Après la découverte de vastes réserves de pétrole offshore dans la région contestée de l’Essequibo*, les communautés amérindiennes, souvent victimes des industries forestière et minière, se méfient de l’intrusion de l’économie pétrolière. Mais les différends fonciers autour des terres ancestrales ne contribuent pas à défendre au mieux leurs intérêts. [Intercontinentalcry, 23/12/15. Extraits.]

Longtemps éclipsés culturellement et économiquement par leurs concitoyens d’origine africaine ou indienne confinés sur le littoral, les premiers habitants du Guyana doutent que la découverte de vastes réserves de pétrole - quelque 700 millions de barils, soit plus de 10 fois la production économique actuelle du pays - améliore leur condition. « Historiquement les politiciens ne nous ont jamais inclus dans leurs projets », explique Shuman, chef de St. Cuthbert’s, bourgade indigène du proche intérieur.

Le Guyana compte environ 85 000 Amérindiens, soit 11% de la population, répartis à 90% en zones isolées. Rivières et criques sinueuses font office de routes. Sur le plan économique, le chômage y est élevé et les activités forestières et minières créent des dégâts sociaux et environnementaux considérables. Le législateur guyanien en serait le premier responsable. Selon les groupes de défense des Amérindiens, le droit foncier guyanien présente des lacunes. L’Amerindian Act (2006) borne le territoire ancestral. Or le concept de délimitation est abstrait pour les peuples autochtones. « Il n’y a jamais eu de frontières [chez nous] », précise Jean La Rose de l’Association des peuples amérindiens (APA) qui s’oppose à la démarcation des terres indigènes. L’APA reproche à la commission chargée de l’octroi des concessions minières d’accorder des permis sans le consentement préalable des villages ou sans tenir compte de leurs objections.

Pour Melinda Janki, avocate, femme de terrain et co-auteure de l’Amerindian Act, le lobbying de l’APA sur les communautés amérindiennes a conduit à la perpétuation des conflits fonciers et permis aux sociétés minières et forestières d’accaparer encore plus de terres. Et de préciser : « Une ONG peut adopter une position idéologique. [Mais ses responsables] ne sont pas confrontés aux mineurs qui viennent sur leur territoire parce qu’ils n’ont pas de territoire. Ils ont [juste] un petit bureau en ville. » Elle soutient que la démarcation est une étape clé pour contrer les activités minières et forestières illégales sur les terres autochtones. Pourtant un titre n’est pas toujours une garantie car, en vertu de l’Amerindian Act, les Amérindiens ne possèdent pas de droits sur les rivières ou sur les richesses du sous-sol, argumente l’APA.

La malédiction des ressources naturelles
Avec l’essor de l’activité minière, les problèmes sociaux tels que « les viols, l’alcoolisme et la consommation de stupéfiants » sont en hausse. « Les orpaileurs viennent dans la communauté et entraînent les jeunes filles avec eux », déclare Amrita Thomas, leader de la communauté amérindienne du Haut Mazaruni, vaste région du centre-ouest proche du Vénézuéla. « Ils les appellent les  »femmes de brousse ». Ils font des enfants, puis les abandonnent. Et ils introduisent toutes ces maladies comme le sida, le paludisme. » Huiles usagées, mercure et autres résidus nocifs issus des opérations de dragage dans et autour de son village ont pollué la rivière et causé de graves problèmes de santé aux habitants. L’exploitation minière a entraîné la perte de sa communauté et Amrita s’interroge sur les futures retombées du pétrole.
Les politiques seront-ils à la hauteur des nouveaux enjeux ? Les Amérindiens seront-ils une nouvelle fois ignorés ? La nouvelle coalition multi-ethnique dirigée par le président David Granger s’est engagée à répartir équitablement la manne pétrolière entre tous les citoyens et conjurer la « malédiction des ressources naturelles »…

* Revendiquée par le Vénézuéla, la région de l’Essequibo représente près des deux tiers du territoire guyanien (Cf. Le pétrole empoisonne les relations guyano-vénézuéliennes – USG n°15, Août 2015).

Photo Atelier Aymara – Avril 2014 – Le village amérindien d’Anaï –  Savanes de Rupununi – Guyana