La Guyane n’avait encore jamais accueilli de candidat socialiste à l’élection présidentielle. Depuis hier, c’est chose faite. François Hollande est passé par là. Ça méritait qu’on le suive de près lors de cette petite visite marathon de sept heures, chrono en main. Un timing serré mais suffisant pour distribuer quelques centaines de louches, rassembler la Jeunesse et casser du sucre sur le dos de notre cher président sortant. Bref, la campagne, la vraie, comme on l’aime… Récit complet d’une escale guyanaise aussi courte qu’intense.

Texte et photos : Guillaume Aubertin – Vidéo intégrale du discours à l’Encre à Cayenne en fin d’article

Allez savoir pourquoi, il y a parfois des avions qui arrivent à l’heure à l’aéroport de Rochambeau – Félix Eboué ! Pas une minute d’avance, pas une minute de retard, le vol d’Air Caraïbes en provenance de Fort-de-France s’est posé comme une fleur, hier, sur le tarmac de Matoury. Dans les salons privés de l’aérogare, l’effervescence est déjà palpable. Même les journalistes locaux sont tous à l’heure, parés pour l’Evénement. Après sa Majesté Vaval, le roi du carnaval, arrivé la veille en grande pompe dans les rues de Cayenne, la Guyane accueille aujourd’hui un « futur président ». François Hollande débarque donc, tout sourire. Il est accompagné d’une horde de journalistes nationaux qui ont fait le déplacement avec lui aux Antilles. Micros, caméras, bloc-notes, i-pod et tablettes numériques sont dégainés, prêts à ouvrir le feu. Elus d’un côté, journalistes de l’autre, on se titille gentiment les coudes pour se faire une place dans l’arène.

François sort les griffes

L’élu de la Corrèze commence d’abord par se féliciter « d’être le premier candidat socialiste à une élection présidentielle » à venir fouler le sol guyanais. La jeunesse, le Schéma d’orientation minière, l’insécurité, le développement économique et culturel, le pétrole… les grands thèmes qu’il abordera plus tard en meeting sont passés en revue. François a bien révisé ses fiches. Il est à l’aise, confiant. Tellement confiant qu’il ne manque pas d’égratigner au passage son plus féroce rival à la course élyséenne. Mais il ne le cite pas, jamais. Parle plutôt d’un « ministre de l’Intérieur devenu président » qui « ne respecte pas ses engagements ». Exemple : « Il vous a déjà annoncé deux fois la création d’un commissariat. Il paraît qu’il vient en Guyane bientôt lui aussi. Je pense qu’il fera la même annonce pour la troisième fois », ironise-t-il devant des élus séduits par la nouvelle image offensive dégagée par le chef de file du PS. Et dire qu’il y a quelques mois encore, le même homme incarnait « la gauche molle » aux yeux de certains de ses amis du parti. « Les actes doivent suivre les paroles », se plaît-il à répéter en évoquant le bilan de l’actuel président de la République. A 120 jours du grand jour, François Hollande sort les griffes. Le leader des sondages a les crocs et seule une victoire le 6 mai prochain semble être en mesure de pouvoir le rassasier.

« La Guyane avec Hollande ! »

Dans le hall de l’aéroport, ils sont une bonne cinquantaine à l’attendre. En dansant sous une énorme banderole. François est accueilli par des «Hollande Président » braillés en chœur par les supporters du Parti socialiste guyanais. La célèbre Poupoune est là, elle aussi. Elle offre une chaude étreinte à son candidat de cœur : « La Guyane avec Hollande », chante-t-elle en invitant la foule à l’imiter. « C’est notre futur président… avec la grâce de Dieu ! » Les militants exultent. « S’il est élu, il reverra le statut d’assemblée unique », commente Elin Guicheron, trésorier général de ce qu’il appelle « le plus grand parti de Guyane ». A ses côtés, Ruben, qui se dit « militant de base », acquiesce :    « Lors de la consultation populaire, la participation était trop faible. Le pont (du Larivot) était cassé et les gens n’ont pas pu aller voter ! » Un peu plus loin, Gabriel Serville y va aussi de sa réaction: «Hollande est en train de marquer l’histoire de la France et de la Guyane ».

