Cet article est a retrouver dans le n°10 de Boukan

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Au même titre que les régions de métropole, les territoires ultramarins sont européens. Ils bénéficient de statuts particuliers et profitent d’adaptations pour pallier les difficultés économiques inhérentes à leur éloignement géographique. Au sein de l’hémicycle strasbourgeois, les représentants des Outremer doivent se battre pour obtenir ces « traitements de faveurs » essentiels au développement des régions ultrapériphériques (RUP) ou des Pays et territoires d’Outre-mer (PTOM).

Ultrapériphériques.

Rien que la dénomination de ces régions pointe une spécificité. Au sein de la grande famille Europe, une partie des territoires se trouvent dans des zones éloignées du continent. Ce sont les régions ultrapériphériques, dit RUP. Six d’entre elles (sur neuf) sont françaises : la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Guyane, La Réunion et Mayotte, devenue département français en 2011 et neuvième région ultrapériphérique depuis janvier 2014. Les autres sont portugaises (Madère et les Açores) et espagnole (les îles Canaries).
Depuis le traité d’Amsterdam, entré en vigueur en 1999, la France, l’Espagne et le Portugal ont obtenu de l’UE la reconnaissance des « particularités structurelles des RUP », justifiant un traitement différencié. L’éloignement géographique en est une des raisons principales. « La construction européenne a été pensée sur le continent, selon un marché unique, avec une libre circulation des marchandises et des personnes… Quand on est à des milliers de kilomètres, c’est bien plus difficile », rappelle Didier Blanc, professeur à l’Université de Toulouse et spécialiste du droit dans les Outremer.
Ces aménagements ont aussi été conçus pour faire face à d’autres contraintes : « L’insularité, la faible superficie, les reliefs et climats difficiles et la dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits », décrit l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE). Une sorte de discrimination positive justifiée par des critères géographiques et économiques. Ainsi, les RUP ne font pas partie de l’espace Schengen ou du territoire communautaire, l’application de la TVA relève de la compétence des autorités nationales ou locales. Parmi les spécificités les plus visibles, l’octroi de mer, une taxe indirecte applicable sur les produits importés, assure des ressources aux budgets des collectivités et compense les surcoûts de production qui pénalisent les industries locales par rapport aux importations.

Le réflexe outremer

Au sein du Parlement européen, les quatre élus français (sur 705) portent la voix des populations ultramarines. Leur travail consiste à proposer, soutenir et appuyer des ajustements en faveur des Outremer. Le dernier en date concerne le développement énergétique de la Guyane. L’institution a adopté un amendement permettant au territoire et aux autres régions ultrapériphériques de continuer de recourir aux biocarburants, bioliquides et combustibles issus d’une exploitation durable de la biomasse. « En l’absence de cette dérogation, la Guyane se serait vue contrainte d’importer du bois ne respectant pas les normes environnementales, parmi les plus élevées au monde, auxquelles l’exploitation du bois guyanais est soumise. Cette décision aurait fragilisé le tissu économique de la région », détaille le député Younous Omarjee, président de la Commission du Développement Régional, dans un communiqué de presse.
Pour faire connaître et respecter les spécificités de chaque territoire, l’élu réunionnais Stéphane Bijoux réclame l’instauration d’un « réflexe Outremer », afin que chaque proposition législative européenne tienne compte de son impact sur les RUP. Le député européen regrette une méconnaissance de ces territoires : « Du Pacifique à l’Atlantique, en passant par l’océan Indien, nos territoires ultramarins sont parfois mal connus par les Institutions européennes. Nos potentiels sont souvent sous-estimés et la complexité de nos défis n’est pas correctement intégrée à la fois par le politique, mais aussi par les services administratifs. »

Des financements essentiels au développement

Les régions ultramarines sont parmi « les moins développées » de France, à l’exception de la Martinique, considérée comme région « en transition » pour la période 2021-2027. Ainsi, même si elles ne représentent que 3,2 % de la population française, elles ont reçu 17,4 % des fonds structurels au niveau national entre 2014 et 2020, selon un rapport sénatorial.
En tant que territoires de l’Union, elles bénéficient des subventions du FEDER (Fonds européen de développement régional) et du FSE+ (Fonds social européen plus). Des aides qui se sont élevées à 4,9 milliards d’euros entre 2014 et 2020.
En matière de politique agricole, des mesures spécifiques ont été instaurées pour soutenir la production locale. Les RUP profitent également du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture (FEAMPA) et de programmes visant à soutenir la protection de l’environnement, la gestion des flux migratoires ou encore l’innovation.
Pour Didier Blanc, ce financement européen est essentiel au développement des territoires ultramarins et ne pourrait être assumé par les métropoles. « Il est clair que, lorsque la France a mis en avant ses RUP dans le Traité d’Amsterdam, l’un des objectifs était de transférer cette part de budget vers l’UE. Par exemple, dans le budget national, il y a une ligne pour le développement de la coopération territoriale pour les DOM, l’aide s’élève à un million d’euros par an. Par rapport aux 280 millions que l’UE souhaite allouer lors du prochain exercice budgétaire [sur 7 ans], le financement français est minime. »
La Nouvelle Route du Littoral à La Réunion, le haut débit en Guyane, le centre hospitalier de Petite Terre à Mayotte, la création du Mémorial ACTe en Guadeloupe ou le « transport en site propre » en Martinique… Autant de projets rendus possibles grâce, en partie, aux aides de l’Europe. « Les sommes allouées par l’UE sont très importantes, insiste Didier Blanc. Dans les Outremer, de nombreux bâtiments publics ont été financés par des fonds européens, au moins à hauteur de 50 % ». Toutes aides confondues, l’ensemble des RUP a touché près de 13 milliards d’euros pour la période de 2014 à 2020.

