Plusieurs communes de l’archipel sont régulièrement affectées par des coupures d’eau. Résultat d’un système de distribution vétuste et non entretenu depuis plus de 35 ans. Les habitants ont depuis longtemps compensé avec des solutions plus ou moins coûteuses. Un système D laborieux et inquiétant en période de crise sanitaire.

« Trois bouteilles d’eau chaude et six d’eau froide », c’est la recette d’une douche malheureusement habituelle pour Christine Moustapha, qui habite le Gosier, une commune de Guadeloupe régulièrement impactée par les coupures d’eau. Depuis le début de la pandémie, cette psychologue en soins palliatifs a mis en place quelques règles d’hygiène pour ne pas contaminer ses deux enfants, lorsqu’elle rentre du travail.

« A la maison, j’enlève mes chaussures, j’interdits les contacts avant la toilette, car je suis confrontée à des patients qui sortent du CHU. Quand les robinets sont à secs, je chauffe de l’eau. Puis, je mets tous mes vêtements en machine, quitte à la lancer plus tard ». Christine est prudente, mais pas inquiète. Vivre avec les coupures d’eau est son quotidien. Une fois douchée, elle se permet d’embrasser ses fils : « Il peut y avoir des risques, mais je ne suis pas paranoïaque. Imaginez tous les objets que l’on touche dans une maison, ça serait incohérent de se priver des câlins ».

Système d’écoulement mis en place par le fils de Christine Moustapha, à Gosier_2020_Credit Christine Moustapha

À trois, ce foyer consomme trois packs d’eau par semaine. Les coupures à répétitions n’inspirent pas confiance à cette mère qui a décidé depuis longtemps de ne plus boire l’eau du robinet. Pour économiser ce bien précieux, un des fils de Christine a bricolé un système d’écoulement avec deux bouteilles en plastique (photos), « Pratique pour la vaisselle et les gestes barrières. Et l’eau sale sert pour la chasse d’eau. » Rien ne se perd ! Le problème de l’eau en Guadeloupe force la créativité.

Des citernes installées

Depuis février 2020, dans le quartier de Carrère à Petit-Bourg, des guirlandes de bouteilles d’eau vides, accrochées tel un collier de perles entre les poteaux électriques, annoncent la couleur : pa ni d’lo. Le maire Guy Losbar affirme que des travaux sont en cours et que des citernes d’eau non-potable ont été installées pour approvisionner à minima, et ce, depuis 2009. Un dispositif multiplié dans cinq secteurs de la ville depuis l’arrêté de substitution du préfet prit le 18 mars dernier : « La Guadeloupe connaît une crise de l’eau depuis de longues années. Nous vivons une crise sanitaire inédite, donc je me suis substitué à six communes, qui relèvent toutes de la compétence du SIAEAG, le syndicat intercommunal concerné », explique Philippe GUSTIN, le préfet de la Guadeloupe. Capesterre-Belle-Eau, Le Gosier, Sainte-Anne, Saint-François et la Désirade ont elles aussi installées des points de ravitaillement en eau potable, ou non et des distributions en bouteilles. « On n’avait pas vu cela depuis des siècles », commente le préfet, qui déplore sur le terrain un manquement aux règles des mesures barrières et des problèmes de communication sur certaines zones.

Il est 8 h, un mercredi, devant l’école de Carrère de Petit-Bourg, un étonnant va-et-vient de voitures surprend en ces temps de confinement. « J’ai vu passer des gens avec de l’eau, je n’étais pas au courant », s’exclame une femme âgée, deux cabas vide en main. Elle ira à son tour chercher son dû, à pied, douze bouteilles dans chacun de ses sacs. Au Moule, exaspérée par les interruptions répétées, une habitante a complété son attestation de déplacement dérogatoire d’une nouvelle case : « Aller se doucher / chercher de l’eau…»

70 % du réseau d’eau « pourri »

La distribution d’eau, une réponse d’urgence à la crise sanitaire liée au corona virus, mais une réponse « tardive » à la crise de l’eau que vit la Guadeloupe depuis plus de 35 ans. Harry Olivier, président de la Fédération des associations des usagers de l’eau de la Guadeloupe, parle de « scandale » : « Les élus semblent être protégés par une enveloppe politique qui fait que leur incurie et leur incompétence n’est pas sanctionnées. Nous, fédération, sommes dans une phase d’analyse à porter plainte pour crime contre les usagers, pour mise en danger des usagers sans eau. Pour que chacun prenne ses responsabilités ». Selon lui, 70 % du réseau d’acheminement est complètement « pourri », mal entretenu depuis la décentralisation, les intervenants trop nombreux et 95 % des usines d’assainissements ne sont pas fonctionnelles. Un audit de juillet 2018 reconnaissait en effet que « le service public de l’eau potable est en situation de crise sévère, avec la multiplication des coupures et des tours d’eau », un système de « planning solidaire » où chaque ville subit des coupures de 12 à 24 heures plusieurs fois par semaine, le temps que ses voisines profitent de ce bien devenu précieux.

Des sociétés ont pris leur droit de retrait

Jean-Claude PIOCHE président du Syndicat intercommunal d’alimentation en eau et d’assainissement de la Guadeloupe, (SIAEAG), assure chercher des solutions pour améliorer les services aux abonnés durant cette crise liée au corona virus, qui s’ajoute à la crise déjà existante de l’eau : « Nous avons mis en place le télétravail au niveau du SIAEAG et de ses régies. Mais nous devons aussi intervenir sur le terrain et ça se complique encore plus, parce que nous intervenons avec des sociétés privées dans le BTP, qui ont, pour certaines, pris leur droit de retrait. Alors, j’aimerais que les services de l’état, au lieu de nous critiquer, je lâche le mot, nous accompagnent. Nous ferions mieux de travailler ensemble ». L’accueil du public étant fermé, le SIAEAG assure répondre aux informations via leur adresse mail.

En temps normal, l’absence d’eau provoquait parfois la fermeture temporaire de certaines écoles qui étaient dans l’impossibilité de procéder à l’entretien. Plusieurs fois et dans de nombreuses communes de l’archipel, des riverains ont exprimé leur ras-le-bol. Les groupes de solidarité sur les réseaux sociaux sont nombreux, les pétitions fleurissent, mais des fuites d’eau restent non-réparées. À titre d’exemple sur le territoire de Capesterre-Belle-Eau, dans les secteurs de Cambrefort, Morne cinq jours et Sainte-Marie, l’eau stagne, provoquant des gîtes larvaires propices à la propagation de la dengue, maladie transmise à l’homme par la piqure de moustique.

Structure unique non finalisée

Posté devant un écoulement qui dure depuis plusieurs années, aux abords de sa maison, Germain Paran, président du Comité de défense des usagers de l’eau de Guadeloupe témoigne, masque sur le nez : « Malgré tous les combats menés depuis plus de 30 ans, on n’en peut plus. En 2020, la structure unique attendue n’est pas finalisée, on est à bout ».

Confrontés aux risques de tremblement de terre et aux cyclones, les Antillais sont habitués à stocker de l’eau, à gérer les coupures, à anticiper les catastrophes. Mais la crise sanitaire que le monde traverse est sans précédent et les gestes barrières préconisés difficiles à répéter lorsque l’eau ne coule pas dans les robinets.