La Polynésie française a récemment entrepris la révolution digitale de son économie. Le gouvernement polynésien en a fait une priorité à travers son programme “ Smart Polynesia 2025 ”.

En inscrivant le numérique au cœur de son modèle de développement, le territoire ultramarin tente de relever le défi de son isolement et de la distanciation géographique de ses îles. Le Pays souhaite saisir cette opportunité de croissance et d’emplois nouveaux. L’objectif affiché est clair : « 8 points de croissance en dix ans grâce à cette industrie. » Même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre cette ambition digitale, la Polynésie a assurément enclenché son virage numérique.

Des investissements lourds face aux contraintes insulaires

Pour un territoire aussi vaste que l’Europe et réparti sur 118 îles et atolls, la mise en place d’une infrastructure moderne nécessite des investissements extrêmement coûteux. « Le Pays a investi plus de 21 milliards [de FCFP] pour relever le défi de sa géographie et de l’inclusion numérique » synthétisait DIXIT, la Revue économique sociale et culturelle de Polynésie française dans son édition 2019-2020.
En 2010, le câble sous-marin à fibre optique Honotua a permis aux îles de Tahiti, Bora Bora, Raiatea, Huahine et Moorea d’accéder à un internet de haut débit, et selon la revue DIXIT « de multiplier par 30 le débit (de 0,6 à 14 Gigabits par seconde) ». Le câble Natitua (2018) a ensuite relié les Tuamotu et les Marquises à l’internet mondial. Puis en janvier 2020, un second raccordement à l’international est venu sécuriser le système actuel par le câble Manatua.
Le défi de l’inclusion numérique reste encore à être solutionné pour les archipels plus éloignés comme aux Gambier ou aux Australes. Olivier Kressmann, président de la French Tech Polynésie alerte aussi sur la problématique des « « boucles locales non abouties, qui ne permettent pas une pleine exploitation en haut débit en intra-muros de l’île notamment pour la connexion des écoles et des dispensaires ».

L’émergence de l’écosystème digital polynésien

Les infrastructures fiables et modernes sont une condition essentielle, mais pas suffisante à l’émergence d’un écosystème digital : « Du contenu, du contenu, du contenu », insiste Olivier Kressmann. Pour lui, « le programme Smart Polynesia a donné un vrai élan au digital en Polynésie » et constitue le socle de sa transformation numérique. Le plan regroupe 70 mesures qui impliquent la collaboration entre pouvoirs publics et acteurs privés.
Depuis, un écosystème local émerge et se structure autour du numérique : Digital Festival Tahiti, incubateur, plateforme locale de financement participatif, aides publiques pour les entreprises du digital, création de la Polynesian Tech labellisée French Tech Polynésie, etc. sont autant d’initiatives enclenchées par les acteurs publics et privés de cet écosystème.

Futur hub d’innovation du Pacifique Sud ?

« Les territoires d’Outre-Mer français peuvent devenir de véritables hubs numériques. Hub numérique, c’est le souhait de la Polynésie française que nous soutenons et encourageons » ; le Président Emmanuel Macron prononçait ses mots de soutien le 23 octobre 2019, lors d’une visite à La Réunion.
En tant que 1er territoire ultramarin à être labellisé “French Tech Community” en avril 2019, aux côtés de La Réunion, la French Tech Polynésie se positionne comme une terre d’innovation dans son environnement régional océanien.
La French Tech Polynésie a lancé à l’échelle mondiale, la 2e édition de son concours Tech4Island Awards pour faire émerger des solutions innovantes « PAR et POUR les îles d’après».
« Au-delà du seul “numérique”, la dynamique Tech4Islands vise à construire une vision REBOND appuyée sur des solutions innovantes concrètes et rapidement déployables à l’échelle des îles, des technologies plus écologiques et durables au service de nos contraintes et opportunités insulaires, low tech inclues » indique Muriel Pontarollo, Déléguée Générale de La French Tech Polynésie et Représentante des Outre-mer au Conseil National des Capitales et Communautés French Tech.

