Des marais productifs pour l’autosuffisance agricole de l’île de Cayenne en 2040

Dans un contexte d’évolution démographique important, nous avons identifié deux phénomènes sur le territoire de l’île de Cayenne (CACL) : un mitage urbain du territoire, colonisant zones humides et forêt tropicale, accompagné d’une production agricole selon les méthodes de l’abattis, dont le rendement assez faible subvient à seulement 14 % des besoins alimentaires de la population locale. Dans ce contexte, il nous est apparu indispensable de proposer une alternative de développement au regard des zones naturelles à préserver. L’étude sur l’évolution de l’île de Cayenne à l’horizon 2040 propose donc des scénarii dont l’un dispose des espaces cultivables le long des fleuves et des zones humides en réinterrogeant les techniques agricoles ancestrales telles que la terra Preta ou la mise en place de buttes précolombiennes. Ainsi, l’étude émet l’hypothèse d’une autosuffisance alimentaire possible pour toute la population de la CACL en 2040.
Pour illustrer la stratégie, l’étude propose la mise en culture du marais traversant l’île de Cayenne à proximité du quartier de Cogneau-Lamirande, plus vieux et important quartier d’habitat spontané de l’île. En donnant une fonction productive au paysage, l’étalement des aires urbaines est ainsi limité. L’agriculture sur buttes permet de protéger les cultures des inondations, d’avoir des récoltes toujours hydratées et d’augmenter les rendements de production. La mise en culture du marais est aussi l’occasion d’ouvrir ce paysage jusqu’alors inaccessible en proposant des espaces publics le long du canal. Une épaisseur est laissée libre de toute urbanisation et agriculture, afin de préserver une véritable continuité écologique. Le fleuve redevient quant à lui le support de mobilités douces et fluviales pour le transport de marchandises et de personnes. L’activation de ces milieux humides “dormants ” par la présence de zones cultivables selon des techniques plus respectueuses et plus productives pourrait à terme répondre aux enjeux formulés au début de cette étude : renouveler durablement l’agriculture vivrière de l’île de Cayenne, contraindre l’étalement des aires urbaines et permettre aux habitants de s’émanciper des flux alimentaires des territoires voisins en devenant autosuffisant.

L’auto-construction et de nouveaux modes de gouvernance, comme réponses à l’évolution de la cellule familiale.

La ville de Saint-Laurent du Maroni et leBas-Maroni en général sont sujets à une évolution démographique inédite. Ainsi, la ville de Saint-Laurent devrait voir sa population tripler à l’horizon 2030 la portant à 135  000 habitants. Le constat est unanime, face à la pression démographique et à la pénurie de ressources foncières, les dispositifs classiques d’aménagement comme les ZAC peinent à répondre à l’urgence et de surcroît ne remplissent pas les attentes des habitants.
Aujourd’hui, les nouveaux occupants ne sont pas intégrés au dispositif d’aménagement des quartiers, cela explique en partie l’échec qu’ils rencontrent. Le choix de projet ci-contre s’est porté sur une logique bottom up ou ascendante. Selon cette approche, l’échelon le plus fin constitue le point de départ. Il s’agit ici de l’habitant. La mise en œuvre générale du quartier se fabrique à partir de cette unité. Elle s’appuie sur la capacité de chacun à investir pour auto-construire et autogérer son lieu de vie. Inspiré du modèle amérindien, les nouveaux quartiers sont fondés sur un principe de concession donnant l’usage du sol, mais pas sa propriété. Le patrimoine foncier ne constituant plus le bien familial transmis aux générations futures, la propriété individuelle du bâti n’en devient que plus importante. Ce dispositif a le double avantage d’inciter à investir dans l’habitat et d’accélérer la construction des quartiers. La livraison de logements clés en main constitue en effet une des missions les plus chronophages de la maîtrise d’ouvrage. La construction est alors à l’initiative des particuliers ce qui permet de répondre aux exigences des modes de vie de chacun et d’offrir une plus grande mutabilité. Au regard de l’incertitude qui pèse sur l’évolution de la société guyanaise, il s’agit d’un aspect non négligeable. Toutefois, la disparition du découpage parcellaire du sol induit une gestion ou une entente commune autour de son usufruit. Le regroupement des habitants en association est à la fois une nécessité, mais aussi un moyen pour les pouvoirs publics d’améliorer l’accompagnement des projets individuels. Il facilite la mise en place de dispositifs d’aide à l’auto-construction comme des centrales d’achats, des équipes professionnelles d’accompagnement, des formations, des chantiers-écoles…
C’est donc la médiation et l’implication directe de futurs habitants dans le projet qui constitue la pierre angulaire de la méthode étayée dans ce travail. Contrairement aux idées reçues, elle ne dédouane pas pour autant les institutions de leurs rôles, mais elle en déplace les champs d’action.