Une rock star au Novotel

Direction l’hôtel Novotel de Cayenne. François Hollande y est salué comme une rock star. Le candidat serre des paluches à la pelle. Il y croise de vieilles connaissances, comme Antoine Karam. Futur président ou pas, tout le monde se tutoie. Assise seule à sa table, Elsa, une cliente de l’hôtel qui ne demandait qu’à terminer tranquillement son assiette de dessert garnie de maracuja et de papaye a droit à sa bise : « Je savais qu’il était en Guyane, mais pas qu’il viendrait ici », témoigne la jeune fille, visiblement sous le charme : « Ça fait bizarre ! C’est comme si on croisait une star de cinéma ». C’est l’heure de passer à table. François tient à remercier tout le monde, élus et sympathisants, car, dit-il, « c’est jamais facile de rassembler la gauche! » Pendant que François échange quelques idées avec les élus locaux, les journalistes, eux, tentent d’envoyer leurs sujets vers l’hexagone… Tout le monde s’y prend en même temps et forcément, « le réseau est saturé ». Le photographe de l’AFP s’énerve sur son i-mac. Ça sent la panique aussi du côté de TF1 alors que l’équipe de BFM TV est en train de maudire cette foutue connexion. Pis : les gars sont en rupture de clopes. « Ça fait deux jours qu’on enchaîne et on n’a pas eu le temps d’en acheter », peste le caméraman.

Et un, et deux, et trois ti punch !

Un peu à l’écart, deux molosses de la garde rapprochée du candidat PS font le point devant leur assiette de poulet –haricots verts. Ambiance bonne franquette : «Ou tu te sers, ou tu lâches la bouteille parce que là, mon gars, tu réchauffes le vin », balance l’un d’eux au pauvre journaliste d’Une Saison en Guyane qui voulait pourtant bien faire en proposant d’aider au service ! Ce sont ces gardes du corps qui ont prévenu François quelques minutes plus tôt de « faire attention à ce qu’il dit », car les impertinents du Petit journal de Canal + sont là, eux aussi, à traquer le moindre faux pas du présidentiable corrézien. Surtout, les gars de la sécu, qui tentent de négocier un supplément de salade de fruits, viennent de reconnaître leurs homologues de l’équipe présidentielle, qui déjeunent à l’autre bout de la salle. Mais les missionnaires en question, venus en repérage une semaine avant l’arrivée de l’ex-maire de Neuilly, ne voudront rien nous lâcher. Tant pis, bon appétit quand même chers messieurs ! Toujours accroché à son oreillette, l’un des molosses raconte sa visite en Guyane une semaine plus tôt : « J’étais en repérage, je suis allé au resto et j’ai voulu me faire un punch : J’ai pas compris, le serveur m’a rapporté la bouteille et l’a laissée sur la table ». On lui explique alors que de toute façon, avec le ti-punch, un suffit, deux à la rigueur, mais trois… ça devient plus trop gérable. Réponse imparable de son acolyte, dans un rire bien gras : « Nous, on compte pas en verres, on compte en bouteilles ». Ok, d’accord. Autant aller voir ce qu’il se raconte dans la salle de réunion où François reçoit les socioprofessionnels. Les députées et sénateurs guyanais sont présents. Nous, on taperait bien une sieste, mais le programme, c’est le programme.

« S’il est élu, il abrogera le Sdom »

Les débats sont sur le point de se terminer. Dommage. Demandons directement à Gauthier Horth ce qu’il a pensé de cet échange. « On est assez satisfait » , indique le président de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane (Fedog). François Hollande a été clair sur un point : c’est que si il est élu, il abrogera le Sdom (Schéma d’orientation minière). Il s’engagerait alors à faire un nouveau document qui, cette fois-ci, sera « en véritable concertation avec les acteurs de la filière, élus et professionnels ». Mais la question principale qui inquiète la Foag, c’est son positionnement sur le transfert de la gouvernance des ressources naturelles de la Guyane aux élus locaux.     « Et là-dessus, il s’est montré très favorable », atteste Gauthier Horth. Qui rappelle que « ce n’est pas un problème de gauche ou de droite mais de gouvernance  » . Et sous le gouvernement actuel, précise-t-il, « les intérêts de l’Etat vont à l’encontre des objectifs de développement de la filière et des attentes de la Guyane ».

