Introduction par l’astrophysicien Hubert Reeves, 

 hubert_reeves_mg_4574-bNous sommes des Terriens dans l’univers. Et s’il y a des habitants ailleurs que sur Terre, ils sont comme nous enfants des étoiles… et notre histoire ancienne est commune puisque l’univers a une histoire qui est aussi la nôtre. Aujourd’hui nous essayons de nous situer, disons géographiquement, dans ce cosmos peut-être infini. Serait-il fini que nous ne pourrions le voir entièrement même si le ciel nocturne dans sa majesté donne une petite idée du cosmos.

Grâce aux moyens technologiques toujours plus performants, nous avons une idée de sa composition. Il abrite des galaxies.
Une galaxie, c’est un immense ensemble de dizaines ou centaines de milliards d’étoiles, de poussières, de matière invisible (dite noire) et de gaz s’étendant sur des dizaines ou centaines d’années-lumière avec en son centre un trou noir. Et il existe des centaines de milliards de galaxies…
Parmi les amas de galaxies qu’il nous faut connaître, il y a un groupe de quelques dizaines s’étendant sur 10 millions d’années-lumière, appelées Groupe local, et qui contient la nôtre et aussi Andromède, notre voisine la plus proche, à 2, 2 millions d’années-lumière de distance.

La nôtre, c’est la Voie lactée. Elle a un diamètre de 100 000 années-lumière. Sachant qu’une année-lumière c’est environ 10 000 milliards de kilomètres, notre galaxie est parmi les plus grandes avec quelques centaines de milliards d’étoiles (plus de 230 milliards).
C’est une galaxie spirale barrée c’est-à-dire qu’elle a la forme d’un disque un peu renflé en son centre, traversé d’une bande d’étoiles d’où partent des bras dits spiraux lumineux qui sont comme les banlieues de la zone centrale. Les bras, majeurs ou mineurs, portent d’ailleurs des noms : Bras Écu-Croix, Bras de Persée, Bras de la Règle, et Bras Sagittaire-Carène, pour les quatre bras majeurs et Bras du Cygne, Bras d’Orion pour les bras mineurs…

Et c’est dans une de ces banlieues que nous sommes, celle du Bras de Persée, mais des théoriciens précisent qu’il s’agirait du Bras d’Orion.
De notre Terre, on ne peut voir complètement la Voie lactée et ce que l’on en voit dépend grandement de la place d’observation. En effet le ciel est souvent si éclairé que les étoiles ne sont plus visibles et il faut s’éloigner en mer ou gagner des sites loin, très loin des villes, pour qu’elles s’allument et nous éblouissent… Si les États en décidaient, la pollution lumineuse pourrait diminuer…

Dans cette foultitude d’étoiles de la Voie lactée, l’une d’elles nous est précieuse, nous l’appelons Soleil. Notre Terre n’est pas la seule planète qui tourne autour de lui. L’ensemble des planètes qui gravitent autour de notre étoile préférée forme un système solaire.

Bien sûr d’autres étoiles de notre galaxie (et des autres galaxies) ont aussi des planètes et donc ce que l’on nomme un système planétaire.
Les explorateurs terrestres ont conçu des cartes de localisation. Nous n’avons pas encore l’équivalent pour la visite de notre galaxie, mais un satellite européen Gaïa de l’Agence spatiale européenne (ESA) a pour mission de cartographier ses étoiles…

Du nom de la déesse mère de la Grèce antique, le nouveau télescope de l’ESA et du CNES qui a décollé du Centre spatial guyanais le 19 décembre, a pour objectif de réaliser une cartographie 3 dimensions de notre galaxie, en la scannant intégralement pendant 5 ans. Cette première carte galactique de 1 milliard d’étoiles est une étape majeure dans la connaissance humaine de notre univers.

Parmi les personnages mythiques de la Grèce antique les plus en vue se trouve Gaïa, la “ Déesse mère ”, qui donna naissance au ciel à partir du chaos primordial, une divinité qui est aujourd’hui devenue synonyme d’une planète Terre appréhendée comme être vivant. Mais en 2013, Gaïa s’est fait connaître aussi à travers un acronyme obscur, Global Astrometric Interferometer for Astrophysics, qui désigne la dernière création de l’Agence spatiale européenne (ESA). Quel est donc cet engin spatial qui aurait l’ambition d’organiser la voute céleste à l’image de la déesse mère des Anciens ?

