USGHS06_CV01Il y a quelques décennies, les Amérindiens kali’na vivaient dans des villages et dormaient en hamac. Leur alimentation provenait principalement des légumes et des fruits de l’abattis (manioc, dachine, banane…), de la pêche, de la chasse et de la cueillette. Tous parlaient leur langue. Les hommes savaient naviguer, pêcher et construire des carbets. Beaucoup étaient à la fois chasseurs, vanniers, conteurs. Les femmes savaient confectionner les hamacs, faire des poteries, transformer le manioc en kasilipo, kuwakɨ ou alepa. Tous travaillaient à l’abattis et connaissaient les plantes médicinales. C’était ainsi depuis des générations. La question d’ “ être Kali’na” ne se posait pas.
Si ces usages sont encore bien présents, la situation a fortement évolué. L’électricité a fait apparaître les réfrigérateurs, le poulet congelé, les télévisions. Les emplois et les aides sociales ont apporté l’argent. Les moteurs hors-bord sont arrivés, puis les voitures, les téléphones portables.
Aujourd’hui les jeunes kali’na vont à l’école, sont connectés au monde via internet. Certains partent habiter à Cayenne, Kourou, « en France » (Pawu). La vie quotidienne de ces jeunes est clairement moins “ traditionnelle ” que celle de leurs aînés. Pour la grande majorité, ils sont fiers d’ “ être Kali’na” et souhaitent voir perdurer leur culture. Par leur vie, ils dessineront qui seront les Kali’na de demain. Et en les écoutant, on devine ce qui sera conservé, ce qui sera adapté, modifié et ce qui risque de disparaître.

“ ÊTRE KALI’NA” : TRÈS IMPORTANT…

« C’est très important pour moi ». Voilà la réponse qui revient le plus souvent lorsque l’on discute du sujet avec les jeunes de Awala-Yalimapo. Les idées associées à cette importance sont variées.
« C’est moi, ça fait partie de mon identité » Meiya
« J’aime ma culture parce que j’y trouve ce qui me correspond » A.
« C’est une chance, ça représente une richesse de culture  » Daniel.
« C’est important parce que c’est quand même mon identité. Avant de se définir en tant que personne, il faut d’abord connaitre ses origines. Avoir un repère » Savannah
Pour certains, cette importance a été soulignée par l’éloignement : « Je m’en suis plus rendu compte depuis que je vis en France. J’ai une culture » Jalen.
Le mot « fierté » revient aussi très fréquemment. Ainsi, pour Daniel « il faut toujours être fier de ce qu’on est et d’où l’on vient. De cette richesse que l’on a et que les autres n’auront jamais ». Pour Meiya « c’est une fierté d’avoir une langue propre à nous ». Pour d’autres, comme Savannah, si “ être Kali’na” est important, ce n’est « pas une fierté, mais un respect, car c’est une valeur propre à nous. Je suis Amérindienne je suis née ainsi ».

… MAIS PAS TOUJOURS FACILE

Hors du village, nombre de personnes voient la culture kali’na avec intérêt et curiosité. Les questions et les attentes sont souvent importantes. Et pour les jeunes de Awala-Yalimapo, il n’est pas toujours facile de satisfaire ce regard extérieur. Certains soulignent que « dans l’imagerie collective, si on ne sait pas chasser à l’arc ou faire de la vannerie on n’est pas un bon Indien ». Youani, qui a fait ses études dans l’Hexagone, le confirme : « Quand tu discutes avec des métropolitains, être Amérindien c’est une pression. On doit tout savoir. Être une encyclopédie »
À l’intérieur du village, les jeunes doivent aussi vivre avec le regard de leurs aînés. Une partie de cette pression porte sur des compétences traditionnelles : savoir faire un carbet, travailler à l’abattis… Une autre semble moins spécifique à la culture kali’na… Ainsi certaines jeunes filles du village ont entendu plus d’une fois : « tu n’as toujours pas d’enfant. Tu vas devenir vieille fille. Les Kali’na disparaissent, il faut perpetuer les lignées ».

QUI EST KALI’NA ?

