Un hôpital plus vide qu’à l’accoutumée, mais en attente de la fameuse «  vague » de malades, voilà l’ambiance décrite par le médecin infectiologue Loïc Epelboin, l’auteur de notre rubrique « Les chroniques de doc Lucho ». Nous l’avons interrogé sur la situation guyanais face au COVID19.

Doc Lucho, où en est l’épidémie en Guyane ?

Nous avons au 25 mars 2020 27 cas positifs, dont une majorité de cas importés, issus de France métropolitaine, ou issus de bateaux de croisières sur les Antilles. Nous n’avons que 3 cas secondaires chez des personnes qui ont été en contact avec ces cas importés.

Est-ce qu’on pourrait imaginer que ce faible nombre de cas est lié à la faiblesse du virus à la chaleur guyanaise ?

Nous avons un peu plus de données sur cette question, on sait que le Covid19 est un virus « enveloppé », donc un peu plus fragile que les autres. D’un côté on a des publications qui montrent que le virus peut persister plusieurs jours sur le plastique et le métal, ce qui est une crainte sur le mode de transmission, et ce qui impose un lavage de main fréquent. Mais il y a des études qui montent que le R0 (le coefficient de transmission qui quantifie pour le virus le nombre de personnes que contamine un patient en moyenne) serait proportionnellement plus faible à chaque degré supplémentaire de température, et que le taux de transmission du virus diminuerait avec l’augmentation de l’humidité. C’est une hypothèse de travail, mais c’est un espoir, car certains virus respiratoires se propagent mieux quand il fait froid et sec. L’autre espoir en Guyane, c’est que grâce aux mesures d’isolement, prises bien plus tôt par rapport à l’Italie par exemple, en gagnant 15 jours sur l’épidémie nous espérons être en mesure de mieux gérer l’arrivée les cas en hospitalisation sur la durée.

Comment les autres territoires d’Outremer gère-t-il la crise par comparaison ?

À la Réunion, ils sont très anxieux, ils ont plus de 75 cas sur l’île et le corps médical a interpellé dernièrement l’ARS et les pouvoirs publics pour leur dire de prendre plus la mesure des risques à venir. À Mayotte aussi, l’inquiétude grandit, 40 cas en une semaine, déjà 2 patients en réa, la situation est potentiellement explosive vue la prolifération des habitats insalubres là-bas et l’absence de possibilités de confinement des populations précaires

Pour la Guyane, quelle est notre capacité d’hospitalisation des patients COVID19

À Cayenne, nous avons étendu notre capacité, et on aurait désormais la possibilité d’accueillir 30 patients en réanimation. Pour l’instant, 5 patients sont hospitalisés en hospitalisation simple, un 6e arrive juste. Les cas ne sont pas sévères, ils ont besoin d’oxygène, mais pas plus. Bientôt, notre service infectiologie sera entièrement dédié au COVID19, nous aurons vidé les autres pathologies, vers d’autres services pour nous consacrer à cette problématique.

Au niveau du dépistage ?

Entre 15 et 30 dépistages par jour ont été réalisés en Guyane avec entre 1 et 4 cas positifs par jour. Les dépistages sont restreints aux cas symptomatiques et qui reviennent de Métropole des Antilles ou qui ont été en contact avec d’autres malades identifiés, ou alors ceux qui sont immuno- déprimés, ou ceux qui ont d’autres pathologies. Il est possible que dans les jours qui viennent, les soignants soient aussi dépistés plus systématiquement. Nous sommes encore pour l’instant dans des recommandations de dépistage correspondant au stade 1 de l’épidémie, même si le confinement est du niveau stade 3, le niveau national. Aujourd’hui on dit souvent que le virus ne circule pas en Guyane dans la population, j’aimerais le croire, mais je pense qu’il faudrait se donner tous les moyens pour s’en assurer un élargissement du dépistage serait bienvenu selon moi. Mais la problématique vient aussi de la disponibilité des réactifs en Guyane pour le test, qui est limité par le nombre de laboratoires.

