Les grands chantiers routiers lancés en Amazonie par les militaires dans les années 70 ont été passés au crible par la Commission nationale pour la vérité (1). Selon les témoignages recueillis, environ 8 000 Amérindiens furent exterminés au cours de cette période.

La transamazonienne reliant le sud du Maranhão à la frontière péruvienne (BR-230), la Manaus-Boa Vista (BR-174), la Cuiabá-Santarém (BR -163) et la Perimetral Norte (BR-210) faisaient partie du Plan national d’intégration créé par le président Médici en 1970. L’intention du gouvernement militaire était d’installer un demi-million de colons sur « une terre sans hommes pour des hommes sans terre ! »

Priorité des militaires, la construction de la mythique transamazonienne (BR-230) fut le théâtre d’une véritable tragédie pour 29 groupes autochtones, dont 11 tribus isolées. Les documents en possession de la Commission nationale pour la vérité font état de l’extermination quasi totale des ethnies Jiahui et Tenharim dans le sud de l’État d’Amazonas.
Plus au nord, la construction de la BR‑210, dont le tracé initial reliait l’embouchure de l’Amazone à la frontière colombienne, aurait fait 2 000 victimes chez les Yanomami. Sans compter les conséquences désastreuses de l’arrivée massive des orpailleurs, suite à la publicité faite par les autorités militaires autour du potentiel minier du territoire Yanomami. Aujourd’hui, la route se résume à 2 tronçons : environ 100 km en Amapá et 400 km dans le Roraima.

Pour « pacifier » les Amérindiens, les militaires firent appel aux missionnaires et aussi aux indigénistes, mais souvent en vain. Mitrailleuses, revolvers, grenades, bâtons de dynamite, voire même des gaz mortels devinrent alors leurs principaux outils de persuasion. Les « correrias », raids meurtriers contre les villages et leurs occupants, se sont perpétrées jusqu’à la fin des années 70, principalement dans le sud Amazonas et l’Acre.

Le génocide des Waimiri-Atroari

Dans son rapport O genocídio do povo Waimiri-Atroari, le Comité pour la vérité d’Amazonas relate le massacre des Waimiri-Atroari (ou Kinã) au cours de la construction de la BR-174. Entre 1967 et 1977, cette ethnie installée dans une vaste région comprise entre Manaus (Amazonas) et Caracaraí (Roraima) fut pratiquement décimée, passant de 3 000 à moins de 1 000 personnes. En 1983, ils n’étaient plus que 332, dont 216  enfants ou jeunes de moins de 20 ans ! « Des agents publics ont participé directement à la plupart des raids. […] Des pères, des mères et des enfants tués, des villages détruits par le feu et les bombes. Des habitants qui entrent en résistance, des familles qui s’enfuient, cherchant refuge dans quelque village ami. La forêt déchirée et les voies fluviales occupées par des « envahisseurs’’ agressifs et hostiles. »

Pour Egydio Schwade, auteur du rapport, cet épisode plutôt récent qui s’est déroulé près de Manaus est peu connu. « En dépit d’une documentation abondante mettant en évidence la pratique d’une politique génocidaire, l’information autour des Waimiri-Atroari a été cadenassée. » Indigénistes, scientifiques et journalistes furent tenus à l’écart par les militaires pendant et après le chantier : « L’accès était interdit, sauf à ceux qui étaient associés aux intérêts des sociétés [barrages, mines] installées sur le territoire indigène. »
Selon la Commission nationale pour la vérité, la connivence des agents publics avec les hommes d’affaires et les fazendeiros, eux-mêmes, en cheville avec les politiques locaux, est clairement établie. Des dollars pleins les yeux, les spéculateurs accompagnaient de près l’ouverture des nouveaux fronts et s’accaparaient les terres amérindiennes (cf. l’encadré: Les voleurs de terres).
De nombreuses archives ayant été détruites, remonter jusqu’aux donneurs d’ordre, est mission quasi impossible. Cependant, les rapporteurs disposent des noms des responsables militaires en poste dans les États, les municipalités et sur les fronts pionniers qui, sous la pression de leur hiérarchie, auraient ordonné ou consenti aux attaques.