Si les jeunes accordent une grande importance au fait d’“être Kali’na”, lorsqu’ils sont interrogés sur les critères qui définissent le fait d’“ être Kali’na” ou non, peu ont une réponse toute prête à la question. Ils prennent souvent un temps de reflexion, puis listent un certain nombre de critères. Parler la langue est celui qui revient le plus fréquemment. Puis ils terminent souvent en disant : « c’est un peu tout ».
« Savoir parler la langue. Connaître au minimum les coutumes. Préserver ce que nous ont appris nos parents, la tradition, la culture, ce que l’on doit savoir » Savannah.
« C’est un peu tout. Parler la langue. Naître ici, être élevé ici » Jalen.
« Essayer de mener la vie comme les anciens » Alan.
« “ Être Kali’na” c’est un ensemble des choses. C’est toute la culture » David.
Alors que pour les générations plus anciennes le sang semble être un critère important pour déterminer qui est Kali’na ou pas, presque aucun des jeunes interrogés n’a abordé le sujet de lui-même. Quand la question est posée, ils disent souvent « oui », parfois peu convaincus. Certains s’interrogent même sur l’intérêt de ce critère : « le sang, je ne dirais pas que c’est important, car de nos jours il y a beaucoup de métissage. Moi, si aujourd’hui on me fait une prise de sang, on y trouvera peut-être du sang espagnol ou européen…» explique Savannah.
La question du sang semble finalement un critère plus important pour les métisses amérindiens à la recherche de leur identité. Yann détaille : « Comme disait ma demi-sœur, tu es Kali’na de toute façon, quel que soit ce que les gens te disent, tu es Kalin’a, que tu sois métis ou pas. Personne ne va te dire que tu n’es pas Kali’na ».
Alan propose une bonne synthèse du sentiment général : « s’ils se sentent Kali’na ils sont Kali’na… mais si tu te sens Kali’na sans parler ta langue c’est quand même bizarre ». Certains Kali’na vivant en ville, s’accordent avec cette définition générale et son caractère ambigu. Ainsi T. estime que « la langue, c’est la base pour “ être Kali’na” normalement. Mais j’ai un peu de mal à parler kali’na. Ça ne veut pas dire que je ne me sens pas Kali’na pour autant.“ Être Kali’na” au-jourd’hui c’est un peu compliqué je trouve ».

J’AIME…

Lorsque l’on échange sur les éléments de leur culture qu’ils aiment le plus et qu’ils ne souhaitent pas voir disparaître, les jeunes de Awala Yalimapo citent généralement trois aspects. L’alimentation et la cuisine arrivent souvent en premier.
« La cuisine : le kasilipo, le kasili, le kwak… » Jalen
« Kasilipo, kwak. La plupart des jeunes qui partent en métropole, ils demandent tout le temps ça » Henrique
« La nourriture. J’étais à Cayenne pendant deux semaines, ça m’a déjà manqué » Meiya.
Un deuxième élément qui est jugé essentiel est la langue.
« Si la langue disparaît ce serait terrible » Meiya.
« Que la langue disparaisse. La vrai langue. Parce que la langue que l’on parle aujourd’hui est mélangée avec des expressions d’autres langues » Savannah.
« Que notre langue disparaisse un jour, c’est ce qui me fait le plus peur » T.
Ensuite viennent les cérémonies traditionnelles comme le epekotono et tout l’univers artistique qui y est lié : musique, peintures corporelles…
« Nos traditions les plus anciennes comme le epekotono » Daniel.
« L’art kalina, les tatouages, epekotono… les jeunes en perdent le sens » Meiya.
« La culture, les rites, les chants traditionnels, les symboles, les dessins, il ne faut pas en perdre la signification » T.

MOINS…

Lorsque l’on évoque des parties de leur culture qu’ils aiment moins et qu’ils verraient disparaître sans être trop affectés, la réponse est généralement : « il n’y a pas de chose que j’aime le moins, je vois vraiment tout comme une richesse » David.
Si l’on insiste, une des réponses fréquentes rejoint celle de Jalen : « plutôt ce que je n’ai pas trop connu. Mon arrière-grand-père était shamane. S’il était encore en vie je serais grave intéressé à ça. Mais j’étais petit. Vu que j’ai grandi sans ça, ça ne me manque pas. Par contre petit on m’a amené dans les epekotono alors ça oui pour moi c’est important ». Pour d’autres comme Meiya, « tout est important. Le shamanisme a presque disparu aujourd’hui. Ça fait vraiment de la peine ».
Après un moment d’hésitation, les jeunes filles abordent aussi fréquemment une autre problématique. Savannah s’interroge : « peut-être la place de la femme. On est au 21e siècle. La femme est indépendante. La femme doit rester au carbet, faire la cuisine… c’est fini. Nous aussi on peut pêcher, on peut chasser. Il n’y a pas que les hommes »

