Les Français lui reprochent parfois son côté mou du genou, un peu trop centriste, pas assez de gauche, pas assez de droite non plus. Lui se plaint du mépris des médias, qui lui préféreraient le (vieux) couple Sarkozy-Hollande. Aujourd’hui, à un mois des élections présidentielles, le candidat François Bayrou est crédité de 13 % d’intentions de vote au 1er tour. Mais qu’en est-il réellement de sa cote de popularité en Guyane ? On a eu un peu moins de 24 heures pour mener l’enquête. Le temps d’une visite-éclair qui aura fini comme elle avait commencé : à la bourre…

« Il ne veut pas se mouiller !». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Kou n’y connaît pas grand-chose en politique. Et encore moins en François Bayrou. Ce qui se comprend aisément lorsqu’on « habite à Régina, sans télé, ni électricité » ! Mais ce jeune agriculteur hmong possède, sans le savoir, un sens aiguisé de la métaphore. Car lorsque le fondateur du Modem se fait attendre sur le marché de Cayenne, ce samedi matin, Kou fait simplement référence à la pluie qui tombe… François Bayrou, dont il a « peut-être déjà entendu parler, vite fait », a plus d’une demi-heure de retard. Viendra-t-il, ne viendra-t-il pas ? Tout le monde commence à sérieusement en douter. Quand soudain, il apparaît enfin, accompagné d’une bonne dizaine de journalistes nationaux.

« On a besoin d’aide »

Un premier constat s’impose : le candidat du Mouvement Démocrate ne provoque pas d’émeutes là où il passe. Dans les allées du marché, la cohue est gentillette. Pas de comportement hostile, pas d’excès de folie non plus, les badauds ont tout le loisir d’interpeller et de saluer le candidat centriste. « Bonjour, monsieur Bayrou. Merci de vous soucier de nous », lui dit une mère de famille, un sachet de papayes à la main. Plus loin, un agriculteur saisit sa chance : « On a besoin d’aide », crie-t-il par-dessus son étal de citrons verts. « Je suis justement là pour ça », répond l’ancien ministre de l’Education, en déclinant son slogan phare du « Produire français ». Pendant ce temps-là, voyant débouler le cortège, un enfant intrigué demande à sa mère : « Qu’est-ce qui se passe ? »« Ce n’est rien, chéri, répond-elle. C’est un ministre qui est en visite ».

« Achetez-moi 10 kilos de viande sinon je vote Le Pen » !

François Bayrou ne se fait évidemment pas prier pour tester les produits locaux. On parle bien du même homme qui, cinq ans plus tôt au même endroit, avait été contraint par un photographe de la presse nationale à déguster une banane plantain ! En formidable politicien, le Béarnais avait feint de trouver la banane à bouillir « délicieuse ». Cette fois-ci, François Bayrou ne tombera pas dans le panneau, en goûtant plutôt au ramboutan, qu’il trouve « meilleur que le litchi ». A l’écart du cortège, un SDF qui n’a plus toutes ses dents mais semble avoir conservé toute sa tête, livre son analyse : « C’est un bon candidat, proche du peuple. Regarde : il va demander leur avis aux gens ! » Youa et Deng, agriculteurs à Cacao, confirment : « Au moins, il a l’air de s’intéresser à nous ». Sébastien, lui, se moque de toute cette agitation : « Je ne l’attendais pas spécialement », soupire le jeune homme, l’air blasé. « C’est bien que les candidats viennent en Guyane, coupe un autre vendeur, mais ça ne va pas faire pousser les ramboutans plus vite !» François Bayrou pénètre maintenant sous le marché couvert. Distribution de poignées de main pour quiconque se dresse sur son passage. Il passe les stands en revue lorsqu’un boucher le hèle de derrière son comptoir : « Achetez-moi dix kilos de viande sinon je vote Le Pen !» François Bayrou ne se démonte pas. Se force à montrer qu’il a le sens de l’humour : « Je suis un homme honnête, rétorque-t-il au boucher. Renseignez-vous sur moi ! »

« Laissez-nous passer ! »

