne, certains Amérindiens s’éloignent des premières colonies tandis que d’autres résistent. En 1499, Amerigo Vespucci, écrit ainsi qu’il doit livrer combat contre « un nombre infini de gens » qui refusent de les voir accoster le long des côtes des Guyanes.

Le mythe d’Eldorado

En 1596, l’Anglais Walter Ralegh situe la cité du roi doré, Manoa, sur le plateau guyanais. Désormais, les termes Eldorado et Guyane deviennent intimement liés dans les rêves des avides aventuriers qui traversent l’Atlantique. Le Flamand Abraham Cabeliau, commis à bord d’un navire qui jette l’ancre dans la rivière de Cayenne en 1598, témoigne des violences engendrées par cette fièvre de l’or :
« La rivière Orénoque et toute cette côte restent encore à conquérir, jusqu’à la rivière […] Amazone. Il y a ici une force d’environ soixante cavaliers et cent hommes portants mousquets, qui cherchent chaque jour à s’emparer du royaume doré de Weyana ; mais ils ne peuvent y arriver, que ce soit par la violence qu’ils ont déjà exercée ou par quelque forme d’amitié, parce que la nation appelée Caribes leur oppose quotidiennement une résistance hostile par les armes, qui sont des arcs tirant des flèches si empoisonnées que si quelqu’un en a été touché, et que son sang coule, il mourra sûrement dans les vingt-quatre heures à moins qu’un remède ne lui soit tout de suite appliqué, et la chair se détachera de ses os. Les Espagnols craignent énormément cette nation et ses flèches, car ils résistent sans reculer lorsqu’ils se battent, et n’abandonnent jamais, et ils ont protégé leur terre jusqu’à aujourd’hui. »
Abraham Cabeliau, 1598.

En 1604, la colonie anglaise de Charles Leigh s’installe sur l’Oyapock, avec pour objectif de trouver des métaux précieux. L’année suivante, ils mènent deux raids meurtriers sur l’île de Cayenne, convaincu par leurs alliés amérindiens Jayos et Sapayos que s’y trouvent de l’or et de l’argent. Quand il débarque à Cépérou en 1652, Antoine Biet, de la Compagnie de la France Equinoxiale, est persuadé qu’une nation amérindienne porte des plaques d’or à leurs oreilles et qu’assurément ils ont quelques mines du précieux métal. A cet égard, la Guyane étant loin de tenir ses promesses, nombre de ces aventuriers déchantent. En 1608, Robert Harcourt doit ainsi affronter le mécontentement de ces hommes qui espéraient faire fortune. Il témoignera que toutes les informations obtenues en Angleterre sur l’existence de mines d’or étaient fausses.

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1643-1645 La Guyane théâtre de guerre 

Les guerres début XVIIe siècle

Entre 1627 et 1633, les nations amérindiennes du littoral des Guyanes détruisent plusieurs colonies européennes, de l’Oyapock au fleuve Suriname. Pietersz de Vries débarque en 1634 avec une trentaine de colons sur la presqu’île de Cayenne, où il retrouve quelques Hollandais et Anglais et les restes d’un fort supposé français. Les Hollandais ont tout juste le temps de planter du coton et du tabac avant d’être chassés par les Kali’na. Malgré les victoires amérindiennes, une nouvelle Compagnie, formée par des investisseurs normands, est confiée au commandement de Charles Poncet de Bretigny, en 1643.

La Compagnie du cap de Nord

En novembre 1643, la Compagnie du cap de Nord, qui compte quelque 300 hommes fortement armés, prend possession de la colline de Cépérou où elle retrouve les vestiges d’un établissement hollandais détruit par les Amérindiens. Si les premières relations entre colons et Autochtones semblent relativement cordiales, elles se dégradent très vite en raison du comportement de Bretigny. Ce dernier essaie de prendre le contrôle de leurs ressources, interdisant ainsi aux Kali’na de chasser certains gibiers sur leurs terres. La disparition en mer du seul chef amérindien qui soutenait les Français semble faire pencher la balance en faveur de ceux qui souhaitent se débarrasser de la colonie. Bretigny semble cependant sous-estimer ses ennemis. Prévenu d’une possible attaque du fort Cépérou, le gouverneur fait alors mettre aux fers deux otages, qui s’échappent en juin 1645. Le commandant se lance immédiatement à leur recherche avec seize soldats armés de mousquets. Lors d’un affrontement près d’une rivière, Bretigny est tué, ainsi que quatorze de ses hommes. Après cette victoire, les Kali’na (et leurs alliés) lancent une grande offensive sur tous les établissements européens situés entre l’île de Cayenne et le fleuve Berbice. Les Amérindiens se rassemblent ensuite pour donner l’assaut final au fort de Cépérou. Deux religieux réussissent cependant à négocier une trêve. Désormais harcelée à chaque sortie, la soixantaine de survivants Français s’enferme dans le fort. Seule une quarantaine d’entre eux parviendra à quitter la colonie.

