Suite au décret du 27 mai par lequel Caracas réitère non seulement ses ambitions territoriales sur l’Essequibo, mais affiche également ses prétentions maritimes au large des côtes guyaniennes, le Guyana, inflexible, sollicite les instances internationales pour conserver cette zone potentiellement riche en hydrocarbures.  Extraits de l’article du quotidien Guyana Chronicle (D. Wills,14/06).

Carte-guyana

Le contesté sur la région de l’Essequibo remonte à 1962, époque à laquelle le Vénézuéla avait tenté de casser l’arbitrage de 1899 qui établit le tracé frontalier entre le Guyana et le Vénézuéla. La Zona en reclamación représente près des deux tiers du territoire guyanien. Selon Carl Greenidge, ministre des Affaires étrangères du Guyana, depuis que l’ex-Guyane britannique a obtenu son indépendance en 1965, « le Vénézuéla allègue que le traité est caduc, mais il n’a jamais produit le moindre élément de preuve au Secrétariat du Commonwealth basé à Genève pour justifier sa requête ». Et de relever que d’un point de vue juridique et faute d’argument du côté vénézuélien, « le traité s’applique ».
En affirmant ses droits sur la zone maritime au large du Demerara, le Vénézuéla cherche à étendre sa côte orientale, privant le Guyana de son accès à l’océan Atlantique. Caracas accuse même son voisin anglophone d’avoir octroyé des concessions d’exploration au géant pétrolier américain ExxonMobil sans son consentement. Contrairement au Vénézuéla, le Guyana est signataire de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui garantit sa souveraineté sur la zone. Selon Greenidge, « si le monde admet que la répartition des ressources marines et autres ressources au large des plateaux continentaux est capitale, [alors] tous les pays doivent adopter cette convention, sinon le désordre s’installera. »
En 2005, [sous Chávez] le Vénézuéla a créé le programme PetroCaribe au service des pays du bassin caribéen – à l’exception de Trinidad qui possède de grandes réserves de pétrole. Une aide économique indispensable qui permet de dégager des financements pour le développement de la région. Mais Greenidge dénonce la posture du Vénézuéla qui, d’un côté, prête assistance au Guyana avec son pétrole subventionné, et de l’autre « prend des orientations décourageant [son] développement et l’accès [à ses] ressources. »
Dans une tribune récente, le diplomate Sir Ronald Sanders avance deux explications à la crise actuelle : 1- Une situation intérieure tendue où le président Maduro est confronté à une forte opposition politique et un contexte économique très difficile – pénurie chronique de biens de consommation courante notamment. 2- Le mépris du Vénézuéla pour ExxonMobil suite à la nationalisation de l’industrie pétrolière locale en 2007 sous Hugo Chávez. En contrepartie, ExxonMobil avait exigé quelque 16 milliards USD d’indemnités. Finalement, sur décision de la Cour internationale de Justice, le Vénézuéla fut condamné à verser 1,4 milliard USD au pétrolier américain…
Le 12 juin dernier, Greenidge a rencontré l’ambassadeur du Vénézuéla à Georgetown. Et l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) a invité le Guyana à accepter une rencontre bilatérale avec le Vénézuéla. Pourtant, à ce jour, le ministre soutient que tous les recours ont été épuisés, et demande au Secrétaire général des Nations Unies d’intervenir pour garantir la souveraineté et l’intégrité territoriale de son pays.

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▲Deepwater Champion. Photo Michael Elleray

Au temps de Chávez        

Au temps de Hugo Chávez, le contesté ne faisait pas débat. Au contraire, lors de son historique visite à Georgetown en 2004, le leader bolivarien avait indiqué que Caracas ne s’opposerait pas aux grands projets de développement de son voisin dans la région de l’Essequibo. Autre signe de détente l’année suivante, le Guyana a intégré le programme PetroCaribe, qui permet à chaque membre de se ravitailler en pétrole vénézuélien à des conditions préférentielles et d’acquitter sa facture énergétique par le troc. Ainsi, chaque année, Caracas importe de gros volumes de riz guyanien. Dans un article daté du 11/10/13, le quotidien guyanien Stabroeknews livrait l’analyse suivante : « Si le différend frontalier refait surface aujourd’hui, c’est parce que l’administration Maduro est affaiblie économiquement, certains éléments du gouvernement cherchant à allumer un contre-feu pour faire diversion. Il est également probable qu’une partie de la droite vénézuélienne, dont les militaires, cherche à profiter de la situation de crise pour raviver l’intérêt national autour du contesté. »
Plus récemment, au lendemain de l’élection historique de David Granger à la présidence guyanienne, le quotidien conservateur vénézuélien El Universal attaquait violemment le gouvernement Maduro, le qualifiant de  »capitulard » (24/05/15). Extrait : « Les gens d’ExxonMobil sont ravis. Et pour cause : dès le premier forage, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient. Le 5 mars, ils ont débuté une campagne de prospection à  »120 milles au large de la Guyana », et le 20 mai, ils ont eu confirmation qu’il y a bien du pétrole […] Les Guyaniens ont également toutes les raisons de se réjouir, car il sont associés [au géant américain]… C’est même devenu une affaire d’État : ce n’est pas un hasard si l’ex-président guyanien Ramotar a visité, en avril, le navire Deepwater Champion en opération dans les 26 800 km2 de la zone  »abandonnée » [à la puissance rivale]. Et le nouveau président, à peine élu, s’est aussi rendu sur place pour féliciter l’équipage dont les découvertes permettent au Guyana de se joindre à la liste des pays producteurs de pétrole. »

Kaieteur▼Les chutes de Kaieteur sont situées dans la Zona en reclamación. Photo P-O Jay

Historique récent du conflit

31 août 2013 – En visite officielle à Georgetown, le président vénézuélien Nicolás Maduro rencontre son homologue guyanien Donald Ramotar. Les deux chefs d’État s’engagent à résoudre pacifiquement leur litige frontalier, en collaboration avec l’ONU.

10 oct. 2013 – Une frégate de la marine vénézuélienne arraisonne le navire de prospection pétrolière RV Teknik Perdana alors qu’il menait une campagne sismique pour le compte du gouvernement guyanien dans la zone maritime contestée. Le Guyana condamne fermement le Vénézuéla, affirmant « que ces actions menacent gravement la paix dans la sous-région », tout en appelant de ses vœux une issue pacifique. Quelques jours plus tard, l’équipage est libéré mais son capitaine ukrainien est mis en examen pour violation de la zone économique exclusive.
Nov. 2014 – Sur autorisation guyanienne, le navire S/V Prospector pénètre la  »zone sud atlantique du Venezuela » à des fins de prospection sismique. Cette fois, sur ordre de Maduro, la marine vénézuélienne ne bouge pas.