C’est l’histoire d’un homme parti de rien. En « plantant des petits légumes pour se faire un peu d’argent de poche ». 78 ans après sa naissance en Martinique, Maurice Porrineau peut se dire « fier » de lui, sans trop de prétention. Lorsqu’on l’invite à se poser chez lui, dans son fief de Montsinéry, pour jeter un coup d’œil dans le rétroviseur, le démarrage est plutôt hésitant. « Moi, ma vie ? Pfff !!! Je ne sais pas trop ce que je dois vous raconter », bredouille-t-il, avant de nous inviter à s’asseoir. Mieux vaut donc y aller en douceur. Le lancer, par exemple, sur ce qu’il définit comme sa « raison de vivre » : l’agriculture. Très vite, le regard s’illumine, se perd parfois dans des souvenirs lointains, et Maurice lâche les chevaux, se dévoile comme un livre grand ouvert. On apprend alors comment l’agriculteur, qui possède aujourd’hui quelque 300 hectares de terrain, a « appris sur le tas, sans formation ». C’était l’époque où « regarder autour de soi » suffisait à « trouver un travail ». « C’est vrai que j’avais déjà l’agriculture en tête, se souvient-il. J’ai été élevé par ma grand-mère qui avait une petite parcelle sur laquelle on travaillait la canne à sucre ».

La tour de contrôle de Rochambeau

Pourtant, lorsque Maurice débarque pour la première fois en Guyane « au début des années 60 », pour de « simples vacances », c’est à ses compétences de carreleur en bâtiment qu’on fait appel. Il a 27 ans et accepte de « rendre service à un ami » en travaillant sur la construction de la tour de contrôle de l’aéroport de Rochambeau. Maurice porte un regard amusé, souvent nostalgique, sur cette période de sa vie. Lorsqu’il s’investit pour de bon en Guyane, quelques années plus tard, « c’est sûr que ce n’était pas pareil, raconte-t-il. Il n’y avait rien. Seulement de la forêt partout ». L’époque où le trajet Cayenne – Montsinéry se faisait en canot lui semble vieille comme le monde. Mais c’est à Matoury qu’il s’installe dans un premier temps. Maurice vivote comme il peut, grâce à la culture maraîchère et ses quelques vaches laitières. « On faisait du porte à porte, mais je livrais aussi le lait à l’hôpital de Cayenne ».
Puis en 1979, il commence à voir les choses en grand lorsqu’il trouve un petit terrain à exploiter à Montsinéry. Evidemment, tout n’est que forêt et friche, et l’eau ou l’électricité sont des luxes dont ne disposent pas encore les premiers agriculteurs du coin. Cela ne l’empêche pas pour autant de monter sa société : Guyabèf. « Petit à petit », sa zone d’exploitation s’agrandit, malgré « le manque de matériel » et « la difficulté de trouver des bulldozers ». Hectare par hectare, Maurice y va « au coupe-coupe et à la tronçonneuse ». L’ambition, ça s’entretient. Sa richesse, il l’a bâtie au fil des années, à l’huile de coude. De toute façon, comme tout bon agriculteur qui se respecte, Maurice Porrineau se sent mieux lorsqu’il est « loin de la ville ». Surtout « quand on voit à quelle vitesse la Guyane se développe : avec Cayenne, Rémire et Matoury qui ne font plus qu’un et qui ont presque déjà avalé Macouria ! » Mais il faut bien vivre avec son temps.

« Toute ma vie, toutes mes sueurs »

Maurice est parti enfiler une paire de bottes. Il nous emmène volontiers faire un petit tour de son terrain. « J’y ai consacré toute ma vie, toutes mes sueurs », lâche-t-il, en contemplant les alentours. Présentation aux poules, dont il s’occupe « comme de (ses) enfants ». Les quelque 600 bovins qui occupent les champs, plus loin, ont aussi droit à cette « affection quotidienne ». Dans la grange, des membres de sa famille « donnent un coup de main » pour emballer les œufs. « Heureux » de pouvoir initier son petit-fils à « la conduite du tracteur », il sait pourtant qu’on ne peut pas « obliger les enfants » à reprendre l’entreprise familiale. « A eux de faire leur choix. Quand on oblige, après, le travail est mal fait ». Et, comme la Guyane, l’agriculture aussi a évolué : « Aujourd’hui, c’est plus difficile de se lancer. Tout est très réglementé. Il faut de l’investissement et les banques n’aident même pas les jeunes qui ont des BTS. Ils veulent un parrain, des garanties. Pour faire des bovins, c’est long, il faut attendre au moins sept ans » avant de pouvoir en tirer profit. Quant aux subventions, « elles ne tombent jamais en temps voulu ».

« C’est un métier pénible » reconnaît quand même celui qui passe encore une dizaine d’heures quotidiennes dans ses champs. Alors forcément, à bientôt 80 ans, « on me dit que je travaille trop. Mais arrêter de bosser, c’est arrêter de s’occuper de soi ». Plus qu’une passion, plus qu’un métier, l’agriculture est aussi son moteur. L’amour de la terre lui coule dans les veines. Et « la terre, philosophe Maurice, c’est la mamelle de toutes les ressources du monde ». C’est surtout son jardin à lui. Là où il se « sent exister », là où il « trouve (son) bonheur ». Car « le plus important, c’est d’être bien dans sa peau. Il y a trop de gens qui ont de l’argent et qui sont tellement malheureux qu’ils ne peuvent même pas boire un ti-punch sereinement ! »