Face à la destruction continue des écosystèmes de l’Amazonie, nous pouvons tirer des leçons de ses anciens occupants, qui géraient leurs terres agricoles de façon durable. Conduite par une équipe internationale d’archéologues et de paléoécologues comprenant deux chercheurs du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CNRS/Université Montpellier I, II et III/Montpellier Supagro/Ecole pratique hautes études/CIRAD/IRD/INRA) et du laboratoire d’Archéologie des Amériques (CNRS/Université Paris I), une étude montre pour la première fois que les peuples précolombiens habitant les savanes naturelles autour de la forêt amazonienne pratiquaient l’agriculture sans avoir recours aux feux. Des travaux qui viennent d’être publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.

En analysant, sur une période couvrant plus de 2 000 ans, les archives de pollens, de charbon et d’autres restes végétaux, cette équipe internationale a pour la première fois écrit en détail l’histoire de l’utilisation des terres dans les savanes amazoniennes de la Guyane française. Ces travaux nous donnent une perspective unique sur ces terres avant et après l’arrivée en Amérique des premiers Européens en 1492. Ils montrent que les anciens habitants de ces savanes amazoniennes pratiquaient l’agriculture sur champs surélevés, qui impliquait la construction de petites buttes agricoles avec des ustensiles en bois. Cette technique permettait d’améliorer le drainage, l’aération du sol et la rétention d’eau. Une combinaison idéale pour un milieu connaissant, à différents moments de l’année, la sécheresse et l’inondation. Les champs surélevés bénéficiaient aussi de l’augmentation de la fertilité par la matière organique partiellement décomposée, retirée en permanence du bassin inondé et déposée sur les buttes. Les agriculteurs limitaient les feux pour mieux conserver la matière organique, les nutriments et la structure du sol.

Contrairement à ce qui a été supposé pendant longtemps, les peuples indigènes n’utilisaient donc pas le feu comme moyen de maintenir les savanes ouvertes et de gérer leurs terres agricoles. Cette étude souligne au contraire que c’est avec l’arrivée des premiers Européens que la région a connu une augmentation brusque de l’incidence des feux. L’agriculture sur champs surélevés, très coûteuse en temps de travail, a été perdue quand 95 % de la population indigène a été anéantie par des maladies venues du Vieux Continent.

Ecosystèmes hébergeant une grande diversité de plantes et d’animaux, les savanes amazoniennes sont aujourd’hui souvent associées à des feux fréquents et des émissions élevées de gaz carbonique. Ces résultats montrent que cela n’a pas toujours été le cas et qu’au moment où, en raison du réchauffement climatique, il est devenu encore plus important de trouver une façon durable de gérer ces savanes, les clés pour y parvenir se trouvent peut-être dans les pratiques anciennes qui viennent d’être mises au jour.

Un complexe de champs surélevés précolombiens dans une savane côtière de la Guyane française. Aujourd’hui, ces savanes brûlent presque tous les ans durant la saison sèche© Stéphen Rostain

Référence :

Fire-free land use in pre-1492 Amazonian savannas, Proceedings of the National Academy of Sciences, José Iriarte, Mitchell J. Power, Stéphen Rostain, Francis E. Mayle, Huw Jones, Jennifer Watling, Bronwen S. Whitney & Doyle B. McKey.

Contacts chercheurs

Doyle McKey, Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive (UMR 5175, CNRS / Universités de Montpellier 1, 2, 3 et de Nîmes / SupAgro / Cirad / EPHE / IRD / INRA), 1919 Route de Mende, 34293 Montpellier Cedex 5. Tél. : 04 67 61 32 32. E-mail : d_mckey@hotmail.com

Stéphen Rostain, Archéologie des Amériques (UMR 8096, CNRS / Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Maison René Ginouvès, 21 allée de l’Université, 92023 Nanterre Cedex. E-mail : stephen.rostain@gmail.com

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