Le télescope spatial James Webb devrait enfin décoller de Kourou, en Guyane, le 18 décembre prochain. Cette merveille de technologie permettra de scruter l’Univers tel qu’il était dans son jeune âge, il y a 13,6 milliards d’années, au moment où les premières galaxies sont apparues. Une révolution scientifique en perspective !
C’est l’événement de l’année pour les astrophysiciens du monde entier. Sauf imprévu de dernière minute, le télescope spatial James Webb (James Webb Space Telescope, JWST ou plus simplement Webb) devrait décoller depuis le Centre Spatial Guyanais (CSG), le 24 décembre 2021, à bord d’Ariane 5… avec plus de dix ans de retard sur le planning initial et un budget record de près de 10 milliards de dollars (500 millions de dollars prévus initialement) ! Il faut dire que l’engin, développé aux États-Unis par la Nasa, en collaboration avec les agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (CSA), est le plus grand et le plus puissant observatoire spatial jamais mis en orbite. Le plus complexe aussi. Une sorte d’œil géant qui va permettre de scruter les confins de l’Univers et de capter, entre autres choses, la lumière des premières galaxies et des premières étoiles, celles qui sont apparues il y a quelque 13,6 milliards, 100 à 200 millions d’années seulement après le Big-Bang (voir « Un Univers en expansion »). Bref, une formidable machine à remonter le temps unique en son genre… mais dont la gestation fut longue et laborieuse.

De l’idée à la réalisation
Tout commence au début des années 1990, dans la foulée du lancement du télescope Hubble. « L’une des priorités des scientifiques était alors d’aller voir très loin – et donc très tôt – dans l’Univers, pour observer ces premières galaxies et ces premières étoiles. Mais la lumière qu’elles émettent, et qui nous parvient avec 13,6 milliards d’années de retard, est très faible. Qui plus est, elle est décalée vers l’infrarouge du fait de l’expansion de l’Univers. Seul un télescope doté d’un miroir de grande taille et optimisé pour l’observation dans ces longueurs d’ondes peut donc la capter. Or Hubble, qui travaille surtout dans l’ultraviolet et le visible, n’en était pas capable », rappelle Pierre Ferruit, l’un des deux responsables scientifiques de la mission JWST à l’ESA. Très vite, le projet d’un « télescope spatial de nouvelle génération » (rebaptisé en 2002 en hommage à James Edwin Webb, second administrateur de la Nasa de 1961 à 1968) prend forme. Et décision est prise de construire un instrument doté d’un miroir de 8 mètres de diamètre – qui sera finalement réduit à 6,5 m, contre 2,4 m pour Hubble – travaillant dans la partie infrarouge du spectre lumineux.
Mais de l’idée à la réalisation, il y a un gouffre technologique comme financier ! « La complexité de la tâche a été largement sous-estimée, tout comme son coût », reconnaît Pierre Ferruit. D’abord parce qu’envoyer un miroir de 6,5 m dans l’espace sans qu’il ne soit trop volumineux ou trop lourd pour le lanceur n’a rien d’évident. D’où le choix de le segmenter en 18 hexagones de béryllium recouverts par une fine couche d’or. Une solution qui permet de l’alléger et de le plier pour le faire entrer dans la coiffe d’Ariane 5 tout en assurant une surface collectrice sept fois plus grande que celle de Hubble. Ensuite, pour observer dans l’infrarouge, le JWST doit fonctionner dans un froid glacial. Tout corps rayonne d’autant plus qu’il est chaud. « Pour éviter d’avoir des signaux infrarouges parasites, il faut protéger le télescope et ses instruments des rayonnements en provenance du Soleil, de la Terre et de la Lune mais aussi de ceux qu’ils émettent eux-mêmes. Et donc les refroidir. Cela sera fait passivement grâce à un bouclier thermique de la taille d’un terrain de tennis, composé de cinq fines couches très isolantes de Kapton séparées par du vide. Positionné en orbite autour du point de Lagrange “L2”, à 1,5 million de kilomètres de la Terre, le JWST ne tournera pas autour de notre planète mais il l’accompagnera dans sa course autour du Soleil. En d’autres termes, Terre, Soleil et Lune pourront être maintenus en permanence derrière l’écran thermique. Lequel permettra de passer en un peu plus de 1,50 m d’une température de +80 °C du côté Soleil – Terre – Lune à une autre de -230 °C environ du côté télescope ! », détaille le scientifique de l’ESA.