L’écologique, au cœur des préoccupations

Selon le professeur de droit, les financements à venir seront en grande partie orientés vers la transition énergétique, les initiatives environnementales, les transports verts ou l’assainissement des réseaux.
Les régions françaises éloignées sont soumises au changement climatique. Les territoires sont petits, peu peuplés, parfois situés en zone volcanique. Les ouragans, cyclones et tempêtes y sont fréquents. Mais l’urgence de la transition écologique ne doit pas masquer, selon le député Max Orville, les contraintes environnementales inhérentes à ces territoires : « Nous désirons, bien entendu, aller dans le sens des directives européennes, c’est notre souhait car nous sommes soumis au dérèglement climatique, mais nos spécificités nous obligent à aller à notre vitesse. L’UE va plus vite, mais c’est plus facile lorsqu’on est sur une route droite. Les nôtres sont montagneuses et escarpées. Nous avons [du fait de l’insularité] un certain nombre de handicaps. » Ce traitement différencié revient, pour l’élu martiniquais, à rétablir une « équité de traitement afin de réduire et corriger les inégalités ».
Les dispositions prises au sein de l’Union européenne permettent aussi à ces territoires de faire face à la concurrence des produits étrangers sur les marchés internationaux. L’Europe a notamment protégé la banane antillaise, apporté une aide à la professionnalisation des filières d’ylang-ylang à Mayotte ou accordé le statut d’indication géographique protégée (IGP) à la vanille de La Réunion.

Emplacements stratégiques

Caraïbes, océan Indien, Amérique du Sud, la situation géographique des RUP permet à l’Europe d’être présente aux quatre coins du monde. « Ces territoires restent des zones d’influences et sont des représentants des valeurs de l’Europe dans le monde. Elles permettent aux institutions européennes de garder une proximité avec les grandes puissances alentour, analyse Didier Blanc. Au départ, la Commission européenne mettait en avant les difficultés des RUP, mais à présent, elle est bien consciente que ces territoires sont dotés d’atouts. » Et parmi eux, une biodiversité riche, un domaine maritime exceptionnel, le centre spatial guyanais, etc.
L’intérêt de ces régions pour l’Union européenne est sans équivoque. À l’inverse, les populations ultramarines ne voient pas toujours l’Europe des vingt-sept comme leur meilleur allié. « Il y a un déficit de communication dans nos RUP sur l’apport de l’UE. On voit systématiquement les freins et pas les atouts », estime Max Orville. Il est vrai qu’il est parfois plus facile, au regard de l’histoire, de se sentir îliens, océaniens, antillais ou caribéens.
Mais pour Didier Blanc, cette relation s’inscrit surtout selon le rapport existant entre l’île et sa métropole. « Plus un territoire ultramarin veut se différencier ou marquer son autonomie, moins il n’a d’intérêt à s’inscrire dans le droit commun de l’Union européenne ».

Les PTOM, européens, mais de loin

L’Union européenne distingue deux catégories de territoires ultramarins : les régions ultrapériphériques (RUP), pleinement intégrées à l’UE, et les Pays et territoires d’Outre-mer (PTOM), considérés comme « associés ». À la suite du Brexit, son nombre est passé de 25 à 13. Ils sont à présent liés à trois pays : les Pays-Bas, le Danemark et la France. Parmi eux, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Saint-Barthélemy et les Terres australes et antarctiques françaises.
Tous les habitants de ces territoires ont un passeport européen, c’est davantage à l’échelle économique qu’une différenciation avec les RUP s’opère. « Bien que faisant partie intégrante d’un des États membres, les PTOM ne sont pas considérés comme faisant partie du territoire de l’Union européenne », peut-on lire dans un rapport sénatorial. À ce titre, le droit communautaire ne s’applique pas directement à ces régions. « Les Ultramarins sont soumis au droit européen par exception, à l’inverse des RUP qui font l’objet de dérogation pour ne pas y être soumis », précise Didier Blanc.
C’est l’article 198 du TFUE qui fonde les bases de l’association de ces territoires à l’Union européenne. Les PTOM, réunis au sein de l’Association des pays et territoires d’Outre-mer de l’Union européenne (OCTA), bénéficient du Fonds européen de développement (FED), mais aussi de dotations financières territoriales selon les secteurs et les projets.
L’aide accordée par l’UE aux PTOM entre 2008 et 2013 était de 286 millions d’euros. De 2014 à 2020, le montant total s’est élevé à 364,5 millions d’euros.

Marion Durand
Photos Paul Marin Talbot, IlLustrations Sylvain Lequeré