Lancée depuis Sinnamary le 19 décembre dernier, Gaïa est un télescope satellite révolutionnaire pour notre connaissance de la Voie lactée.Il est présenté par les scientifiques comme une étape majeure dans l’histoire de l’astrométrie, cette branche de l’astronomie qui évalue la position, la distance et le mouvement des étoiles. Cela signifie plus concrètement, que nous allons désormais être en mesure de réaliser une carte de la Voie lactée considérablement plus précise qu’avant, et le voisinage de notre système solaire s’apprête à se dévoiler peut-être à la manière des premières cartes d’exploration de la renaissance. Cette cartographie galactique en 3 dimensions se composera d’étoiles, mais pas seulement, car le télescope Gaïa est une véritable machine à découvrir et prévoit aussi d’identifier de nombreux objets célestes, comme les astéroïdes traversant notre système planétaire, les exoplanètes tournant autour d’étoiles lointaines, des supernovas dans d’autres galaxies, ou encore des trous noirs. Ces nouvelles connaissances doivent jouer le rôle d’une fondation pour la science astronomique des vingt prochaines années.

100 milliards d’étoiles dans la Voie lactée

C’est la quantité inimaginable d’étoiles que compterait notre galaxie. Ce premier chiffre, car le programme Gaïa est une histoire de très grands chiffres, est l’un de ceux que pourrait affiner le satellite télescope à travers sa gigantesque récolte de données stellaires. Avec Gaïa, les scientifiques prévoient de réaliser ainsi un recensement de 1 milliard d’étoiles et surtout d’être capables de les positionner en 3 dimensions dans l’espace au terme de 5 années de mesures. Durant cette période, chaque étoile passera 70 fois devant l’objectif du télescope, et à chaque passage sa brillance, sa couleur, et surtout sa position dans l’espace sera enregistrée. Pour obtenir la distance de l’astre avec la Terre (la 3e dimension), mais aussi le déplacement des étoiles, car ces astres lumineux ne sont pas fixes, mais en mouvement dans la galaxie, la science astrométrique utilise le principe de la parallaxe : il s’agit de l’écart angulaire mesurable lorsqu’on observe un astre, à six mois d’intervalle (soit un demi-tour autour du soleil ou bien un déplacement de 300 millions de km). L’unité de cette mesure d’angle primordiale pour appréhender l’astrométrie, s’appelle la seconde d’arc ou parsec, et cette unité d’angle équivaut à une distance. Par exemple, l’étoile Proxima du centaure, la plus proche du soleil, peut être considérée comme une sorte de “mètre étalon” en matière angulaire puisqu’elle se situe à environ 1 seconde d’arc, autrement dit 1 parsec, soit 3,26 années-lumière (AL), ou si l’on revient à une unité plus terrestre, 10 000 milliards de kilomètres. Rappelons que l’étoile Proxima du Centaure constitue la plus proche banlieue dans notre Voie lactée !
L’extrême sensibilité de Gaïa lui permet d’observer depuis l’espace des étoiles 400 000 fois moins lumineuses que celles que nous voyons à l’oeil nu ! Mais comment Gaïa s’y prend-elle pour réaliser de telles prouesses ? Gaïa doit d’abord faire appel à une technologie CCD très pointue, qui a considérablement évolué depuis quelques années. Le télescope embarque l’équivalent d’un capteur CCD de 0,38 m2, d’une capacité de 1 milliard de pixels, le plus gros qui ait jamais volé dans l’espace. Au final, l’acuité incroyable de Gaïa se chiffre à 10 millionièmes de secondes d’arc, plus simplement il a la capacité de voir un scarabée sur la lune depuis la Terre !

L’ancêtre Hipparcos

Cette aventure peuplée de chiffres “astronomiques” n’est pas née d’hier. Il y a une vingtaine d’années, le 8 août 1989, un autre télescope de l’ESA s’arrachait aussi du sol guyanais depuis la base de Kourou à bord d’une fusée Ariane IV (le vol 33). Hipparcos (HIgh Precision PARallax COllecting Satellite), du nom de l’antique astronome grec Hipparque à avoir constitué le premier catalogue d’étoiles il y a plus de deux millénaires, avait un objectif similaire à Gaïa : établir une carte du ciel en 3D, en mesurant la brillance absolue des étoiles, autrement dit la brillance qu’aurait l’astre si il était situé à 10 parsecs de la Terre.
S’il y a 24 ans, les technologies étaient moindres et qu’une erreur de parcours (la mise à feu du propulseur à propergol solide ne s’est pas déclenchée) a failli remettre en cause le programme, les résultats furent considérables. 120 000 objets célestes furent cartographiés, 2,5 millions étudiés, alors que les connaissances humaines se limitaient avant lui à un répertoire de 5 000 objets célestes. Hipparcos était capable de mesurer les étoiles jusqu’à 100 parsecs, soit la proche banlieue du système solaire, lorsqu’on considère que nous sommes situés à 8 000 parsecs du centre de la galaxie.
Un quart de siècle après son lancement, les astronomes sont encore en train d’exploiter les données recueillies par Hipparcos. On peut attendre que Gaïa, qui permettra de voir des étoiles situées à l’extrémité de la Voie lactée, ouvre des perspectives encore plus “ astronomiques ” et du grain à moudre pour les scientifiques jusqu’à l’horizon 2030.