Tourisme : rayonner à l’international grâce au digital

Comme ailleurs dans le monde, le digital influence profondément l’économie touristique polynésienne, un secteur économique majeur pour ce paradis insulaire.

Grâce au numérique et aux plateformes de réservation en ligne, les pensions de famille bénéficient aujourd’hui d’une visibilité à l’international. Tahiti Info rapportait récemment  : « Les données de deux des principales plateformes (Airbnb et HomeAway) font aujourd’hui état d’un marché florissant qui a doublé en deux ans, pour atteindre la barre des 4 milliards de FCFP. ».
En lançant la vitrine digitale DestinationMarquises.com, Kohu Barsinas et Pascal Erhel Hatuuku tentent de créer un élan pour un nouveau tourisme au sein de cet archipel, qui soit plus responsable, plus solidaire et plus communautaire. « La première raison d’être de Destination Marquises c’est de mettre en lumière l’archipel auquel nous appartenons. Notamment en permettant d’accéder à un ensemble d’informations et d’expériences sur les îles du Fenua Ènata », présente Kohu Barsinas.

La crise sanitaire, accélératrice du commerce en ligne

8 jours seulement après le début du confinement, Gaël Manès et ses 2 associées ont lancé “Magasin d’Urgence”, une boutique en ligne apportant un soutien aux entreprises et artisans locaux impactés par la crise. Ils ont été les premiers à proposer sur Tahiti un concept couplant le paiement en ligne et la livraison. « D’autres entreprises ont suivi le mouvement, l’avantage est que cela a ouvert la voie » explique Gaël Manès. Tahiti Nui Télévision indique également : « la crise sanitaire [liée au Covid-19] et le confinement ont accéléré le passage au digital des entreprises. Beaucoup ont rapidement choisi de s’adapter en proposant leurs services et/ou produits en ligne.». Dans le même article, Vincent Fabre, Président de l’Organisation des professionnels de l’économie numérique (OPEN) nuance : « Globalement, cela reste insuffisant en nombre et en diversité au regard des services qui étaient attendus par la clientèle (…) Il est important que dans cette période d’allègement du confinement puis de déconfinement, les entreprises s’attachent à développer des services en ligne. À la fois des services marchands, des services de paiement en ligne, de livraison à domicile.»

Le paiement en ligne, une transition difficile

Alors qu’ailleurs dans le monde émergent les FinTech et NeoBanques…, les services bancaires polynésiens et notamment les modes de paiement peinent à se digitaliser. Arthur Ceccaldi, consultant en transformation digitale et porteur du projet Hello Scoot’ apporte des explications : « Les cartes bancaires locales [très implantées en Polynésie] sont rarement acceptées sur les plateformes internationales de paiement en ligne ». La solution PayZen proposée par l’Océanienne des services bancaires (OSB) est l’unique système local de e-paiement sécurisé. « Il a le mérite d’exister, mais n’est pas encore intégré à la majorité des applications » ajoute Arthur ; ce qui engendre des coûts de développement supplémentaires pour les entrepreneurs.

Les risques environnementaux du tout digital

Pour ce territoire contraint à la fois par son isolement et sa fragmentation géographiques, les outils digitaux permettent de s’affranchir des distances : télémédecine, dématérialisation des services publics, e-éducation, etc. L’enjeu est considérable pour désenclaver les îles et atolls éloignés, améliorer les conditions de vie et créer de nouveaux emplois.
Ces technologies très énergivores sont cependant de plus en plus pointées du doigt. CNRS Le Journal alertait en 2018 de l’« effet rebond » sur le numérique : « Réduire la consommation des voitures n’a pas permis d’utiliser moins d’essence, elle a juste permis aux automobilistes de faire plus de kilomètres ». La pollution numérique apparaît comme un élément supplémentaire à prendre en compte dans la révolution digitale polynésienne qui repose sur une énergie fortement carbonée.

Texte de Sarah Coutaudier
Photos de Noémie Debot Ducloyer
Illustration Marie Verwaerde