En Amazonie bolivienne, un trafic de canines de jaguar alimenterait le marché de la médecine traditionnelle asiatique. à 100 U$ l’unité, le négoce peut susciter des vocations. D’autres pays voisins seraient touchés. [BBC Brasil, 13/12/16, Extrait]

De 2014 à 2016, les autorités boliviennes ont saisi 262 canines de jaguars. À raison de quatre canines par tête, cela signifie qu’au moins 66 jaguars ont été abattus illégalement. Ces résultats jugés satisfaisants par le gouvernement bolivien sont « le fruit de la politique nationale de lutte contre le trafic des animaux sylvestres et de sensibilisation auprès de la population ». Les trafiquants ne vont pas directement en forêt pour chasser les félins. Ils préfèrent recruter indigènes et petits paysans à travers des annonces radiophoniques passées dans les bourgades amazoniennes. En mai dernier, à proximité du parc national Madidi – une des plus grandes réserves forestières du pays – des policiers infiltrés ont arrêté deux citoyens chinois en possession de plusieurs canines. Un fait plutôt rare, car généralement les trafiquants choisissent plutôt de se faire expédier la “marchandise” dans des colis postaux pour échapper au flagrant délit.

Selon les autorités et les défenseurs de la cause animale en Bolivie, le jaguar amazonien risque de connaître le même destin funeste que son cousin le tigre du sud-est asiatique. Par le passé, le tigre était habituellement utilisé à des fins médicinales, mais dans les années 1990 la plupart des associations de médecine traditionnelle asiatique ont interdit cette pratique. Os et dents des grands félins servaient à tonifier l’organisme et traiter la douleur. Les organes sexuels entraient dans la préparation de recettes pour favoriser la fertilité. « On retrouve ces ingrédients dits aphrodisiaques dans de vieux ouvrages, mais ils ne sont plus utilisés. Et si certains y ont encore recours, c’est plus lié à l’ésotérisme ou au mysticisme local », affirme Reginaldo Filho, directeur de l’école brésilienne de médecine chinoise. Actuellement, il est impossible de savoir précisément à quoi étaient destinées ces marchandises. Car les os, griffes, canines et peaux sont aussi utilisés comme amulettes ou objets décoratifs.
Selon l’ONG bolivienne Fobomade, l’augmentation de la demande semble corrélée à l’arrivée récente de citoyens asiatiques en Bolivie, l’empire du Milieu ayant lancé de grands investissements dans la région. Hypothèse contestée par Teresa Peres, représentante du ministère de l’Environnement bolivien.

Des cas avérés au Guyana et Suriname
« À cause de cette superstition sans fondement, les tigres du sud-est asiatique ont pratiquement disparu. Alors, les trafiquants se tournent vers d’autres pays », déclare Roberto Cabral, responsable des opérations de surveillance à Ibama, le gendarme de l’environnement brésilien. « Nous n’avons aucun cas à déplorer, mais ce trafic existe certainement. » Cependant, il existe des cas avérés de félins abattus au Guyana et au Suriname pour approvisionner le marché asiatique, selon Traffic international, une ONG spécialisée dans la surveillance de la traite animale dans le monde.
Au cours des cinq dernières années, le Brésil a réalisé 42 saisies. La plupart des cas sont liés à l’extension des espaces agricoles, qui fragmente l’habitat naturel des jaguars. En Amazonie brésilienne, les jaguars s’attaquent au bétail des grandes exploitations. Excédés, les fazendeiros recrutent des chasseurs pour les abattre. Les bûcherons font de même, selon Marcos Lemos du Département de lutte contre la criminalité de la faune et la flore dans le Pará. « Quand on découvre des chantiers forestiers illégaux, on y trouve toutes sortes de “gibier”. Les félins sont tués pour leur peau qui est très prisée des collectionneurs », précise-t-il. Au Brésil, le  braconnier encourt de six mois à un an de prison, mais souvent le prévenu échappe à l’incarcération en purgeant une peine alternative. En Bolivie, où la justice est plus ferme, la loi prévoit d’un à six ans de prison pour ce type de crime.

Titre original : « Medicina tradicional asiática incentiva caça ilegal de onças na Amazônia », Luis Kawaguti, BBC Brasil, 13/12/ 2016 – Extraits.

Photo Thierry Montford