Bien qu’opposés au gouvernement brésilien, les mouvements sociaux se mobilisent pour défendre Dilma Rousseff visée par une procédure de destitution. Ils demandent le départ du président de la chambre des députés Eduardo Cunha (PMDB-RJ) et une inflexion de la politique gouvernementale. C’est pour la présidente la dernière chance de se rapprocher du peuple, selon Josué Rocha, membre de la coordination du Mouvement national des travailleurs sans-abri. Extraits d’interview [Agência Pública, 15/12/15].

Le positionnement paradoxal des mouvements sociaux
« Le gouvernement fédéral est le principal responsable du changement de cap économique. La procédure de destitution actuellement en cours est une opération de chantage orchestrée par Eduardo Cunha ; en cas de succès, le vice-président Michel Temer (PMDB) hériterait du pouvoir. Or son projet est encore plus radical avec des coupes budgétaires et la poursuite des privatisations. »
Pas de chèque en blanc
« Nous sommes prêts à combattre la procédure de destitution pour ce qu’elle représente : un retour en arrière. Mais en aucun cas, les mouvements sociaux ne sont prêts à signer un chèque en blanc à la présidente. Nous voulons qu’elle engage un dialogue avec nous pour garantir nos droits qui sont menacés par le ministre des Finances [Joaquim Levy, un économiste orthodoxe chargé par Dilma Rousseff de relancer l'économie et regagner la confiance des marchés]. »
Les orientations politiques
« Dans son projet intitulé Un pont vers l’avenir, Michel Temer préconise la privatisation de la santé, de l’éducation et aussi des banques publiques – des mesures que nous considérons effarantes. Au terme du second tour [des élections d'octobre 2014], la présidente Rousseff a finalement adopté le programme du candidat défait, Aécio Neves (PSDB), ce qui a lourdement contribué à sa chute de popularité. Maintenant, c’est sa dernière chance de renouer avec le peuple. Elle doit clairement se réengager en faveur d’une politique garantissant les droits sociaux. »
L’essoufflement du mouvement en faveur de la destitution
« Il est de plus en plus évident qu’il s’agit d’une tentative de renverser le gouvernement. La population sait que le président de la chambre des députés entretient un chantage. Avec tant d’affaires sur le dos, Eduardo Cunha n’a pas à ce stade la crédibilité pour demander la destitution de la présidente. Il est rejeté massivement, et cela se ressent déjà au niveau de la participation aux manifestations. Bien que mécontents du gouvernement, les gens estiment que le processus de destitution n’est peut être pas la solution en ce moment. »
Poussée conservatrice au Parlement
« C’est très inquiétant. C’est le congrès le plus conservateur depuis la fin de la dictature [1985]. Le combat ne consiste pas à obtenir de nouveaux droits, mais à éviter de perdre nos acquis. L’abaissement de l’âge de la majorité pénale, la loi anti-terrorisme, le projet de loi sur les restrictions à l’avortement en cas de viol sont quelques exemples mettant à mal les droits sociaux… C’est le reflet de ce qu’est la chambre dirigée par Cunha, l’association conservatrice des secteurs d’affaires et du groupe parlementaire évangélique. Dans sa nouvelle configuration, l’actuelle assemblée compte moins de représentants des travailleurs et plus de représentants du monde des affaires et du groupe ruraliste [composé de grands propriétaires]. »

Titre original : Combater impeachment não é dar cheque em branco a Dilma, diz MTST [Tatiana Farah / Agência Pública (15/12/15)]

Le contexte : Mercredi 2 décembre, Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, valide la demande de procédure de destitution (impeachment) contre la présidente brésilienne. Dilma Rousseff aurait maquillé les comptes publics pour minorer l’ampleur des déficits de l’Union. Pourtant « il n’y a aucun fondement juridique », estiment de nombreux juristes et politiques. Eduardo Cunha serait un homme aux abois. Il est impliqué dans le scandale de corruption autour de l’entreprise pétrolière nationale Petrobras. Pour de nombreux observateurs, c’est le « 3e tour des élections » qui se joue actuellement. Battu au second tour, Aécio Neves s’est réjoui de l’ouverture de la procédure et a invité la population à manifester son mécontentement. Intellectuels, artistes, recteurs d’université ont pris position contre cette tentative de « confiscation de la démocratie ». Le 15 décembre la police fédérale a réalisé une série de perquisitions dans les bureaux et résidences d’Eduardo Cunha, de ministres et parlementaires du PMDB [parti allié de la coalition gouvernementale] dans le cadre de l’enquête sur le scandale Petrobras… À suivre.

Quelques chiffres :
13 décembre : 407 000 manifestants selon les organisateurs / 83 000, selon la police militaire (PM).
16 août : 2 millions selon les organisateurs, contre 879 000 selon la PM.

Photo :  »Dilma Rousseff graffiti » près de Lyon par Thierry Ehrmann -