Un pont flottant sur le Maroni

Avec l’évolution rapide et inévitable de Saint-Laurent, de nombreuses questions liées aux infrastructures présentes ou à venir se posent. Parmi elles, celle de la réalisation ou non d’un pont entre la Guyane française et le Suriname et si oui, où et comment ?

En effet, la construction d’un franchissement dans l’environnement proche de Saint-Laurent permettrait de continuer les efforts mis en place à l’échelle du plateau des Guyanes pour construire une route littorale nord amazonienne allant du Brésil au Venezuela. Le pont sur l’Oyapock mis en service le 20 mars dernier fait partie des réalisations liées à cette ambition.
Le projet ici proposé est celui d’un pont au Sud de la ville. Cette implantation permet de s’appuyer sur l’île de la Quarantaine pour réduire les portées sur un fleuve faisant par endroit plus de deux kilomètres de large. Cette position permet aussi de conserver le port de l’Ouest sans avoir besoin d’un tirant d’air démesuré. L’ouvrage reste relativement proche du centre-ville pour maximiser les retombées économiques du flux de transports.
Constitué de deux arcs pour résister aux contraintes des forces du courant, l’hypothèse constructive est celle d’un pont flottant. Ce moyen structurel limite l’impact visuel de l’infrastructure sur le paysage et lui permet de s’ancrer dans sa géographie.
La construction d’un pont de ce type permet d’ouvrir sur une nouvelle relation à l’infrastructure. La mise en place d’un franchissement sur le Maroni revient à imaginer le croisement de deux autoroutes, d’une par le fleuve, de l’autre, la route du littoral amazonien. C’est dans cette perspective que l’ouvrage est pensé comme un lieu d’échanges et non pas comme un simple flux routier. Les flotteurs peuvent devenir autant d’espaces d’arrimage des pirogues et d’échanges de biens alors que la promenade en bois accueille des étals de marché ou d’autres fonctions selon les besoins et les usages. Le pont devient un véritable lieu d’échanges transfrontaliers, une plateforme multimodale faisant le lien entre toutes les échelles d’un territoire singulier. La variation de la hauteur du tablier routier permet de garantir le passage des pirogues et barges, y compris les plus grandes transportant des engins de chantier en direction de Maripasoula.
à la fois objet High Tech lié aux échanges internationaux et lieu adapté au mode de vie du fleuve, le pont flottant du Maroni propose une autre modernité, une modernité guyanaise.
Texte de Adrien Leclerc et illustrations à partir du travail des DSA / DPEA sur la Guyane au travers de 4 études menées par A. Chifflet, N. Durra, M.Diallo, J. Gaudin, A. Leclerc, J. Pallard, O. Pécheux, F. Arrivault, M. Besançon, M. Besse, P. Chevalier, P. Grolleron, A. Merhoum, J. Serrurier, G. Sicard, A. De la Taille, L. Tatinclaux, G. Amossé, C. Grandy, E. Savey, C. Vernhes, C. Greset, T. Rodrigues.