Il y a eu Quesnel, aujourd’hui Wayabo et bientôt Risquetout. Ces trois secteurs agricoles sont pressentis pour l’installation d’unités de transformation, d’enfouissement des poubelles et de production d’énergie. Le sursis donné à la décharge des Maringouins de Cayenne touchera à sa fin en 2020. Un projet doit lui succéder. Deux projets sont en concurrences : l’un porté par la  à Quesnel ouest et l’autre par le groupe Séché à Wayabo et à Risquetout. L’instruction de ces dossiers n’a pas encore débutée, mais déjà la fronde des riverains se fait entendre.

Ils croyaient l’invraisemblable derrière eux. Mais c’est un nouveau coup sur la tête qu’ont reçu il y a quelques mois les dizaines d’exploitants de Wayabo, zone agricole de 4 500 hectares reliée au secteur de Matiti par vingt kilomètres de bitume plus ou moins mité, sur la commune de Kourou.  Ils apprenaient qu’un projet porté par le groupe français Séché envisage l’implantation d’un site d’enfouissement des déchets non dangereux (appelé : installation de stockage des déchets non dangereux – ISDND) en plein cœur de cette aire agricole de 90 parcelles et à quatre kilomètres à vol d’oiseau de la station de pompage du réseau d’eau collectif de la communauté d’agglomérations du centre littoral (CACL). « L’installation sur Wayabo a été très compliquée, témoigne Benoît Burban, pluriactif et installé avec sa compagne depuis 2006 à des fins d’élevage ovin et caprin. Le projet Séché c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Si ce projet voyait le jour, pour nous, notre projet s’arrêterait là. »

 Wayabo, un aménagement très conflictuel

wayabo2Engagée il y a près de quinze ans sur fonds publics (opération chiffrée à 7 M€ en 2015) et sur de la forêt primaire, l’opération foncière à Wayabo – portée par l’Epfa Guyane (Etablissement public foncier et d’aménagement) – devait être la première opération d’aménagement de ce type débouchant sur la vente de foncier de l’Etat à des exploitants auditionnés. Mais l’inédit s’est enlisé pour beaucoup, à mesure que tardèrent l’acte de vente et la concrétisation des promesses de l’installation d’un réseau d’eau, d’électricité et d’un maillage viaire costaud.

« Wayabo venait juste d’être redynamisé, se lamente Anne-Fleur Beaulieu, maraîchère labellisée bio arrivée au cours de la deuxième vague d’installation en 2016. La parcelle forestière qu’elle occupe se situe juste en face du terrain pressenti pour cacher 100 000 tonnes de déchets par an. Je ne vais pas vivre avec une décharge en face de chez moi parce que ça veut dire des bulldozers 24h/24h, des camions, des gens qui vont graviter autour. Ce n’est pas compatible avec nos projets. Je suis en train de planter et d’arracher tous les jours en vivant avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. »

Après avoir prospecté la zone, la filiale Séché Eco Industries (SEI) a jeté son dévolu sur la propriété d’un récoltant d’açaí labellisé bio (sic). A la barbe des « clauses anti-spéculatives » – théoriquement garantes de la non artificialisation des sols – figurant au contrat signé entre l’Epfag et les bailleurs/propriétaires de Wayabo, le cultivateur d’açaí a opté pour une location de sa parcelle au groupe français, représenté pour la partie foncière, par trois hommes connus dans le milieu des affaires, MM Bossou, Guicheron et Narayanin, élus en septembre dernier à la chambre de commerce et d’industrie de la Guyane. « A Wayabo il y a des clauses pour éviter que les terrains agricoles ne soient revendus à prix d’or pour des opérations immobilières, note Boris Rotsen, directeur du développement économique et de l’agriculture à l’Epfag. On a protégé le foncier sur la vente. Le propriétaire ne vend pas. Aujourd’hui il y a peut-être un vide sur lequel on doit travailler ».

Sollicité par Une Saison en Guyane, Thierry Sol, le porte-parole de SEI en Guyane n’a pas souhaité s’exprimer au motif que le groupe est au « stade de constitution du dossier » au vu d’une instruction par la direction régionale de l’équipement, de l’aménagement et du logement (DEAL). « Là, il y a une forte obligation de réserve de l’administration, on lui laisse le privilège de se faire son opinion. Une communication de notre part dans la presse pourrait être mal considérée » … nous oppose le siège à Paris, pourtant très bavard ces derniers mois dans la presse guyanaise. Reste que le groupe, déjà présent à la Guadeloupe, « a décidé de se développer Outre-mer et sur le continent sud-américain. Nous avons acquis des sites de traitement des déchets au Pérou et au Chili : dans le désert d’Atacama, dédié au traitement des déchets miniers » énumère le service communication.

Sollicitée par Une Saison en Guyane, la Deal n’a pas non plus souhaité s’exprimer. Pas plus que les élus de la majorité municipale de Kourou.

 Une chaudière à Risquetout ouest

D’ailleurs, le dévolu jeté par Séché en Guyane dépasse de loin Kourou. Et ce qui secoue en ce moment Wayabo pourrait très prochainement éclater à Risquetout car SEI porte un dossier connexe d’installation d’une chaudière CSR (combustibles solides de récupération), sur un terrain privé aux environs du premier kilomètre de la piste Risquetout ouest, sur la commune de Montsinéry-Tonnégrande (administrée par Patrick Lecante, aussi 1er vice-président de la CACL) et reliée à Wayabo par une piste forestière. Le procédé – nouveau en France – consiste à transformer en vapeur d’eau l’incinération de déchets non recyclables comme en fait état le groupe dans un article de Ouest-France (05/10/17) https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/laval-53000/change-le-groupe-seche-inaugure-la-chaudiere-qui-alimentera-laval-5293506).