Un léger embouteillage s’est formé dans l’allée centrale. Ce qui n’est pas du goût de deux adolescentes en goguette. « Qui c’est encore celui-là ! », lance l’une d’elles, en laissant échapper un « tchip » venu du fond du cœur. « Laissez nous passer, s’agace son acolyte. Nous, on n’a pas le temps ». Voilà qui leur ferait pourtant un point commun à partager avec l’équipe de François Bayrou, pour qui le temps est, semble-t-il, un facteur difficile à maîtriser. « C’est sûr que contrairement aux visites de Sarkozy ou Hollande, celles de Bayrou sont plus tranquilles, glisse un caméraman de la presse nationale. Lui est plus abordable, plus cool, c’est sympa. Mais en revanche, pour l’organisation… Il a du mal à respecter ses programmes ». Conviés la veille à une conférence de presse au Novotel de Cayenne, les médias locaux (qui attendent toujours le candidat) ne démentiront pas.

Les « liquidateurs de Fukushima »

En fait, François Bayrou a passé vingt heures en Guyane à courir après le temps. Dès vendredi, à son arrivée dans le département, il testait déjà la patience de la presse locale au port du Larivot. Heure du rendez-vous : 16 h 30. Les journalistes sont ponctuels. Mais au bout d’une heure, toujours pas de François. On nous apprend qu’il est coincé dans les bouchons. Plus tard, M. Bayrou dira que « l’état des routes (en Guyane) explique les embouteillages ». Pour patienter, le patron de cette PME de transformation de poisson dans laquelle on est invité nous distribue la panoplie requise pour effectuer la visite des lieux. Problème : les protections pour les chaussures sont introuvables. « C’est pas grave, on va faire sans ». L’ambiance est à la franche déconnade. C’est qu’on a l’air malin déguisés en « liquidateurs de Fukushima » du dimanche. Même le homard en plastique posé sur le comptoir de la réception s’amuse comme un p’tit fou.

« On peut la refaire avec le requin ? »

Arrive enfin M. Bayrou. Il est 17 h 30. Les employés ont quitté le boulot depuis belle lurette. Les locaux de l’entreprise sont déserts. Tout est propre. Aucune trace ni odeur de poisson frais. Ça sent presque encore le nettoyant pour sol. Bref, l’ambiance est un peu tristounette. Mais la presse a besoin d’images. On serait tenté de partir nous-mêmes à la pêche pour trouver du poisson. Finalement, le gérant de l’entreprise nous ouvre les portes des chambres froides. François Bayrou prend la pause avec un requin surgelé. On s’apprête à quitter les lieux quand une équipe télé débarque un peu à la traîne : « On peut la refaire avec le requin, monsieur Bayrou ». C’est reparti pour un tour. Mais au fait, pourquoi avoir choisi cette société ? « Je voulais voir une petite entreprise d’agroalimentaire, confie-t-il. Et on a choisi un domaine prometteur pour la Guyane : la pêche. Cette entreprise est la seule qu’on ait trouvée qui corresponde aux critères ». Fin de la visite. Si l’on a bien compris, François Bayrou est donc venu soutenir « les petits entrepreneurs sur lesquels la France doit compter ». Message reçu. En revanche, difficile de palper l’effervescence de la campagne. Après Hollande en janvier, et Sarkozy en février, on peut dire que le troisième homme présidentiable venu fouler le sol guyanais ne suscite pas autant d’enthousiasme auprès de la population locale que ses deux principaux concurrents.

« C’est celui qui joue dans Les Guignols » !

Petit détour par le port. François Bayrou confond la rivière de Cayenne avec un « bras de l’Amazone » ! Le président du Modem pose sous les objectifs. Ne manquent plus que les pêcheurs ou un soupçon de public. Du coup, il s’en prend à deux fillettes sorties d’on ne sait où qui sont en fait les enfants d’un journaliste local en panne de babysitter. « Comment t’appelles-tu ? » interroge-t-il, en direction de la plus jeune. Réponse timide de l’intéressée : « Je m’appelle Kyara ! » L’élève de CP est invitée à payer son bisou. Le candidat salue la jeune fille par la fenêtre de sa voiture. Et s’éclipse. On peut alors demander à Kyara si elle connaît ce monsieur ? : « Ben oui. C’est celui qui joue dans Les Guignols ». La grande sœur, qui a elle aussi eu droit à sa bise et sa poignée de main, n’a pas l’air franchement bouleversée. Ce qu’elle retiendra de monsieur Bayrou : « Il a la peau douce et les joues toutes rouges ».

