Selon Márcio Santilli (1), ancien président de la Funai (Fundação Nacional do Índio) sous le gouvernement Cardoso (PSDB), membre fondateur de l’Institut socio-environnemental (ISA) et opposant à la présidente Dilma Rousseff (PT), les préjugés de la société brésilienne vis à vis de « ses Amérindiens » persistent dans un contexte économique peu favorable. Extraits de l’interview du magazine Carta Capital (19/04/15)

Les indigènes ne sont pas prioritaires
« Depuis le retour à la démocratie en 1988, l’État brésilien a mis en œuvre un ensemble de politiques en faveur des peuples autochtones. Cependant, depuis cinq ans nous enregistrons quelques revers. Le processus de démarcation des terres indigènes qui relève de l’exécutif est pratiquement paralysé. Et la gestion des territoires déjà délimités est minimaliste. Cette politique restrictive affecte également la réforme agraire, les zones de conservation environnementale et les territoires marrons. Les priorités ont changé avec l’arrivée au pouvoir de Dilma Rousseff. »

L’agroalimentaire et l’industrie minière ont pris le pas
Contrairement à Lula [qui a été un pionnier dans la reconnaissance des droits fonciers des communautés marronnes, qui a alloué aux paysans sans-terres un nombre record de parcelles dans le cadre de la réforme agraire et accordé la démarcation des territoires autochtones ], Dilma Rousseff n’a pas la même approche dans sa gestion des terres publiques. La conjoncture économique du pays joue aussi un rôle. En général l’industrie se contracte et le secteur des services stagne, mais le secteur primaire, avec l’exploitation minière et l’agroalimentaire, a le vent en poupe. Ces deux filières sont bien représentées au niveau parlementaire et disposent d’un pouvoir de pression sur le gouvernement. »

Une représentation parlementaire très conservatrice
« Le Congrès brésilien est à la traîne en matière de réforme et de démocratisation. Par exemple, les États les moins peuplés et les moins développés sont surreprésentés à Brasília. Ainsi le Roraima compte 8 députés pour 500 000 habitants et São Paulo seulement 70 députés pour 44 millions habitants. En proportion, les Paulistes devraient disposer de 800 députés ! Cette distorsion renforce la présence de représentants plus conservateurs. Ce n’est pas sans effet sur le traitement des droits des minorités. Ainsi, à travers la PEC 215 (2), le Congrès veut rompre de façon unilatérale le pacte constitutionnel garantissant les droits des Amérindiens. »

Un gouvernement fédéral peu réactif
« Il reste à délimiter entre 25% et 30% du passif historique. Cela correspond aux terres les plus conflictuelles. Et pour la plupart, la justice a été saisie. Même si l’exécutif n’a pas la main, il a fait preuve de léthargie dans le traitement des dossiers. Il devrait s’engager davantage et mettre en place des solutions innovantes à travers des mécanismes compensatoires. Souvent, la reconnaissance des terres autochtones touche des zones attribuées à des tiers par les pouvoirs publics. Il est clair que seul le gouvernement peut résoudre un problème qu’il a lui-même créé par le passé. »

Du coût de la judiciarisation des conflits fonciers
« Nous devons démarquer toutes les terres indigènes. Les conflits sans fin autour des terres autochtones coûtent cher au peuple brésilien. Imaginez le nombre de professionnels engagés dans la médiation, le coût induit dans les zones de production, l’argent perdu dans les méandres des tribunaux… Aujourd’hui, il serait plus judicieux de verser des indemnités aux parties lésées et délimiter les terres plutôt que de poursuivre sur cette voie judiciaire. »

Retour à l’époque de la dictature
« Constructeurs et gouvernement manquent de respect envers les communautés autochtones. Le dialogue est rompu. Nous sommes revenus à l’époque de la dictature. Nous devons trouver un moyen de compenser l’impact causé à leurs lieux de vie. Nous considérons qu’il est juste de détruire un fleuve dont dépendent 20 000 Amérindiens pour apporter l’électricité à 20 millions de personnes dans le Grand São Paulo, mais il y a un problème éthique. Autre exemple édifiant : le gouvernement est en train d’installer une ligne à haute-tension à travers le territoire amérindien pour électrifier le Sud-est, alors que les villages ne sont même pas raccordés… »

De la place de l’Amérindien dans la société brésilienne
La Commission nationale pour la vérité a révélé les crimes de la dictature contre les Amérindiens, mais le sujet a eu peu d’écho dans les médias (3). Aujourd’hui, ces communautés se sont structurées pour défendre leur cause. « En 1988, il n’y avait que la Funai. Actuellement, il y a des centaines d’organisations autochtones à travers le Brésil. Les peuples amérindiens tissent des relations avec les trois pouvoirs et différentes agences gouvernementales. Auparavant, il y avait très peu d’Amérindiens parlant portugais et ayant un bon niveau d’étude ; aujourd’hui, on les compte par milliers. Toutefois, les préjugés persistent et touchent diverses minorités. » Comme il y a 50 ans, dans l’opinion publique l’Amérindien reste un bon à rien et un obstacle au développement. « Les nouvelles générations devront se débarrasser de ces a priori qui ont imposé une histoire marquée du sceau de la domination et de la violence. », conclut Márcio Santilli.

(1) Insuffisamment soutenu par le ministère de la Justice et faute de moyens financiers, Márcio Santilli démissionna de la Funai au bout de six mois de mandat.
(2) Proposition d’amendement constitutionnel qui, en cas d’adoption, permettrait au Congrès d’interférer dans le processus de démarcation des terres indigènes.
(3) Lire « Construction des routes amazoniennes et massacres d’Amérindiens au temps des militaires » (Journal des Guyanes n°12)

Titre original : « A relação do governo com os índios se assemelha à da ditadura » (Marcelo Pellegrini)

Lire l’interview intégrale en portugais : www.cartacapital.com.br/sociedade/a-relacao-do-governo-com-os-indios-se-assemelha-ao-periodo-da-ditadura-4112.html

http://www.socioambiental.org/pt-br

http://www.une-saison-en-guyane.com/breves/journal-des-guyanes/construction-des-routes-amazoniennes-et-massacres-damerindiens-au-temps-des-militaires/

Photo en haut : Défilé rapide amérindien lors de la marche du Forum Social Mondial de Belém en janvier 2009. (Cliché Atelier Aymara / P-O Jay)

Photo en bas : Exposant amérindien au Forum Social Mondial de Belém en janvier 2009. (Cliché Atelier Aymara / P-O Jay)

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