Partie de dominos

François est attendu à la mairie de Cayenne. Il prend le temps, quand même, de laisser sa griffe dans le livre d’or de l’hôtel : « Je reviendrai le jour où je pourrai rester plus longtemps », y annonce-t-il proprement et sobrement. L’entrevue avec Marie-Laure Phinéra-Horth est vite expédiée. La maire de Cayenne s’est en tout cas montrée « courageuse », à en croire Victorin Lurel. « Elle a quand même salué le futur président dans ces termes », précise le président de la Région Guadeloupe. « Ce n’est pas rien quand on sait qu’elle était première adjointe de Rodolphe Alexandre, qui soutient lui-même le président actuel ». Mais mieux vaut ne pas traîner car le cortège est désormais attendu à la Rénovation urbaine. Deux tentes blanches installées pour l’occasion détonnent un peu au milieu des immeubles défraîchis du quartier. Un quartier qui porte assez mal son nom, remarqueront les journalistes parisiens. Sous le kiosque, Allan et ses potes sont en pleine partie de dominos. Et apparemment, la venue de monsieur Hollande ne leur fait ni chaud ni froid : « On est là, quoi ! Comme d’habitude. On verra bien ce qu’il va dire ! »

Le vélo de madame Taubira

Un peu plus loin, Marcel cherche du boulot : « je suis venu regarder, confie-t-il, mais moi ce que je veux, c’est du travail ». Le jeune homme propose même de nous filer son CV ! De l’autre côté du stade, Ariane la joue plutôt circonspecte : « Regardez l’état de la cité. Il vient faire quoi, là ? » L’habitante du quartier n’en démord pas, persuadée « qu’ils veulent tous nous couillonner, en dépensant l’argent de l’Etat, notre argent !» Toujours à l’affût du moindre bout de phrase qui pourrait pimenter la campagne et, accessoirement, remplir leurs canards, les journalistes nationaux sont sur le qui-vive. « Ca va faire de belles images », se réjouit l’un d’eux. Mais soudain, c’est la bousculade ! Christiane Taubira débarque sur sa bicyclette. « Alors madame Taubira, vous faîtes toute la campagne à vélo ? », s’enquiert un journaliste. La députée guyanaise fait l’attraction.

« Je ne sais plus qui vous a fait des promesses, mais on le retrouvera ! »

Sous les tentes, le groupe Musanda répète une dernière fois ses gammes, avec un refrain (« Lagwiyann ka boulé ») qui a le mérite de donner le ton. Car si Tatie Léodate a un sujet à évoquer avec François Hollande, c’est bien l’insécurité. Et ça tombe bien puisqu’il arrive enfin. La présidente de l’association Fanm dibout ne fait pas dans la demi-mesure : « On est agressé partout », constate-t-elle en s’adressant au chef du PS. Petit échange de micros. « Merci Tatie », commence Hollande. Le candidat affirme connaître les problèmes dont souffrent les habitants de la cité. « On mettra des moyens de police supplémentaires, affirme-t-il, mais il faut aussi s’occuper des jeunes ». Pour l’heure, Hollande a l’avantage de pouvoir surfer sur la vague des « promesses non tenues » de l’actuel président : « On vous a fait des promesses, je ne sais plus qui, mais on le retrouvera ! ». « En fait, il est drôle », commente une voix dans l’assemblée. Le bain de foule peut démarrer. François Hollande se fraie un chemin au milieu de la nuée de micros et de caméras qui le traquent. Toutes les militantes du PSG veulent embrasser leur François. Mais sous le kiosque, les jeunes qui jouent aux dominos daignent à peine lever la tête. Ce n’est pas la venue d’un éventuel futur président qui va troubler leur partie.