Les masques FFP2 manquent-ils ?

Pour l’instant, nous ne sommes pas en difficulté à l’hôpital, mais cela pourrait arriver. Un des problèmes du moment est celui du mauvais usage des masques, c’est-à-dire que pour un soignant lambda, un simple masque chirurgical est suffisant tant que les soignants ne sont pas en contact avec les malades du Covid19. Le masque FFP2 devrait être réservé aux soignants qui sont directement face à des malades infectés par le covid et qui éternuent, qui produisent des postillons, etc. On a vu que 40 000 masques avaient été volés au Centre spatial guyanais hier, c’est donc assez tendu sur cette question en Guyane comme dans l’Hexagone. On espère que pour la suite on aura de quoi travailler.

À propos des souches virologiques du Covid19, la directrice de l’ARS Guyane avait déclaré que la souche du COVID19 en Guyane était moins virulente que celle de France, est-ce le cas ?

Je pense qu’il s’agit d’un malentendu, personne n’a encore étudié les souches du virus en Guyane pour affirmer cela. En fait, ce sont les cas hospitalisés qui n’ont pour l’instant pas de formes sévères, qui ne sont pas intubés en réanimation. L’étude virologique n’a pas été faite encore à ma connaissance, et si elle a été faite, nous n’en avons pas encore les résultats. Ceci dit, il y a une des publications scientifiques qui montrent que certains patients peuvent avoir plusieurs souches du virus, et propager l’une d’entre elles seulement.

Nous sommes en épidémie de dengue en Guyane, quel impact sur l’épidémie COVID19 et sur de potentiels malades de deux virus ?

Ce sont des symptômes généralement assez distincts, pas de symptômes respiratoires dans les cas de la dengue. Nous ne savons pas trop la conséquence que pourraient avoir d’être infecté par les deux pathologies en même temps, mais j’avais étudié la présence du Paludisme et de la dengue en simultanée chez des patients il y a quelques années, et le tableau clinique des patients co-infectés était un peu plus sévère.

Actuellement on a une triple épidémie, le Covid19, la grippe et la dengue. On a comptabilisé 700 cas de dengue depuis janvier, ce qui n’est pas à la hauteur des cas qu’on a connus il y a quelques années ( en dizaines de milliers), mais les choses peuvent évoluer rapidement.

Le confinement peut-il avoir un effet positif sur l’épidémie de dengue ?

Ce n’est pas évident, car la dengue est transmise par des moustiques urbains qui se développent dans les gouttières, dans les jardins. Sachant que les habitants restent chez eux, ils ne sont pas plus en sécurité, peut-être moins,  je dirais donc que le confinement ne protège pas contre la dengue ! Il faut appliquer aussi la lutte contre les gites larvaires.

Qu’est-ce qu’on peut imaginer sur la durée du confinement.

Il y a des chances que le confinement se poursuive plus longtemps qu’annoncé. En Guyane, nous avons commencé le confinement au tout début de l’épidémie, et elle devrait donc s’étaler un peu plus tard.  Notre climat n’évoluant pas beaucoup dans les saisons, et il est possible que l’épidémie se poursuive pour cette raison aussi. Pour l’instant, nous ne sommes pas certains que le COVID 19 est une maladie immunisante, c’est-à-dire qu’on ne peut pas l’attraper une deuxième fois. Certaines observations en Chine pourraient montrer le contraire, auquel cas la notion d’immunité collective vole en éclat.

Comment  tenez-vous le coup au niveau du rythme de travail ?

Même à 14h de travail par jour, nous gardons pour l’instant un bon moral. Nous avons une super petite équipe médicale et paramédicale, une excellente ambiance de travail, les gens ne comptent pas leurs heures, ils sont compétents, c’est très motivant de travailler dans ces conditions. C’est aussi une chance de continuer à travailler et de ne pas sentir le confinement et ses contraintes !

Entretien par P-O Jay