 La Manaus-Caracaraí, coûte que coûte

« La route est irréversible au même titre que l’intégration de l’Amazonie au pays. La route est vitale… Nous n’allons pas modifier son tracé dans le seul but d’apaiser les Amérindiens. […] Les Amérindiens continueront à tuer nos hommes ou ceux de la Funai*. Pourquoi ne pas les déplacer dans le Parc national du Xingu. Là-bas, il y a bien une petite quinzaine de tribus qui vivent pacifiquement, non ? La Manaus-Caracaraí sera construite coûte que coûte. Nous n’allons pas arrêter le chantier simplement pour que la Funai termine son travail de pacification des Amérindiens ! »

Colonel Arruda, commandant du 6e Bataillon Ingénierie et Construction (A Crítica, quotidien de Manaus, 08/04/75)
*Fundação Nacional do Índio, organisme public chargé des affaires indigènes.

 

L’Amazonie n’est pas intégrée au reste du pays

À la tête du commandement militaire de la région amazonienne — 19 000 hommes, 9 300 km de frontières — le général Eduardo Villas Bôas livre son point de vue pragmatique sur l’Amazonie dans un entretien au quotidien Folha de São Paulo (19/10/13). Extraits.
L’Amazonie vue de Brasília : « Au XXIe siècle, le Brésil n’a pas encore achevé sa conquête territoriale […] L’Amazonie n’étant pas intégrée au reste du pays, dans le sud on ignore sa réalité, son potentiel. Comme si l’Amazonie était une colonie du Brésil. […] Dans certaines régions, les militaires sont les seuls à maintenir une présence auprès de la population. »

Démarcation des terres indigènes : « Dans la réserve de Raposa /Serra do Sol (Roraima), les non-autochtones ont été forcés de partir. Aujourd’hui, les Amérindiens peinent à trouver des alternatives viables. Le gouvernement a du mal à remplacer le secteur privé. […] Pauvres Amérindiens, ils sont pris entre deux feux : l’intérêt économique et le fondamentalisme environnemental. »
Limites de la politique indigéniste : « Les organismes chargés de l’environnement et des Amérindiens en Amazonie sont défaillants. […] D’autre part, la politique indigéniste se résume concrètement à délimiter les terres et à y confiner les Amérindiens. Il serait intéressant d’y associer un autre type de programme pour assurer leur subsistance. »

De l’influence des ONG étrangères : « L’Amazonie a un rôle essentiel dans l’intégration sud-américaine. Elle est la réponse à certains grands problèmes de l’humanité tels l’eau, les énergies renouvelables, la biodiversité, le changement climatique. C’est ce qui explique toute cette pression de l’opinion publique internationale autour de l’Amazonie. […] Les ONG sont venues pour combler un vide et répondre aux besoins de la population… Souvent, leurs actions sont opposées aux intérêts du gouvernement brésilien. »

Exemple d’ingérence : « Les problèmes rencontrés par le gouvernement pour asphalter la BR-319 (Manaus-Porto Velho), c’est grotesque ! Manaus est relié au Venezuéla (BR-174), mais pas au reste du Brésil. […] C’est essentiellement à cause de l’intégrisme écologique2. On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs : si je dois installer un gazoduc, je vais bien devoir abattre quelques arbres. »

Commission nationale pour la vérité : « Chaque militaire a son opinion sur ce sujet sensible. En parler risquerait de faire tort à la fois à l’armée et au gouvernement fédéral. »

 

Les voleurs de terres

L’accaparement des terres amazoniennes dans le cadre des grands projets structurants est une pratique qui perdure. Ainsi, à propos des barrages de Jirau et Santo Antônio sur le fleuve Madeira (Rondônia) — 2 ouvrages du Programme d’accélération de la croissance mobilisant  40 000 travailleurs, un ouvrier témoigne dans le magazine Carta Capital (26/04/11). Il parle d’un homme d’affaires rapace : « Ce type (propriétaire d’une maison close de standing) suit les grands chantiers… Actuellement, il est dans le Pará sur la centrale de Belo Monte. Il vient repérer les terres qui seront préemptées et les achète aux locaux. Il est ensuite indemnisé et engrange les bénéfices. Il est dédommagé pour le moindre arbrisseau et ne se déplace qu’en voiture de luxe !  »

1*  Installée en 2012 par la présidente Dilma Rousseff, la Commission nationale pour la vérité est chargée de faire la lumière sur les cas de violations des droits de l’homme commis entre 1946 et 1985, notamment sous la dictature (1964-1985).

2*  En 2009, la branche brésilienne de l’ONG américaine Conservation Strategy Fund a publié une étude d’impact selon laquelle la réhabilitation de la route serait préjudiciable à l’environnement et trop coûteuse.