Oranges et poubelles, un étrange voisinage

 Qu’il s’agisse de Wayabo, Risquetout ou du projet concurrent porté par la CACL sur la piste Quesnel ouest à Macouria (ISDND + production d’électricité à partir des gaz issus de la décomposition des déchets), à chaque fois, il est envisagé d’implanter un équipement de prise en charge des déchets en plein secteur agricole. A la petite différence que pour la CACL, la première ferme se situe à « 1 km » selon la CACL et que le projet est pressenti sur un terrain de l’Etat.

« Aujourd’hui il y a un problème, conçoit Boris Rotsen de l’Epfag. Il semblerait que le foncier qui corresponde se retrouve à chaque fois être le foncier agricole. En Guyane tout le monde dit : « il y a du foncier ». Sauf que tout le monde oublie les contraintes liées aux risques d’inondation. Je ne suis pas capable de dire si oui ou non du foncier ayant des bonnes caractéristiques géophysiques existe en dehors des zones annoncées. Si vous visez du non agricole, non inondable, non constructible, pas d’espaces naturels ; et bien globalement vous n’avez plus de foncier dans les zones proches du littoral. La vraie question qu’il faut se poser à mon sens c’est : « y-a-t-il des zones agricoles sur lesquelles il n’y a pas d’exploitations pour implanter un projet ? ».

« Un isolement total de la future ISDND des zones d’habitat ou agricole représenterait un coût énorme de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros. Ce coût supplémentaire se répercuterait sur les contribuables sans apporter pour autant un bénéfice sur le projet » rétorque Marie-Laure Phinéra-Horth, la présidente de la CACL.

A chaque fois, face à la fronde des riverains – notamment ceux de Quesnel qui craignent une contamination du bassin hydrographique qui irrigue et alimente les élevages et cultures – les porteurs de projet gagent de l’innocuité des aménagements. Ainsi, selon la présidente du centre-littoral : « Les impacts sur l’eau, l’air et les sols sont maitrisés grâce à plusieurs niveaux de protection qui se superposent. Le mode de traitement des lixiviats [le jus des déchets] est prévu par osmose inverse ; c’est un mode de traitement onéreux mais très performant et déjà utilisé en Guyane. Le site a été choisi au vu de ses caractéristiques et de ses aptitudes naturelles. Le mode d’exploitation avec recouvrement régulier et surface active limitée combinée à un emplacement isolé des habitations répondent favorablement aux contraintes olfactives ».non

Ce qui est certain, c’est que les agriculteurs labellisés bio ou en devenir seront impactés. « Les activités bio doivent être menées sur des sites qui ne sont sujets à aucune contamination par des polluants susceptibles de compromettre le caractère biologique des produits. C’est pourquoi les opérateurs doivent prendre, les mesures de précaution nécessaires pour prévenir tout risque de contamination. Il existe bien un risque mais il est difficile à quantifier, l’idéal serait que les analyses d’impact de ces projets le prennent en compte en amont, sachant que la réglementation bio va être renforcée sur ce point dans les prochaines années » nous répond l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique.eboueur

 Service public sous monopole privé

L’autre grande inconnue de ce dossier est financière. Si la DEAL opte pour le projet Séché, cela signifiera que la gestion des déchets de trois intercommunalités (Est, Centre-littoral et Savanes) soit 300 000 habitants, sera placée dans les mains d’un groupe privé sous monopole.

« C’est un risque important tant pour les collectivités que pour l’activité économique du territoire qui a également des déchets à faire traiter. Le représentant de l’Etat est sensibilisé sur cet aspect. Il est clair qu’une situation de monopole conduit à un risque financier majeur dans ce domaine » pique ML Phinéra-Horth, qui n’oublie pas que l’intercommunalité dont elle a la charge remplit à 80% l’actuelle décharge des Maringouins.

Il est temps que les citoyens et les élus s’emparent de la problématique qui embrasse deux sujets majeurs : l’autonomie alimentaire et la gestion des déchets (plus gros poste de dépenses des intercommunalités), car jusqu’à présent on entend une mouche volée alors que 14 communes sur 22 sont concernées et que le sursis donné à la décharge à ciel ouvert des Maringouins prendra fin en 2020. Le monde agricole va aussi devoir se poser la question de ce qu’il est prêt à accepter ou de ce qu’il refuse. A Wayabo par exemple, seule la FDSEA aurait apporté son soutien aux riverains selon l’un des exploitants du quartier. Les deux autres syndicats : le Grage et les Jeunes agriculteurs (JA) se seraient prononcés en faveur du projet privé. Un choix étonnant de la part des J.A, qui avaient pourtant gagé, aux côtés de Guyane Rassemblement, lors de la campagne pour l’élection de la collectivité territoriale, qu’ils feraient tout pour l’autonomie alimentaire en Guyane.

Texte de Marion Briswalter

Pour aller plus loin :

Le biogaz selon l’Ademe http://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/valorisation-organique/methanisation

Les combustibles solides de récupération (CSR) selon l’Ademe http://www.ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/valorisation-energetique/dossier/combustibles-solides-recuperation/preparation-combustibles-solides-recuperation