À 17 ans, en plein conflit mondial, Manuel Viriato quitte son Ceará natal pour l’Amazonie. Sur place, il intègre l’«armée» des 55 000 Nordestins affectés à la récolte du latex pour l’industrie de guerre américaine. «La bataille du caoutchouc » va durer de 1942 à 1945. 70 ans plus tard, les 5 500 rescapés sont toujours en quête de reconnaissance. Extraits de l’article paru sur Folha Online.

En 1942, l’Asie du Sud-Est, plus grand producteur mondial de caoutchouc, passe sous domination japonaise. Les États-Unis perdent leur principal fournisseur. Ils se tournent alors vers le Brésil, dont la filière est moribonde. Les accords signés entre les deux pays prévoient une production annuelle de 45 000 tonnes. Le président Getúlio Vargas appelle à un effort de guerre. «Travailleur nordestin, fais ton devoir envers la patrie, engage-toi aujourd’hui », clame la propagande gouvernementale pour attirer les futurs « soldats du caoutchouc. »
En Amazonie, les conditions de travail sont déplorables, proche de l’esclavage. « Les patrons agissaient comme bon leur semblait tant au niveau du traitement que de la paye, il n’y avait pas de contrôle », déclare Viriato. Inexpérimentés, les forçats nordestins s’exposent aux dangers de la forêt (jaguars, serpents…) et aux maladies tropicales (paludisme, fièvre jaune…). Néanmoins, ils peuvent compter sur le soutien des 10 000 « seringueiros » encore en activité dans la région. Parmi eux, Manuel Ferreira de Brito, 17 ans et résident de Canutama (Amazonas). Il apprend le métier à des centaines de compatriotes. « C’était très compliqué, l’hévéa est difficile à travailler. Ils ont été trompés. Les soldats mouraient sur le front, eux mouraient en forêt », confesse Brito.
« [La propagande] disait que la victoire du Brésil dépendait du caoutchouc et des travailleurs en Amazonie. Et nous, les jeunes, ça nous motivait », concède Viriato. Selon Folha Online, cet épisode fera au moins 30 000 victimes en Amazonie, sans compter les milliers d’hommes qui périrent au cours du transfert à bord des camions et bateaux.

Oubliés et abandonnés
Après la guerre, tous ces Nordestins sont tombés dans l’oubli. Pour la plupart, ils ne sont jamais retournés au pays. « Ces hommes n’ont jamais été démobilisés, personne ne leur a donné de billets de retour. Ils ont été recrutés, puis abandonnés», dénonce Frederico de Oliveira Lima, auteur d’un ouvrage sur le sujet [1]. Pourtant, à en croire les patrons récoltants, les États-Unis auraient envoyé de l’argent pour les dédommager après la guerre. Depuis 1988, le gouvernement leur verse deux salaires minimums. C’est bien peu au regard des avantages octroyés aux vétérans de la Seconde Guerre Mondiale : sept salaires minimums, des indemnités et une couverture médicale entre autres.
En mai 2014, le Congrès a adopté un amendement constitutionnel garantissant à chacun des survivants et leur descendants le versement de 25 000 reais [2] courant 2015. Le syndicat des soldats du caoutchouc et des récoltants de Rondônia demandait 30 fois plus. Il a assigné l’Union en justice pour violation des droits humains et réclame l’application rétroactive des droits du travail. Les derniers soldats du caoutchouc vivent principalement dans le Rondônia et l’Acre.

[1] Soldados da Borracha : das vivências do passado às lutas contemporâneas (Soldats du caoutchouc : des expériences du passé aux luttes contemporaines.)
[2] 1 real = 0,32 euro

Source : Folha Online
Titre original : ‘Soldados da Borracha’ da Amazônia na 2ª Guerra esperam indenizações (5/01/2015)
La version originale contient une courte vidéo en portugais : http://www1.folha.uol.com.br/cotidiano/2015/01/1570535-enviados-aos-seringais-da-amazonia-na-2-guerra-esperam-indenizacoes.shtml

Photos : Seringueiro dans l’Etat du Pará sur la rive du Xingu. Photo P-O Jay

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