L’adaptation au changement climatique est l’un des grands défis auxquels l’humanité doit aujourd’hui faire face. Si les acteurs scientifiques et politiques y travaillent activement, les solutions qu’ils proposent ne sont pas toujours adaptées aux contextes territoriaux et aux dynamiques locales. Les populations des petites îles sont très exposées aux impacts du changement climatique, mais aussi à la mondialisation, qui entraîne de profondes modifications de leurs modes de vie. Cependant, certaines communautés insulaires ont gardé un lien fort avec leurs racines et leurs traditions. Ces dernières sont fondées sur une très bonne connaissance du milieu naturel et une gestion durable des ressources, ainsi que sur des valeurs de partage. Ces peuples, qui ont eu à faire face à des changements environnementaux au cours de leur histoire, ont développé des stratégies d’adaptation transmises de génération en génération. Dans l’objectif de perpétuer la vie et de préserver leur culture sur ces terres de contraintes, ils ont bâti leur propre résilience.

Les Marquises : une aire marine éducative sur l’île de Ua Pou

La société traditionnelle marquisienne était régie selon des règles très strictes, des interdits, appelées tapu et ‘ahui, qui permettaient de gérer durablement les ressources naturelles. En effet, sur les îles, les ressources sont limitées et il arrive qu’elles soient surexploitées si elles ne sont pas gérées durablement. De plus, comme les Marquisiens vivaient en tribu, et que chacune d’elle n’occupait qu’une seule vallée, ils ne dépendaient que des ressources de leur propre vallée et de la mer proche pour se nourrir. Les haka’iki (chefs de tribu), qui formaient les Conseils des Sages, étaient chargés de faire respecter les interdits. Pour le ‘ahui appliqué à la gestion des ressources marines, le Conseil interdisait la pêche de certaines espèces de poissons, ou dans certaines zones, pendant une période donnée.
Ces interdits ne sont plus d’actualité, la colonisation et l’évangélisation ayant bouleversé la structure de la société traditionnelle marquisienne. De plus, l’entrée de la Polynésie française dans la société de consommation, à partir des années soixante, a modifié le rapport que les Marquisiens entretenaient avec leur environnement. Jadis, on ne pêchait que pour manger, tandis qu’aujourd’hui, on pêche aussi pour vendre ; les ressources marines diminuent peu à peu.

Pourtant, si les règles d’autrefois ne sont plus appliquées, car les temps changent, le souvenir de cette époque est encore présent dans les mémoires. Récemment, une nouvelle forme de ‘ahui a été mise en place. En effet, il existe dans la vallée d’Hakahetau, sur l’île de Ua Pou, une Aire Marine Éducative (AME). C’est un espace côtier dont les enfants d’une école primaire s’occupent. Ils s’approprient ce territoire qui leur a été confié, et voient ensemble, sous la direction de l’instituteur, comment ils peuvent le gérer. Les trois objectifs des AME sont pour les enfants de connaître, vivre et transmettre la mer.

Dans un premier temps, ils vont acquérir des connaissances sur l’océan et les espèces qu’il abrite, auprès de leur instituteur ou de scientifiques. Ensuite, ils vont avoir la possibilité de faire l’école autrement, et notamment sur le terrain, en appliquant le programme scolaire à l’AME dont ils s’occupent. Par exemple, ils peuvent être amenés à faire des mathématiques en comptant les coquillages, ou apprendre la chaîne alimentaire en observant les poissons directement dans leur milieu de vie. Enfin, après avoir acquis des connaissances et vécu des choses avec la mer, les enfants vont non seulement transmettre leurs savoirs en sensibilisant les adultes qui les entourent, mais aussi en prenant des décisions, en participant au conseil municipal de leur commune. Ils vont pouvoir, par exemple, exposer l’intérêt de protéger une zone côtière en particulier, ou proposer d’interdire la pêche d’une ou plusieurs espèces dans une partie de la baie pendant une période donnée.
De cette manière, une nouvelle forme de gestion raisonnée des ressources marines est née, mais cette fois-ci, les rôles sont inversés : la sagesse des anciens ayant disparu, ce sont les enfants qui reforment un Conseil des Sages.

