La Guyane a dû attendre le milieu des années 90 pour qu’une portion de son immense forêt soit interdite à la chasse. Alors que le territoire fait aujourd’hui face à une raréfaction de certaines espèces de gibier, l’Office français pour la Biodiversité (OFB) met en place depuis 2017 un premier permis de chasse, qui fait encore face à une contestation politique et citoyenne.

Depuis août 2020, l’Office français de la Biodiversité assure en Guyane des formations théoriques et pratiques sur la sécurité, le maniement des armes et la législation en matière de protection animale, pour permettre à ceux qui le souhaitent de passer gratuitement leur permis de chasse. Véritable chemin de croix pour l’OFB qui a dû faire face depuis des années à une vraie contestation politique et citoyenne. Beaucoup de Guyanais insistent sur cette exception culturelle et compte encore sur la chasse pour nourrir leurs familles et arrondir les fins de mois. Mais les mentalités évoluent, face à une volonté globale de rapports plus harmonieux entre l’homme et la nature qui l’entoure.

Le cas clinique du permis de chasse en Guyane

« Les Guyanais sont traqués», a déclaré dernièrement sur Tweeter Lénaïck Adam, député de Guyane, pour évoquer le permis de chasse en Guyane. Le conflit ne date pas d’hier, le dossier est chaud, épidermique pour certains.
On peut dire que le chemin aura été long, avec près de 40 ans de retard sur la législation française, la Guyane reste une exception dans le paysage français et ultramarin en matière de chasse, même si depuis la loi de février 2017, dite loi « égalité réelle Outre-Mer », le péyi a dû rentrer dans le rang.
Territoire doté d’une richesse incomparable pour sa biodiversité, les pratiques d’interactions entre l’homme et l’animal n’en sont que plus nombreuses et diverses. Chaque population, ethnie et communauté ayant leurs propres rapports à la nature, avec son lot de pratiques culinaires, de croyances et de contradictions.
Il aura donc été difficile pour François Korysko, chargé de la mise en place du permis et de la logistique des formations, d’imposer cette nouvelle façon de penser la chasse en Guyane. Confronté à la négation pure de certains chasseurs, portant à travers l’étendard de la chasse des valeurs conservatrices, directement liées au désir de certains d’indépendance vis-à-vis de l’Hexagone et du Ministère de l’Environnement, l’OFB assiste parfois, impuissant, à un refus de compromis et un déni total des quotas de chasse mis en place, ou des espèces classées comme protégées.
Mais pour François Korysko, le problème est ailleurs : « L’une des problématiques principales autour de la chasse en Guyane reste l’explosion démographique à l’œuvre depuis plusieurs années. On ne peut tout simplement pas continuer à prélever des espèces de la même façon qu’il y a 30 ans. La société guyanaise évolue, et son rapport à la forêt et aux populations animales doit suivre lui aussi. » 350 permis ont donc été délivrés depuis août 2020 et des formations (gratuites jusqu’en 2023) dispensées par des référents, eux-mêmes chasseurs, dispersées sur toute la Guyane.
La moyenne d’âge allant de 40 à 60 ans, l’OFB aimerait cibler un public plus jeune, peu représenté pour le moment, afin de sensibiliser plus tôt sur les enjeux de la réglementation et de la protection de certaines espèces, face à une génération plus « bornée » de chasseurs vieillissants.
Conter la forêt

Ambroise Candido, nous récupère au dégrad de Sinnamary avec Claire Louges, chargée d’analyser les formulaires de sortie de chasse des référents de l’OFB. La pirogue et le fusil chargés, nous partons explorer les layons de Candido sur le fleuve Sinnamary. Ma casquette s’envole, Candido m’en prête une couleur treillis. Il cherche principalement des cochons bwa, du pécari, et peut-être quelques oiseaux.
Sur la trace, il prend le temps de nous parler des plantes et des graines, s’arrêtant parfois après avoir entendu quelque chose ou pour casser une petite branche sur notre passage pour nous repérer. Sa lecture de la forêt est impressionnante. « Les cochons sont passés là il y a 2 jours » nous montre-t-il dans une zone très boueuse. Plus loin, il se penche pour nous indiquer une empreinte, « ils sont suivis par le jaguar ». Le chasseur-roi de ces forêts nous a devancés.
Candido est enquêteur-chasse pour l’OFB, il leur apporte des données sur ses pratiques de chasse (moyen de transport, nombre de chasseurs, durée, prises), et fait preuve d’une impressionnante pédagogie, mais tous les chasseurs ne sont pas aussi lucides que lui. Il nous montre sur son téléphone des images de prises illégales qui tournent sur certains groupes whatsapp ou explosant les quotas, comme cette photo de 11 caïmans alignés d’une balle dans la tête. « Il y a quelques années, un gars est devenu fou, il a tué 80 cochons. On ne fait pas ça. »

Le fleuve

L’intense diversité du territoire guyanais impose cependant un traitement différent des pratiques de chasse, et le fleuve Maroni n’est pas ici un simple cas particulier, c’est à lui seul tout un monde. Les villages Boni, héritiers des Noirs-marrons, évadés des plantations et refusant l’esclavage, ou les villages amérindiens du Haut-Maroni, qui parsèment le fleuve, ont tous une histoire et une relation très forte à la forêt, et en ont toujours traditionnellement tiré parti, en coexistant avec cette nature extrême à laquelle ils se sont brillamment adaptés. Cultiver l’abattis, poser son filet, vivre libre et selon ses règles.
Ce fleuve, au puissant courant de croyance animiste, est donc nécessairement un territoire de chasseurs. Les villages situés sur le Maroni sont classés en Zone de droit d’usage collectif (ZDUC), mais doivent cependant respecter la loi sur les espèces protégées.
Des listes mises à jour en 2015 pour les oiseaux, en 2020 pour les reptiles et en 1986 pour les mammifères. Ces mesures sont évidemment contestées par nombre de chasseurs amérindiens ou bushinengués. Pour beaucoup, une mise à jour s’impose, mais le cadre de réflexion est titanesque, selon François Korysko.