Officiellement terminé en août 2019, l’assemblage du JWST et de ses instruments a été suivi d’une longue phase de tests. Pas question de renouveler la déconvenue subie en 1993 avec Hubble dont les premières images manquaient de netteté en raison d’un défaut de polissage du miroir ! À seulement 590 km d’altitude, une mission de sauvetage avait pu être menée par des astronautes embarqués à bord de la navette Endeavour. Des dispositifs correcteurs avaient été installés qui avaient rendu une vision nette au télescope. « Cette fois-ci, nous n’avons pas droit à l’erreur. L’éloignement du JWST empêchera toute intervention humaine. Les ingénieurs ont donc multiplié les tests à tous les stades d’élaboration. L’écran thermique et le miroir ont été dépliés à plusieurs reprises. Le télescope et tous ses instruments ont aussi été soumis à diverses séances pour éprouver leur capacité de résistance aux bruits et aux vibrations, etc. », pointe Pierre-Olivier Lagage du Département d’Astrophysique du Commissariat à l’Énergie atomique (CEA), et coresponsable pour la France du développement de MIRI, l’un des quatre instruments d’observation embarqués (voir « Quatre instruments scientifiques innovants »). Et entre difficultés techniques, dépassements budgétaires, erreurs humaines et imprévus, les retards se sont accumulés et le budget s’est envolé.

Fenêtre inédite sur l’Univers
Mais l’attente valait la peine tant les performances attendues de ce nouveau télescope sont prometteuses. Envoyer dans l’espace un télescope avec un miroir de 6,5 m de diamètre optimisé pour les observations infrarouges, c’est multiplier par un facteur cent à peu près notre capacité à percevoir des objets très peu lumineux par rapport aux télescopes infrarouges existants. Mais c’est aussi disposer d’une très bonne résolution, ce qui est essentiel pour séparer deux sources lumineuses très proches ou voir des détails plus fins. De quoi ouvrir une fenêtre inédite sur des pans entiers de l’Univers encore hors de portée des autres télescopes et révolutionner de nombreux domaines de l’astrophysique ! « Il va permettre d’observer la lumière émise par les premiers objets à se former : des étoiles, des galaxies et quelques centaines de millions d’années plus tard, des trous noirs. Mais aussi bien d’autres choses comme les propriétés de ces galaxies, les conditions dans lesquelles elles se sont formées, la façon dont elles ont évolué », s’enthousiasme Hakim Atek, de l’Institut d’astrophysique de Paris. Et de poursuivre : « On s’interroge toujours sur la contribution des galaxies, et en particulier des plus petites d’entre elles qui sont aussi les plus nombreuses, à la ré-ionisation de l’Univers, cette période charnière au cours de laquelle le rayonnement des premiers corps astraux a commencé à ré-ioniser les atomes de gaz électriquement neutres emplissant alors le cosmos. Pour la première fois, le JWST devrait permettre d’observer le rayonnement émis par les petites galaxies, les plus nombreuses, et d’estimer le rayonnement total qui en sort. » Et ce n’est pas tout. Les rayonnements infrarouges étant moins arrêtés par les nuages de gaz et de poussières que la lumière visible ou ultraviolette, il sera aussi possible d’observer ce qui se passe au cœur des pépinières d’étoiles. Le JWST explorera également l’atmosphère des exoplanètes, ces planètes qui tournent autour d’étoiles autres que le Soleil.