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1652-1653  Jäca, Pepora… et la Compagnie de la France Equinoxiale

Une nouvelle Compagnie, forte de 700 personnes, dont de nombreux vétérans de guerre, arrive de Paris en septembre 1652. Après avoir amélioré les fortifications du fort Cépérou, où ils établissent 10 canons et une garnison de 45 soldats, la plus grande partie des colons s’installe sur la côte de Rémire.
Par leurs activités esclavagistes et leurs vols continuels de nourriture, les Français s’attirent très vite l’hostilité des Amérindiens. Après avoir eu vent d’une prochaine offensive, les Français décident d’éliminer la menace kali’na avant qu’il ne soit trop tard.
En février 1653, les Français profitent d’une réunion de sept chefs amérindiens qui doit se tenir sur la presqu’île, pour lancer trois offensives nocturnes simultanées devant les laisser seuls maîtres de la région. L’une des attaques a lieu à la pointe de Rémire, où les chefs Laoüy et Pagaret, le vainqueur de Brétigny, et leurs guerriers ont établi leur campement. Non loin de Cépérou, les Français tuent le plus ancien des chefs de l’île de Cayenne, Bimon, dans un combat épique. Ces premiers affrontements font une trentaine de morts chez les Amérindiens et plusieurs blessés parmi les Français. 200 hommes pillent et brûlent ensuite tous les villages côtiers à l’ouest de l’île de Cayenne jusqu’à la rivière Macouria, tuant des dizaines d’Amérindiens et gardant des femmes et enfants comme esclaves. Suite à ces victoires, les Français proposent une trêve aux Kali’na avec des conditions : l’abandon de l’île de Cayenne, des livraisons payées de vivres, un échange de prisonniers et la remise d’une femme Parikweneh nommée Jäca, ex-esclave de Bretigny, devenue compagne du chef Pepora. Une partie des Amérindiens acceptent les conditions, mais Jäca ne vient pas. En mai 1653, l’otage Kali’na s’échappe à la barbe des sentinelles. La trêve est rompue.
Cette fois-ci, les Amérindiens attaquent. Les Français perdent des dizaines d’hommes dans plusieurs affrontements, sur terre et sur mer. Entre 250 et 300 guerriers Kali’na assiègent ensuite certaines demeures fortifiées de la côte de Rémire ; un des affrontements arcs contre mousquets dure près de six heures. En août 1653, les Français se rassemblent au fort Cépérou, abandonnant toutes les autres habitations de l’île qui sont brûlées par les Kali’na. Après cinq mois de plus à vivre dans la peur – toute sortie se terminant en combat –, dans l’attente vaine de renfort et sans nourriture, les 130 Français restants quittent la Guyane le 27 décembre 1653, après seulement quinze mois d’occupation.

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1654-1664 L’installation définitive des Européens 

« Ils étaient autrefois si puissants, qu’ils ont imprimé la terreur et la crainte dans les cœurs des Français qui s’étaient établis à Cayenne ; en sorte que plusieurs de ces anciens habitants qui se sont retirés à la Martinique, ont peine à nous croire, quand nous leur disons qu’ils […] sont à présent si fort diminués, que tous ceux qui habitent depuis l’Approuague jusqu’au Maroni, ne peuvent mettre ensemble vingt pirogues de guerre armées chacune de vingt-cinq hommes. »
Antoine Lefèvre de La Barre, 1666.

En 1654, des Hollandais chassés du Brésil s’installent à Cépérou où ils trouvent le fort en bon état et encore muni d’une partie de l’artillerie française. La colonie s’agrandit en 1659, avec l’arrivée de Juifs, également chassés du Brésil, dont certains s’installent dans le voisinage du fort. Les bourgs de Cayenne et Rémire sont fondés à cette époque. Désormais, les villages kali’na les plus proches sont établis sur la rive ouest de la rivière de Cayenne.
Les Français reprennent la colonie en 1664, avec l’arrivée d’Antoine Lefèvre de La Barre et 1 200 colons. Les Kali’na que rencontre le gouverneur ne sont plus belliqueux. Celui-ci s’en félicite, expliquant que les autochtones savent désormais qu’ils doivent se soumettre aux Européens, « et sont détrompés de la pensée de vouloir conserver leurs terres pour eux seuls ». La réalité est toute autre. Décimés par les maladies et les conflits, les Kali’na n’ont plus les moyens de lutter. Après avoir repoussé toutes les tentatives d’implantations anglaises, hollandaises et françaises de la première moitié du XVIIe siècle, la résistance amérindienne s’achève faute de combattants.

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Le mystérieux chef Cépérou – Sepelu
À partir du XIXe siècle, soit deux cents ans après les faits supposés, certains textes relatent qu’un chef Kali’na nommé Cépérou aurait vendu le mont portant son nom, au Français Poncet de Brétigny. Or, aucun chef de ce nom, ni acte de vente, ne sont mentionnés dans les archives de cette époque. Il est vraisemblable que la propagande coloniale très forte au XIXe siècle ait cherché à légitimer la possession française de la Guyane, en montrant notamment que cette colonisation s’était faite sans heurt.Panneau_Ceperou_v57Panneau_Ceperou_v58