Cache-cache avec « madame » Hollande

François enchaîne, toujours sous l’œil de sa compagne, Valérie Trierweiler, qui ne reste jamais très loin de lui mais jamais trop près non plus. « Elle ne s’exprime pas dans la presse », met en garde un journaliste télé. Essayons quand même…. Effectivement, la successeure de Ségolène Royal ne « préfère pas parler ». Pas maintenant, pas encore. Elle confie simplement qu’elle est « contente d’être là » et qu’elle reviendra « peut-être plus longtemps la prochaine fois ». Trêve de grands discours, son homme est attendu chez les confrères de Guyane Première pour enregistrer une interview. L’ensemble du cortège, lui, file tout droit vers l’auditorium de l’Encre. A l’entrée, un journaliste radio discute technique avec Victorin Lurel. Sujet de débat : « Faut-il forcément serrer le plus de mains lorsqu’on veut être élu président ? ». Une chose est sûre, c’est qu’en quelques heures, François Hollande vient de réaliser un bon score. Mais la partie ne fait que commencer. Le grand oral, c’est maintenant.

« On peut prendre de belles photos d’oiseaux avec votre appareil ? »

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les quelques centaines de personnes qui comblent la salle n’ont pas encore toutes fait leur choix pour le 6 mai. Comme Evelyne, venue en citoyenne qui « veut être éclairée ». Assise au premier rang, elle se dit « de gauche », mais « ne sait pas encore » pour qui elle va voter. C’est qu’elle se pose encore des questions : « Sinon, on peut prendre des belles photos d’oiseaux avec votre appareil ? » On débattrait bien technique photographique mais Gabriel Serville vient de monter sur scène. Le conseiller régional parle de « relent de vieilles habitudes coloniales » en évoquant le résultat de la dernière consultation populaire. L’ambiance monte tout doucement. En regagnant sa place, l’élu du PSG rate une marche, et manque de peu d’atterrir dans le décolleté de « madame Hollande ». C’est au tour de Chantal Berthelot d’intervenir. La députée préfère quant à elle appeler au « retour de la justice sociale et de la solidarité ». Enfin, Christiane Taubira, secondée par une jeune militante de Walwari, passe en revue « les grandes potentialités de la Guyane », et de sa jeunesse. Et termine en pointant du doigt la star du jour : « Tu n’as pas le droit de ne pas être élu ! »

« Vous avez le devoir de me faire gagner ! »

Les drapeaux PS et PSG s’agitent dans tous les sens, les militantes crient comme des folles, et nous, on s’inquiète pour cette femme enceinte debout dans la tribune qui pourrait perdre les eaux à tout moment. François est acclamé. « Vous avez le devoir de me faire gagner », répond-il d’entrée à Christiane Taubira. Les gestes sont joints à la parole. Le candidat a travaillé sa carrure de présidentiable. Il sait là où il faut appuyer. Prend le temps de chambrer une fois de plus son rival de l’UMP au sujet du changement de nom de notre aéroport. « Je suis arrivé le premier, s’amuse-t-il, alors que lui va toujours plus vite que les autres au point où il ne sait même plus où il va ». Dans les dents. Le public est conquis. Au premier rang du carré VIP, Poupoune est en transe. Elle ponctue chaque fin de phrase d’un « Ouais ! » tout droit sorti du cœur. Sur l’estrade, Hollande déroule les sujets chers à sa campagne, la Jeunesse en tête. Mais il prend aussi le soin de s’attacher aux attentes des Guyanais. Comme le débat sur l’or : « La Guyane a des richesses, mais encore faut-il les exploiter avec mesure et précaution », dit-il. Et de réaffirmer que « quand (il) sera président, le Sdom sera suspendu. C’est vous qui déciderez ! » Pareil pour le pétrole : « On doit s’assurer des retombées économiques pour la Guyane, en termes d’emploi et de formation ». Le candidat est venu « redonner confiance aux Français et aux Guyanais, fatigués d’avoir été maltraités depuis cinq ans ! » Derniers applaudissements, dernières embrassades, l’avion n’attend pas.

A la sortie du meeting, trois hommes sont en train de débriefer. L’un d’eux explique, convaincu : « Je me demande encore comment on peut voter UMP en Guyane. T’as vu l’état du pays ! » Voilà la question qu’on pourra poser au principal intéressé, ce week-end. Le président de la République arrive à son tour en Guyane.