Orbite L2 & instrumentations

Les mesures humaines astrométriques ont toujours été soumises aux aléas de la vie terrestre. L’apesanteur et l’atmosphère créent des déformations et engendrent des erreurs, qui limitent fortement la précision des calculs. L’idée de réaliser ces mesures dans l’espace, dans un lieu préservé de toutes perturbations, est lancée par l’astronome Pierre Lacroute en 1967, et prend corps avec le projet Hipparcos. Mais contrairement à ce dernier engin, l’orbite du satellite Gaïa se situe dans une zone éloignée de 1,5 millions de km de la Terre dans la direction opposée au soleil. 30 jours de vol spatial, du 12 décembre 2013 au 12 janvier 2014, seront nécessaires pour l’atteindre. Le bouclier thermique de Gaïa déployé comme les pétales d’une fleur, lui donnera pendant le vol une allure de soucoupe volante, mais protégera les instruments des radiations les plus destructrices, tout en lui donnant assez d’énergie solaire pour fonctionner sur les 5 prochaines années
Dans ce lieu reculé, qu’on appelle orbite L2, ou point de Lagrange, l’orbite dure un an, elle est stable et ne connaît jamais d’éclipse, aucune variation de température, un lieu parfait pour que les 700 kg d’instrumentations de Gaïa puissent turbiner en toute sérénité. Cette stabilité thermique est confortée par la structure en alliage silicium carbone du satellite de 2 tonnes. Pour réaliser son “ scan ” du ciel, Gaïa tourne sur lui-même lentement, au rythme de 4 rotations quotidiennes. Deux télescopes utilisant 10 miroirs de tailles variées dirigent la lumière des étoiles vers une focale et les instruments de mesure. Ces derniers se partagent les fonctions liées à l’astrométrie (les mesures d’angle), à la photométrie (la lumière des objets), et enfin à la spectroscopie (les couleurs). C’est cette dernière information de couleurs, qui donne grâce à l’effet Doppler, la vitesse radiale des objets célestes.

L’ère du Pétaoctet !

Gaïa sonne aussi l’entrée de l’astronomie dans l’ère du Big Data. Le volume de données à traiter sera de l’ordre du pétaoctet, soit 1 million de gigaoctets (la capacité de stockage de 250 000 DVD), des données provenant des images réalisées en continu par le satellite en orbite. Il s’agit du plus gros traitement de données de l’histoire de l’astronomie, et la puissance de calcul à prévoir par le CNES dans son centre de traitement de Toulouse se monte à 6 téraflops (soit 6 000 milliards d’opérations par seconde). On parle de 20 millions de paramètres à gérer. Un consortium, le DPAC (Gaia Data Processing and Analysis Consortium), rassemble pour l’occasion les laboratoires, les observatoires, les universités, les agences spatiales de 25 pays européens. Cette organisation complexe permettra de répartir les tâches entre des centres situés au CNES de Toulouse, mais aussi à Madrid, Barcelone, Turin, Cambridge ou Genève. Il semble que les vraies réussites de coopération européenne se trouvent aujourd’hui dans la recherche spatiale ! Si tout va bien, les premiers résultats sont prévus d’ici deux ans.
6 h 50, ce matin du 19 décembre, dans une Salle Jupiter du Centre spatial guyanais comble, les scientifiques et les cadres du CNES, de l’ESA et d’Arianespace soufflent enfin. Le système de guidage et de propulsion Frégate, le 4e étage indépendant monté sur le lanceur Soyouz a bien fonctionné, il a pris le relais comme prévu une trentaine de minutes après la mise en route des 16 tuyères du lanceur. Le Centre européen d’opérations spatiales (ESOC), situé à Darmstadt en Allemagne, rentre en action. Il s’agit du 5e lancement réussi de Soyouz depuis la Guyane, mais du 1813e vol du lanceur depuis son invention! Gaïa, l’arpenteur des cieux, a commencé son voyage stellaire.

Texte de Pierre-Olivier Jay