Depuis décembre 2015, l’extraction de sable était interdite sur la plage de Braamspunt. Mais en février dernier, barges et pelles mécaniques ont repris du service sur ce site proche de la capitale Paramaribo, au grand dam de la population et des ONG locales. [Mongabay, 27/03/17. Extraits.]

L’extraction de sable n’est pas un problème propre au Suriname. Dans un récent article intitulé « La crise écologique mondiale dont vous n’avez peut être jamais entendu parler », le quotidien britannique The Guardian tirait la sonnette d’alarme [1]. Pour les routes, pour les constructions en béton, le verre, la demande de sable est immense. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville et cette tendance ne va pas s’arrêter. 40 milliards de tonnes de sable seraient nécessaires pour soutenir cette croissance urbaine sans précédent. Auparavant, le sable était prélevé dans les carrières et les lits des rivières, mais aujourd’hui les entreprises se tournent vers l’océan. L’extraction en milieu côtier a déjà entraîné la destruction de nombreuses plages et même d’îles entières.

Le gouvernement passe outre
Dans son rapport d’impact environnemental de 2016, le WWF Guianas recommandait une interdiction permanente : la plage de Braamspunt doit être préservée, précisait-t-il, car elle assure la protection naturelle de la côte, de Paramaribo et ses 250 000 habitants. Elle est aussi un site de ponte des tortues luths – espèce inscrite sur la liste rouge de l’UICN [1] – et des tortues vertes, autre espèce menacée d’extinction. Le gouvernement surinamais s’était initialement conformé à la recommandation du WWF, mais courant février le ministère des Ressources naturelles a délivré des permis d’exploitation à quatre sociétés locales. « Un mauvais choix, qui augmente le risque d’érosion, réduit la capacité de protection contre les tempêtes et la montée du niveau de la mer, et impacte négativement la pêche et la biodiversité. », déclare Pascal Peduzzi, expert et chercheur aux Nations Unies.
Face à ces menaces, de nombreuses manifestations et interdictions ont vu le jour un peu partout sur la planète. Mais le secteur est lucratif et un marché noir conséquent et rentable se serait mis en place. En Inde, la « mafia du sable » aurait déjà suffisamment d’argent pour corrompre le gouvernement, selon certains activistes. Et de mettre en garde : « Si l’extraction de sable se poursuit sans contrôle, les conséquences pourraient être dramatiques. Oui, il y a beaucoup de sable, mais pas en quantité infinie. »

Sans protection naturelle, Paramaribo aura disparu dans 50 ans
La côte surinamaise est constituée de nombreux bancs de vase dérivant vers l’ouest et dont la taille peut fluctuer au fil du temps. A certains endroits exposés à la houle, des bancs de sable de 2 à 4 mètres se forment sur ces fonds boueux. Ils constituent un rempart naturel contre la houle et les risques de submersion. Ce phénomène permet de fixer la mangrove et contrer l’érosion côtière. Ainsi, bancs de vase, bancs de sable et mangroves forment un système naturel qui, sans coût pour la collectivité, protège près d’un demi million de personnes installées le long de la côte surinamaise. Une sagesse qui ne fait malheureusement pas l’unanimité.
« Le sentiment général est que nous avons beaucoup de mangroves », déclare Sieuwnath Naipal, professeur hydrologue à l’Université Anton de Kom de Paramaribo [2]. Cependant, si l’homme élimine les protections naturelles et par ricochet la mangrove, il devra prendre le relais ; « et cela aura un coût. »
À l’heure actuelle, le gouvernement surinamais n’a pas de plan de substitution. Face au changement climatique, cela pourrait se révéler désastreux pour la population essentiellement concentrée sur le littoral. « Le Suriname figure parmi les sept pays les plus menacés par l’élévation du niveau de la mer, précise Ramses Man du Conservation International Suriname. Si le niveau de la mer augmente d’un à deux mètres, alors la capitale Paramaribo aura pratiquement disparu dans 50 à 60 ans. »

Les tortues en danger
La reprise des activités d’extraction à Braamspunt a coïncidé avec le début de la saison de ponte pour les tortues de mer. Erlan Sleur, activiste à la tête de Protect our Biodiversity in Suriname (ProBioS), a alerté l’opinion en organisant des manifestations, dont celle du 24 février qui a réuni 200 personnes devant le Parlement. À ce jour, au moins sept tortues ont péri sur le site. Le gouvernement rend les pêcheurs responsables de ces morts. Les défenseurs de l’environnement ont une autre explication : le bruit assourdissant et l’éclairage des engins perturbent les tortues, ce qui peut les conduire à l’épuisement, voire la noyade en s’enchevêtrant dans les filets ou autres engins de pêche.
Investir dans le durable
Les ONG espèrent élaborer une solution durable bénéfique pour tous. « Le gouvernement devrait intégrer et reconnaître les préoccupations économiques, environnementales et sociales de toutes les parties prenantes », déclare Monique Pool, fondatrice du Green Heritage Fund. Et de poursuivre : « Les opérateurs d’écotourisme et les pêcheurs qui dépendent de la biodiversité de Braamspunt n’auront pas nécessairement d’autres options de revenus si la plage est détruite. » La société civile s’en remet au gouvernement pour promouvoir des matériaux alternatifs ou désigner des sites moins sensibles pour répondre aux besoins de l’industrie de la construction. « Nous ne disons pas qu’on ne peut pas gagner de l’argent en exploitant la nature, mais nous invitons [les investisseurs] à puiser dans les ressources naturelles durables. Il faut bien réfléchir à ce que l’on prélève », conclut Ramses Man.

[1]  »The global environmental crisis you’ve never heard of », The Guardian, 27/02/17 (Cf. lien ci-dessous)
[2] Union internationale pour la conservation de la nature
[3] Suriname.  »Des digues filtrantes pour contrer l’érosion et sauver la mangrove », USG N°16 (Cf. lien ci-dessous)
Titre original :  »Sand mining ban lifted on beach in Suriname, causing public backlash », Mongabay, 27/03/2017, Rachel Fritts, [Extraits].

https://news.mongabay.com/2017/03/sand-mining-ban-lifted-on-beach-in-suriname-causing-public-backlash/

Liens des articles cités dans le texte :

http://www.une-saison-en-guyane.com/breves/journal-des-guyanes/suriname-des-digues-filtrantes-pour-contrer-lerosion-et-sauver-la-mangrove/

https://www.theguardian.com/cities/2017/feb/27/sand-mining-global-environmental-crisis-never-heard

Photo : la mer envahit la savane Sarcelle à Mana – octobre 2016 – Photo P-O Jay