CONSCIENCE ET RESPONSABILITÉ

Lorsque l’on demande aux jeunes de Awala-Yalimapo s’ils ont conscience du danger de disparition qui menace leur culture, les réponses sont variées.
« Je n’ai jamais réfléchi à ça. Mais dans le futur, si personne n’apprend à faire le kasilipo, ben c’est mort » Jalen.
« On essaie de la préserver, mais il ne faut pas se mentir, ça disparaît. Tout le monde ne fait pas les efforts pour la préserver » Savannah.
« Je pense que dans quelques années ce sera difficile. Dans ma famille on y pense tous les jours. C’est grave même » Meyia.
Toutefois, peu se sentent aujourd’hui responsables de son future et s’investissent déjà au quotidien pour qu’elle perdure. Yann le souligne : « c’est une chose de reconnaître son héritage et c’est une autre de s’impliquer pour améliorer la vie de ta communauté ».
Comme Henrique, beaucoup se disent « prêts à faire des efforts pour que la culture se maintienne », mais ne se sentent pas « devant le problème » et par conséquent ne voient pas le besoin de « faire des actions ». D’autant que si tous aiment manger le kasilipo, certains soulignent que « aller à l’abattis pour les jeunes, c’est une honte. C’est ringard ».
Les jeunes Kali’na ont généralement conscience de ce qu’il faudrait faire pour conserver leur culture.
« Ma responsabilité serait de faire en sorte que tout cet héritage reste, de le protéger. De m’impliquer en apprenant les usages et, moi aussi, de les transmettre » David.
Par contre, sur l’avenir de la culture kali’na, les avis divergent. Si certains sont « plutôt confiants sur le fait que ça va se bouger, quand on sera face au problème » (Jalen), d’autres sont plus pessimistes.
« Ça va être difficile de tout sauver, la société est en constante évolution, il y a des rites et des histoires qui vont disparaître. C’est important, je pense, d’en avoir conscience » Youani.

“ ÊTRE KALI’NA” DEMAIN

La grande différence entre les jeunes Kali’na d’aujourd’hui et leurs aînés est qu’ils ont un éventail de possibilités plus large.
« On a le choix de voir énormément de choses et de ne pas se centrer sur sa culture, on a le choix de voyager et de voir ailleurs. Ce sera difficile dans l’avenir parce que notre esprit sera un peu éparpillé dans toutes les cultures du monde » Taliluwala
« On a le choix de tout faire, le choix de vivre dans la tradition » Yann.
Si la majorité des jeunes semblent vouloir “ être Kali’na”, tous n’ont pas la même vision de ce que cela signifie. Pour certains, « ce qui est ancien est sacré ». L’objectif est donc de « faire aussi bien que les anciens ». D’autres préfèrent choisir les parties de leur culture qu’ils intégreront à leur vie.
« Si tu veux faire une fusion, mélanger nos coutumes et habitudes avec celle du monde qui nous entoure, tu peux inventer ta propre chanson » Youani.
Certains soulignent que ce choix n’est pas nécessairement nouveau et que d’autres l’ont déjà fait avant eux. « Par exemple ma belle-mère, il y a des choses qu’elle ne fait plus. Elle a pris le meilleur, elle ne rejette pas sa culture, elle a fait le choix de l’appliquer dans certains aspects de sa vie, surtout avec l’intensité avec laquelle elle voulait appliquer ».
Beaucoup de jeunes de Awala-Yalimapo soulignent leur envie d’être « Kali’na mais pas que Kali’na ». Ils ne veulent pas s’effacer derrière la communauté mais exister en temps qu’individu. Les réseaux sociaux ont probablement participé à cette évolution. Et si les jeunes de Awala-Yalimapo souhaitent comme leur aînés « demeurer Amérindiens », le « moi kali’na », l’individu, commence à se faire une place au sein du « nous kali’na », plus communautaire.

Texte Youani Tiouka & Johan Chevalier
Illustration Yann Kayamaré
Photos Samia Maquigny & Johan Chevalier