Le VRP, le pique-assiette et l’invité

Une fois n’est pas coutume, c’est avec une bonne heure de retard que François Bayrou rejoint ses soutiens locaux, le soir venu, dans un restaurant cayennais. Il est accueilli au son des percussions du groupe Tanbou lévé. Le président du Modem ne s’éternise pas dans son discours. Lui « préfère l’échange », donne la parole à son public. Il tombe la veste. Pas de question-piège, l’outsider des sondages est en terrain conquis. Dans l’assemblée, traînent quand même quelques brebis égarées. Comme ce VRP qui roule pour une marque de café. « Je suis venu proposer mes services gratuitement, explique-t-il. On se sert de ce genre d’événement qui ramène du beau monde pour faire un peu de promotion ». Pas loin du buffet, un fonctionnaire haut placé avoue tout simplement être « venu pour boire un coup ». A ses côtés, son pote reconnaît quant à lui être intéressé par « les petits fours ». Il y a aussi les gens comme Fred, qui a été « invité par une connaissance ». Et selon lui, « vu l’état actuel de la politique, c’est bien d’écouter tout le monde ! »

Interro-surprise

Mais les discours commencent à se faire longs pour les jeunes du groupe Tanbou lévé, qui attendent sagement assis à l’intérieur du resto. Le bon moment pour leur proposer une petite interro-surprise. Alors les enfants, qui est ce monsieur et que fait-il ici ? « C’est François Garou qu’est venu en Guyane », lâche spontanément un ti-moun haut comme trois pommes. « Il est venu en meeting », précise un autre. C’est normalement l’heure d’aller au lit pour eux. Saphira, Jonathan et Chris sont donc « heureux » de participer à la fête. D’autant plus que « c’est la première fois (qu’ils voient) un homme politique en Guyane ! »

Casse-briques enflammé et gangans endormis

Après plus d’une heure de débat, quelques gangans piquent du nez dans les rangées du fond. Dans un coin, deux membres de l’équipe du candidat Bayrou jouent à un genre de casse-briques enflammé sur leur i-phone. Il est temps que ça se termine. En cuisine, tout est fin prêt. Edilan et Sophie n’attendent plus que le feu vert pour servir les gambas et leurs robes de coco accompagnées d’un gratin d’ignames et de bananes. Elèves en 1ère année de CAP cuisine au lycée Melkior, les deux jeunes sont ravis d’avoir été choisis pour préparer le repas du « pourquoi pas futur président de la République ». « C’est toujours encourageant », commente Sophie. « Mais c’est pas parce que c’est lui qu’on va faire la cuisine autrement », ajoute Edilan. Il est 22 heures passées. La star de la soirée doit dire au revoir. François zappe finalement le dîner. Dehors, sous la pluie, quelques militants débriefent. « Avec Sarkozy et Hollande qui se battent, il a ses chances pour le 1er tour », pronostique Laurence, sympathisante convaincue. « S’il passe au 2nd tour, il sera élu », renchérit Hibo, autre militante séduite par le discours centriste.

« Le geste fort envoyé aux Guyanais »

Persuadé qu’il y a « beaucoup de voix à prendre en Guyane », Jean-Marc Aimable se félicite des « 150 à 200 personnes (qui) sont venues malgré la pluie ». Le responsable local de la candidature de M. Bayrou tient à saluer « le geste fort envoyé aux Guyanais » de la part d’un candidat qui « vient d’abord en Guyane avant d’aller aux Antilles » ! Mieux : il assure que « François Bayrou appréhende très bien nos problématiques locales » et qu’il serait « bien plus fort qu’il y a cinq ans ». On ose quand même lui demander – sait-on jamais – ce qui se passerait en cas d’échec au 1er tour. Vers qui le candidat centriste pourrait-il bien se tourner au 2nd tour ? « Je ne peux pas vous dire qui, mais je peux vous assurer que contrairement à 2007, cette fois-ci, il se prononcera. Mais çà, vous le gardez pour vous » !