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Voilà quelque temps que se posait la question d’un  dossier santé dans USG. L’idée avait jusqu’alors été écartée par crainte de faire ressurgir certains clichés ataviques associés à la Guyane. Mais ces pathologies font partie intégrante de notre quotidien et du paysage du département, alors, parlons-en sereinement.  Et pour ce coup d’essai, évoquons les arbovirus !

Les arbovirus : des virus qui descendent des arbres ?

figure 2Les arbovirus ne sont pas, comme j’ai pu le croire plus jeune, des virus issus des arbres. Ce terme provient de l’acronyme anglais “arthropod-borne virus ” : virus transmis par des arthropodes. Mais attention, pas n’importe quels arthropodes : le homard, l’araignée ou le scolopendre ne sont en rien incriminés dans ces pathologies, les coupables étant les arthropodes suceurs de sang : moustiques, phlébotomes (petits insectes piqueurs) et tics. Si cette classification regroupe différents virus selon leur mode de transmission, elle présente au moins deux écueils. Ces virus donnent souvent les mêmes symptômes : fièvre, douleurs diffuses, et parfois des formes graves avec syndrome hémorragique et atteintes neurologiques. Cependant, ils appartiennent à différentes familles assez éloignées comme les Togaviridae (qui comprend le Chikungunya), les Flaviviridae (dont les virus de la fièvre jaune ou de la dengue), et d’autres. À l’inverse, cette classification laisse de côté les fièvres hémorragiques virales dont la transmission ne se fait pas par le biais d’arthropodes, comme le virus Ebola qui fait trembler l’Afrique de l’Ouest et le monde depuis plus d’un an.

La fièvre jaune, à ne pas confondre avec la ruée vers l’or…

La fièvre jaune est une arbovirose transmise par un moustique de la famille Aedes en Amérique du Sud et en Afrique (l’Asie est épargnée, comme son nom ne l’indique pas). Elle donne de la fièvre et des douleurs diffuses, et peut se compliquer de formes graves avec atteinte rénale, hépatique et hémorragique. L’appellation fièvre jaune vient de l’atteinte du foie qui provoque une jaunisse. Depuis la dernière épidémie de 1902, la Guyane a été considérée comme indemne de cette maladie, même si une injection de rappel a eu lieu en 1998 avec un cas chez une jeune Amérindienne du Haut Maroni. Comme pour la plupart des arboviroses, il n’existe pas de traitement spécifique de la fièvre jaune, et seul le vaccin, obligatoire depuis 1967, dispensé à une majorité de la population, permet d’éviter de nouvelles épidémies en Guyane. Si des études récentes ont démontré que la protection conférée par le vaccin durerait 30-35 ans, voire toute la vie, les autorités ne se sont pas encore mises à jour, et la durée de validité du certificat de vaccination reste maintenue à 10 ans. Alors, aux aiguilles, citoyens !

La dengue : Les épidémies se suivent, mais ne se ressemblent pas

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Si la dengue est florissante aujourd’hui dans la région, ça n’a pas toujours été le cas. Appelée par le passé grippe tropicale par les Français, breakbone fever par les anglophones, ses épidémies restaient relativement rares. Depuis les années 1970, l’incroyable émergence de la dengue s’est traduite par l’extension dans des zones jusqu’alors épargnées (Pacifique, Océan Indien, Antilles), le rapprochement des épidémies, et l’augmentation de la fréquence des cas graves. La dengue n’est pas unique, mais quadruple : il existe 4 sérotypes, DENV-1 à 4. Ainsi, la maladie étant immunisante, il faut avoir été infecté par les 4 souches pour pouvoir être complètement protégé. À l’inverse, même si certains patients m’affirmaient en être à leur 15e épisode, on ne fait théoriquement pas la dengue plus de 4 fois, CQFD.

Un nouvel arbovirus pour la région ? chik alors !

L’année 2014 a vu l’apparition d’une nouvelle arbovirose pour la région : le chikungunya. Il est probable que certaines épidémies du 19e siècle étiquetées dengue étaient en fait dues au chikungunya. Bien qu’il soit difficile pour les médecins de différencier à l’examen clinique une dengue d’un chikungunya (mais également du paludisme, de la leptospirose et de la fièvre Q) , le « chik » se caractérise avant tout par des douleurs touchant les articulations des extrémités : poignets, chevilles, orteils et doigts. Les formes graves sont rares, mais ce virus a comme particularité de laisser chez plus d’un tiers des gens qu’il a touché des douleurs articulaires chroniques pouvant durer des mois voire des années.

Quels projets d’avenir pour la  famille arbovirus ?

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De nouveaux horizons s’ouvrent pour la dengue et le chikungunya, et les lumières de la vieille Europe sont plus qu’attrayantes. En effet, Aedes albopictus, responsable de l’épidémie de chikungunya dans l’océan indien en 2006, et apparu dans le Sud de l’Europe au début des années 2000, a trouvé là-bas un terrain de jeu favorable. La Côte d’Azur a ainsi été depuis 2009 le théâtre de quelques cas autochtones de dengue et de chik.
Flash info, un petit cousin commence à faire parler de lui : le virus Zika, pratiquement inconnu jusqu’en 2013. Provoquant une symptomatologie bénigne, il n’avait fait l’objet que de très peu de publications. En 2013-2014, une épidémie massive a touché plusieurs dizaines de milliers d’habitants de certaines îles du Pacifique, en particulier la Polynésie Française. Récemment, les autorités brésiliennes ont annoncé la survenue de 6800 cas possibles (16 confirmés) entre février et mai 2015 dans 7 états du Nord-est du pays… (il pourrait avoir été introduit au moment de la coupe du monde de football). On peut craindre l’arrivée de ce nouveau venu dans notre département dans les mois à venir, mais attention, zika n’est pas Ébola, et les formes graves sont rarissimes.

L’Aedes : voilà l’ennemi !

Le point commun aux 4 virus évoqués ici ? Leur vecteur : le moustique Aedes, que l’on retrouve partout dans le monde, alors nos amis les virus des arbres ont encore de beaux jours devant eux.figure 6

Texte : Loïc Epelboin, infectiologue, Centre Hospitalier de Cayenne. Illustrations : Max Sibille