Antilles – Depuis 2011, les échouages massifs de sargasses, algues brunes flottantes, se multiplient sur les côtes de l’Atlantique tropical avec d’importantes conséquences économiques et sanitaires. Car en se décomposant, elles dégagent, entre autres choses, du sulfure d’hydrogène, un gaz nauséabond et toxique pour l’Homme. La première conférence internationale sur les sargasses, qui s’est tenue en Guadeloupe, du 23 au 26 octobre 2019, s’est clôturée par l’intervention du Premier ministre Edouard Philippe et l’annonce de la création d’un « programme caribéen » animé par la région Guadeloupe et financé par des fonds européens. L’objectif: mieux connaitre cette algue et les raisons pour lesquelles elles prolifère tout en renforçant la capacité de réponse régionale face aux échouages massifs. La création d’un centre d’alerte et de surveillance à l’échelle du bassin caribéen a ainsi été actée de même que la mise en place d’une plateforme vouée à la collecte de données scientifiques, mais aussi techniques. Et en la matière, les innovations fourmillent que ce soit pour la prévision des échouages, le suivi des émanations gazeuses, la collecte ou encore la valorisation des sargasses.

Parmi les projets présentés en marge de la conférence. Sargood, piloté par l’université des Antilles, vise par exemple à isoler les les molécules contenues dans les sargasses à des fins pharmacologiques ou agroalimentaires, mais aussi à vérifier le potentiel de l’algue en matière de biomatériaux pour la construction. Le projet ECO3SAR (Ecologie, Ecotoxicologie, Economie des sargasses) porté par le CNRS et l’ADEME cherche, lui, à les valorises, notamment sous la forme d’amendement. D’autres explorent la possibilité de les exploiter dans la production de papier, de carton, de bioplastiques, ou encore d’énergies (biocarburants, méthanisation, etc). Mais les obstacles sont nombreux avant que le fléau ne se transforme en aubaine. D’abord, parce que les sargasses concentrent les métaux lourds (comme l’arsenic) et le chlordécone, cet insecticide toxique utilisé aux Antilles jusqu’au début des années 90 pour lutter contre le charençon du bananier. Ensuite parce que l’a souligné l’ethnologue Florence Ménez, de l’Université des Antilles, lors de son intervention, une partie de la population, celle qui généralement habite à proximité des zones d’échouage, n’est tout simplement pas prête à entendre parler de valorisation tant ces algues ont « contaminé » l’imaginaire collectif. « L’enquête que j’ai menée en Guadeloupe et en Martinique dans le cadre d’ECO3SAR visait à cerner les pratiques des acteurs sociaux en matière de compostage, leur rapport à la terre, afin de savoir s’ils pouvaient intégrer dans ces usages, matériellement et symboliquement, des sargasses transformées en engrais. D’après les résultats provisoires de l’enquête, il ressort que les sentiments sont partagés selon la zone de résidence, de l’activité professionnelle et surtout l’expérience sensible de chacun: les personnes les plus exposées aux odeurs, qui ont des problèmes de santé ou qui ont dû bouleverser leurs habitudes… sont réticentes en ce qui concerne l’utilisation des algues valorisées. Leurs souffrance et leur méfiance sont elles que par « sargasses » elles entendent immédiatement « arsenic ». » D’autres ont des avis plus nuancés. « Mais globalement elles veulent de la transparence que ce soit au niveau des données toxicologiques comme du processus de réalisation des produits issus des sargasses. »

(F.Ménez, La télé est morte – Algues brunes, corrosion, contagion aux Antilles, Technique & Culture, 5 décembre 2019)