 

Saint-Pierre & Miquelon : Label Zéro Déchet, Zéro Gaspillage

La gestion des déchets est un enjeu majeur pour tous les territoires, et particulièrement pour les îles. À Saint-Pierre et Miquelon, jusqu’en 2015, tous les déchets produits par les ménages et les entreprises de l’archipel étaient entreposés dans une décharge à ciel ouvert. De temps en temps, lorsque le vent ne soufflait pas en direction de la ville de St-Pierre, le feu y était mis. Des citoyens se sont indignés de cette situation et ont fait des demandes auprès de la mairie pour régler ce problème.

La mairie de Saint-Pierre s’est ainsi lancée en 2014 dans la démarche de territoire “ Zéro Déchet, Zéro Gaspillage ”, dont elle a reçu la labellisation par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de lénergie (ADEME). Cette dernière a en effet créé ce label pour aider et mettre en valeur les territoires qui « se mobilisent pour définir et mettre en œuvre des programmes d’actions permettant d’améliorer la gestion des déchets au quotidien. Ces territoires prennent un engagement politique fort, pour une durée de trois ans, à rechercher l’exemplarité et à mobiliser des moyens pour y arriver, et notamment l’ensemble des parties prenantes (associations, entreprises, citoyens, administrations, commerces, etc.) ».
Dans ce cadre, Saint-Pierre a bénéficié d’une expertise technique, d’un soutien financier, et des aides à l’investissement. Un programme de gestion des déchets a été mis en place, et un centre de tri a été construit (2015-2016), qui permet aujourd’hui de trier 30 familles de déchets. La ville se charge en partie du ramassage des déchets (métaux, bouteilles et flacons en plastique, papiers et cartons, déchets organiques). Les autres types de déchets (piles et batteries, encombrants, etc.) doivent être amenés et triés par les usagers à la déchetterie.
Les déchets triés sont ensuite valorisés de deux manières différentes. Ils peuvent être revalorisés localement, c’est le cas du verre broyé, exploité par les entreprises de BTP à la place du sable prélevé en mer, ou encore des biodéchets mis à disposition des agriculteurs et des équipes chargées des espaces verts de la ville.
D’autres déchets peuvent aussi être revendus au Canada, comme matière première secondaire. La mairie de St-Pierre met alors à disposition ses déchets à un éco-organisme, ce dernier paye des entreprises canadiennes qui viennent les chercher par bateau. Les déchets sont ainsi devenus le premier secteur exportateur de l’archipel.
La quantité de déchets non valorisables mis en décharge a ainsi été divisée par cinq depuis la création de la centrale de tri, passant de 2 500 à 500 tonnes annuelles. Cette démarche apporte une réponse intéressante à la problématique de la gestion des déchets, en proposant une ébauche d’économie circulaire.
Texte de Adrien Prenveille

