Chantier forestier de la crique Serpent, Maroni, 1er février 1913

« Une odeur poignante de rose et de musc sort de la boue remuée par le piétinement des hommes. Le contremaître bourru donne des ordres. — Hardi, fainéants, hardi, les gars… Le tronc de bois de rose, lourd de trois tonnes, halé par vingt forçats, est enfoui dans le marais et glisse sous dix centimètres de vase. Arc-boutés à la cordelle, les bagnards geignent et tirent, nus et gluants. L’arbre odorant, blessé par les crochets qui l’entourent, saigne un abominable parfum de tubéreuse. »
Jean Galmot, Quelle étrange histoire, 1918.

Un arbre de près de trente mètres tomba dans un immense fracas, emportant avec lui les arbustes alentour. Plus loin, les bûcherons, torses nus, abattaient leurs haches sur un autre géant. Des scieurs de longs travaillaient une grume. Des forçats hissaient d’énormes bûches sur leurs épaules et parcouraient plusieurs centaines de mètres sur le layon menant au fleuve avant de les laisser tomber lourdement à terre. Un nouveau relayeur soulevait alors ce poids mort pour terminer cette course sans victoire. D’autres s’y prenaient à deux pour transporter des billes de bois monstrueuses pouvant broyer leurs pieds au moindre faux pas. Le contremaître qui œuvrait tel un chef d’orchestre pour tenter d’organiser le chantier ne créait qu’une mélodie du chaos.
Suite réservée aux abonnés…