Les temps d’observation avec le JWST étant précieux, le programme de la première année est d’ores et déjà arrêté. « Sur le millier de propositions soumises par des astronomes du monde entier, 286 ont été retenues », précise Hakim Atek, qui travaille à faciliter les démarches des scientifiques français demandant du temps d’observation. Au total, environ un tiers des observations lauréates concerne les galaxies, un quart les exoplanètes et les disques autour des étoiles jeunes, un quart se concentrera sur les étoiles et leur environnement (physique stellaire, populations stellaires et milieu interstellaire). « Mais il y aura évidemment, comme ce fut le cas avec Hubble, une part de surprise. On prédit ce que l’on veut observer pour vérifier tel ou tel modèle ou hypothèse, mais il y aura toujours une part d’imprévus », poursuit Hakim Atek. « Quand on a un appareil qui permet de faire un bond d’un facteur 100 en termes de sensibilité dans l’infrarouge, les découvertes les plus spectaculaires seront probablement celles que l’on n’attend pas », renchérit Pierre Ferruit.
Mais pour que le rêve devienne réalité, encore faut-il que le JWST puisse arriver au point L2 avec tous ses outils en état de marche. Compte tenu de sa taille, il partira entièrement plié comme un origami à l’intérieur de la coiffe d’Ariane 5. Après le décollage, il faudra compter une trentaine de minutes pour que le télescope se sépare de la fusée, à environ 10 000 kilomètres de notre planète. Après quoi, il poursuivra seul son voyage vers L2. Au cours des treize premiers jours, il déploiera ses panneaux solaires, ses antennes de communication, les cinq feuilles de Kapton de son écran thermique. Puis ce sera au tour des dix-huit miroirs hexagonaux de s’ouvrir comme une fleur. Dès que l’écran thermique sera déployé, le télescope commencera à se refroidir. Lorsqu’il atteindra le point L2, après un mois de voyage, quatre à cinq mois seront encore nécessaires pour le mettre complètement en marche et effectuer une série d’alignements, de tests et de calibrations. Les premières observations du ciel débuteront ainsi, si tout se passe comme prévu, en juin 2022.

Texte de Fabienne Lemarchand

Un univers en expansion
À chaque instant, notre univers se dilate. Il est en expansion. On le sait depuis la fin des années 1920 grâce aux travaux de l’abbé belge Georges Lemaître (1894-1966) et à l’astronome américain Edwin Hubble (1889-1953). Tous les objets qui le jalonnent comme les galaxies, les étoiles, etc. s’éloignent donc les uns des autres. Et plus ils sont éloignés, plus ils s’éloignent rapidement. Cette expansion a débuté il y a quelque 13,8 milliards d’années, au moment du Big Bang. Mais contrairement à ce que l’on imagine souvent, celui-ci ne correspond pas à une grande explosion, mais à un plasma très dense et très chaud de protons et d’électrons. En se dilatant, l’Univers a commencé à se refroidir. Après quelque 380 000 ans, la température était suffisamment basse pour que les noyaux et les électrons se combinent entre eux pour former des atomes d’hydrogène électriquement neutres. Ce faisant, des photons ont été libérés. Mais après quelques centaines de millions d’années, ces atomes ont été de nouveau ionisés par le rayonnement ultraviolet et X de la première génération de galaxies et d’étoiles. C’est à cette période reculée que le JWST va permettre d’accéder.
Quatre instruments scientifiques innovants
Le JWST embarque quatre instruments complémentaires :
* NIRCam (pour Near-InfraRed Camera), une caméra dans le proche infrarouge développée par l’Université d’Arizona, idéale pour la détection des premières étoiles et galaxies.
* NIRSpec (pour Near-InfraRed Spectrometer), un spectromètre pour le proche infrarouge mis au point par l’ESA et développé par un consortium d’industriels européens pour l’analyse des propriétés et de l’abondance des éléments chimiques dans des galaxies lointaines ou encore des amas de jeunes étoiles.
* MIRI (Mid InfraRed Instrument), un instrument pour l’infrarouge moyen, développé pour moitié par l’ESA et la Nasa pour observer par exemple les exoplanètes et leur atmosphère.
* NIRISS (Near-InfraRed Imager and Slitless Spectrograph), un imageur dans le proche infrarouge et spectrographe sans fente, développé par l’Agence spatiale canadienne pour étudier les exoplanètes et les galaxies lointaines.