Wallis & Futuna tente de protéger son eau douce

Îlot de vie en plein Pacifique sud, Wallis-et-Futuna, doit préserver impérativement ses ressources en eau douce. « La protection des zones de captage et de l’eau potable constitue une priorité dans les trois royaumes » rappelle la “stratégie 2017-2030 d’adaptation au changement climatique” adoptée par Paris et l’archipel. La crise climatique en cours va « exacerber les pressions existantes », rappelle ce document-cadre.
A Uvea (Wallis), il n’existe qu’une seule nappe phréatique pompée pour les besoins des 8 400 habitants. L’intrusion saline, et surtout les défauts d’assainissement domestique et l’élevage porcin, l’un des piliers de l’autosuffisance alimentaire locale, mettent en péril ce grand et unique réservoir d’eau douce.
Sur la montagneuse Sigave (Futuna), l’eau est également limitée, mais on dénombre plusieurs rivières, sources et cours d’eau. Cependant, ce réseau est troublé par les rejets domestiques, ainsi que par l’érosion des sols et la déforestation consécutives aux pratiques agricoles sur les pentes de l’île. Ces problèmes pouvant être accentués par les cyclones.
Pour préserver au mieux la ressource qui, selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis, aura atteint avant 2050 dans les atolls « un point de non-retour », notamment par la hausse du niveau des mers, les inondations et les vagues, plusieurs programmes européens ont été décidés en appui aux acteurs locaux.
Entre 2013 et 2018, dans les villages de Leava, sur la côte sud-ouest de l’île de Futuna et à Mala’e, au nord d’Uvea, un programme à 2,5 millions de francs pacifiques (21 000 €) de reboisement a été entrepris par le service de l’agriculture et les chefferies afin de limiter l’érosion (qui perturbe aussi le lagon par apport terrigène) et de profiter des capacités de filtration des arbres.
À Wallis, une autre opération a débouché en 2018 sur la plantation de plus de 10 000 palétuviers (soit l’équivalent d’un quart des mangroves existantes) par des associations et des acteurs institutionnels. Cette redensification visait à stabiliser la côte et à atténuer les effets des cyclones et des tsunamis.
En ce qui concerne l’élevage familial et artisanal porcin, qui se caractérise par la concentration des bêtes dans un petit espace clos (plus de 2 animaux par habitant) et figure comme l’un des problèmes environnementaux majeurs, plusieurs solutions ont été proposées comme l’utilisation de litières sèches dans des parcs en béton (qui rend possible le ramassage et le compostage de la matière organique et limite la consommation d’eau) et la rotation des élevages sur des terrains cultivés. Selon un rapport publié en 2019 par l’Institut d’émission d’Outre-mer, « 28 % » des éleveurs, principalement d’Uvea, avaient opté ces dernières années pour le système des parcs tournants.
Des gros investissements sont aussi nécessaires pour potabiliser l’eau à Sigave et construire à travers l’ensemble de l’archipel des réseaux d’assainissement collectifs, aujourd’hui inexistants. La plupart des habitations se situent en zone littorale, là également où les sols sont les moins épurateurs et où la nappe est la plus proche. D’ici là, la population a été invitée à améliorer l’étanchéité et l’entretien des fosses septiques.

Texte de Marion Briswalter

Moorea, Polynésie : adopter un corail pour sauver le récif

Le réchauffement océanique menace le corail. En Polynésie, l’association Coral Gardeners se mobilise pour la survie du récif en replantant du corail. Outre la pollution et le tourisme, les récifs coralliens souffrent des conséquences du réchauffement mondial : hausse de la température de l’eau, acidification des océans et montée du niveau de la mer.
Dans son rapport d’octobre 2018, le GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) annonçait un déclin de 70 % à 90 % des récifs dans un scénario de réchauffement climatique limité à 1.5° ; et une disparition complète des coraux (>99 %) dans un scénario à +2 °C. Même tendance selon une étude de l’Unesco, où les récifs coralliens pourraient disparaître complètement d’ici 2050.
Sur Moorea, l’île sœur de Tahiti, un groupe d’amis surfeurs, pêcheurs et plongeurs tentent de préserver cet écosystème fragile. Après avoir eux-mêmes constaté la dégradation des coraux au fil des ans, ils ont décidé de créer une association pour les préserver. Leur slogan “Let’s save the reef ” Créée en 2017, l’association agit à deux niveaux.
En premier lieu, elle intervient pour sensibiliser la population sur la nécessité de protéger la barrière de corail. Il s’agit d’expliquer comment vivent les coraux, comment ils se reproduisent et quelles sont les menaces auxquelles ils font face aujourd’hui.
Les récifs coralliens ne représentent que 0,2 % de la surface totale des océans ; pourtant leur présence est essentielle à plus d’un tiers des espèces marines et 500 millions de personnes dépendent de cet écosystème, notamment pour la pêche. En cas de disparition, c’est la chute de la biodiversité marine. Sur son site, l’association rappelle également que les récifs constituent un rempart naturel en cas de cyclone ou de tsunami et qu’ils jouent un rôle capital dans la production d’oxygène que nous respirons.
Le deuxième champ d’action consiste à régénérer le corail. Tels des jardiniers, ils ramassent les coraux abîmés pour les bouturer. Les morceaux encore vivants sont installés sur une table de pépinière, au fond de l’eau. Au bout de 3 semaines, ils sont replantés sur un corail mort et recolonisent progressivement le lagon. Pour se financer, l’association propose à chacun d’adopter un corail pour 25 euros.
Texte de Sarah Coutaudier