Inventaire

À Maripasoula, je rencontre Guillaume Longin, officiellement “ chargé de biodiversité ” pour le Parc amazonien de Guyane, qui est cependant bien plus, par son important travail de recherche, mais aussi pour sa qualité de négociateur privilégié des chefs coutumiers et des populations autochtones. Il entamait récemment des négociations attendues depuis longtemps avec des chefs de villages Aluku au sujet de dérogation de prélèvement du Kwata, une espèce de singe protégée, appréciée pour sa chair, mais aussi pour ses vertus liées à des croyances et des pratiques cultuelles.
En 2011, Guillaume attaquait une importante étude d’inventaire des pratiques de pêche et de chasse sur une partie du fleuve. Fourmillant de précieuses données sur les zones chassées ou celles sanctuarisées, « zones puits et zones sources ». Il estimait à l’époque le nombre de « chasseurs-potentiels » à 600. Il constate aujourd’hui un certain déclin de ce chiffre, il l’explique très concrètement : « Partir chasser doit s’organiser aujourd’hui, c’est toute une logistique, c’est décourageant », il y voit ce qu’il appelle « une perte de spontanéité », et il l’appuie en évoquant la pression exercée par les orpailleurs : « À Maripasoula, de nombreuses pirogues ont été volées par les orpailleurs illégaux ces dernières années. » Quelques jours plus tard, je serai moi-même témoin de cette logistique. Guillaume m’a présenté Bakalaï, grande gueule officielle de Maripasoula, autour d’un ti punch. Avec une pirogue prêtée et un moteur loué à une baronne appelée Dédé, côté Suriname, nous partons chasser avec ses 3 filles. Nous installons notre camp après le saut Simayé. Bakalaï va se reposer avant notre sortie de nuit, pendant ce temps les 3 gamines s’affairent et commencent à pêcher sous la lumière plongeante d’un coucher de soleil amazonien.
En aluku, il existe un mot pour désigner la chasse et la pêche sous un même terme, onti. Pour beaucoup de chasseurs et pas seulement ceux du fleuve, chasser et pêcher vont de pair.

Richesse animale

« Dans 15 ans, il ne restera plus de faune visible en Guyane, et après on vient se plaindre des problèmes de développement du tourisme en Guyane… ».
En Guyane, les voix qui s’élèvent contre la chasse ne sont pas nombreuses et ne font pas beaucoup de bruit. Cette voie implique de pouvoir encaisser les provocations et la pression de certains chasseurs. Jean-Philippe Magnone a déjà fait les frais de la pensée réactionnaire de 4 d’entre eux, débarquant cagoulés, armés de leurs fusils sur sa propriété. Depuis 2016, il accueille, soigne et relâche au sein de son refuge, ONCA, des animaux sauvages blessés. Singes, fourmiliers, boas percutés par des voitures, saisies chez des particuliers ou victimes des plombs des chasseurs, dont un bon nombre de jeunes singes devenus orphelins. « Les tapirs ne font naître que un petit tous les 3 ans, et ils sont encore autorisés à en tuer un par tête de pipe de chasseurs présents, c’est absurde. »
À l’ombre de certains radars, Jean-Philipe est seul dans son combat, qu’il mène en vrai guerrier, isolé avec ses singes et ses chevaux sur la piste Risquetout à Montsinéry. Il ne comprend pas l’obstination et cette lenteur bureaucratique à ne pas protéger certaines espèces. « Les intérêts politiques ont le dernier mot et continuent de caresser le chasseur dans le sens du poil. La frilosité politique est l’un des principaux freins à la mise en place de ce permis en Guyane. »
Après de profondes méfiances et remises en cause, il semblerait que le bouche à oreille fasse son travail et que le permis ait marqué des points. Partout sur le territoire, les sessions de formation sont complètes chaque mois. Les objectifs de réduction de la circulation des armes ainsi qu’une meilleure connaissance des consignes de sécurité font leur chemin et séduisent de plus en plus de chasseurs voulant montrer l’exemple. Peut-être que cette compétition millénaire pour les ressources, devenue conflit de biodiversité moderne, pourrait trouver en Guyane de précieuses pistes de réflexion pour une harmonisation des rapports entre l’homme et la nature. Alors que le débat est toujours aussi virulent en France métropolitaine, polarisant de plus en plus la population, la Guyane pourrait se révéler être le meilleur laboratoire de ces interactions raisonnées et d’une vraie politique de préservation de la biodiversité.

Texte et photos Thibault Cocaign ( Mise à jour en août 2021 )