L’origine de l’agriculture remonte à une période d’environ 10 000 ans, au cours du Néolithique, avec les premiers indices de domestication d’espèces animales et végétales. Dès lors, son développement a induit un modelage du patrimoine génétique humain, qui s’est adapté à de nouvelles formes d’alimentation. Certaines formes de gènes, comme par exemple celles qui confèrent un avantage lors de l’absorption d’aliments comme le lactose ou l’alcool, ont été fixées dans le patrimoine génétique humain tel que nous en héritons aujourd’hui. Notre patrimoine génétique est donc, en retour, un témoignage de l’histoire agricole. Une publication parue le 21 juin dans la revue Plos One en livre un exemple par la mise en évidence d’un phénomène de co-évolution gène-culture entre le genre végétal Zea, qui regroupe le maïs et sa forme sauvage la téosinte, et le patrimoine génétique de populations d’Amérique centrale.

L’étude, qui a réuni des chercheurs d’une dizaine de laboratoires d’Amérique centrale et du Sud (Brésil, Argentine, Mexique, Chili, Costa-Rica), de France et du Royaume-Uni, s’est intéressée à une mutation du gène ABCA1 associée au taux de cholestérol et au métabolisme humain. Les individus qui portent l’allèle modifié de ce gène présentent un faible taux de « bon » cholestérol (le LDH-C). Ils sont capables de stocker et d’utiliser plus favorablement l’énergie nutritionnelle en cas de disette alimentaire, mais sont en revanche désavantagés dans un contexte de surexposition aux aliments riches en sucres rapides, sel et lipides. Ils développent alors certaines maladies caractéristiques de l’abondance nutritionnelle, comme le diabète de type 2.

Les chercheurs associés à l’étude ont testé dans quelle mesure le mode de subsistance des populations amérindiennes et la fréquence de la mutation génétique Arg230Cys, survenant sur le gène ABCA1, sont corrélées. Ils ont pour cela croisé des données issues, d’une part, du patrimoine génétique de 2134 individus au sein de 60 populations amérindiennes et d’autre part de connaissances archéologiques et palynologiques relatant l’histoire du genre végétal Zea.

Le maïs provient de la téosinte, une céréale sauvage native d’Amérique centrale. Il a été domestiqué assez précocement par les populations amérindiennes. L’origine de sa culture est située dans les plaines du sud-ouest du Mexique. Elle apparaît au Néolithique (il y a environ -10 000 ans), avec la sédentarisation et les premières organisations en village.  Elle s’est ensuite propagée dans les Andes, à des dates encore incertaines, par les échanges entre populations au cours de l’histoire précolombienne, puis en Amérique du Sud. Aux prémices de cette agriculture en Amérique centrale, et contrairement à ce qui s’est passé ailleurs dans le monde, y compris dans les Andes, les populations ne pratiquaient pas l’élevage animal. Elles ne disposaient donc pas d’apport régulier de protéines, et étaient en outre exposées à des pertes de cultures du fait de la fragilité de la forme domestiquée du maïs et des conditions de stockage précaires des récoltes. Avec un régime alimentaire extrêmement dépendant du maïs durant la période précolombienne — chez les mayas par exemple, il représentait 75% de l’apport calorique — les populations mésoaméricaines ont donc connu de fréquentes périodes de carence nutritionnelle, fragilisant leur état de santé.

Dans leur étude, les chercheurs ont montré que l’apparition de la forme mutée du gène ABCA1 est contemporaine de la domestication du maïs en Amérique centrale. Plus la culture du maïs est ancienne, plus la fréquence de la mutation Arg230Cys est importante dans la population amérindienne, indiquant que la domestication du maïs serait bien le facteur principal d’évolution de ABCA1. L’hypothèse la plus vraisemblable est que cette mutation aurait permis de survivre aux périodes de carence nutritionnelle. Les chercheurs soulignent, en restant prudents, qu’elle aurait pu être de manière additionnelle favorisée par des facteurs environnementaux, dans la mesure où elle est également associée à une résistance contre certaines infections : dengue de type 2 et autres infections à flavivirus, neuro-paludisme. Des études complémentaires sont nécessaires pour confirmer cette idée.

Ces résultats sont particulièrement nets au sein des populations d’Amérique centrale. La consommation de maïs était également importante dans les Andes et en Amérique du Sud, mais pas d’un niveau comparable. Les processus de brassage dans ces populations, couplés à une plus grande hétérogénéité des cultures et des situations environnementales ne permettent pas d’identifier aussi clairement une tendance associée au polymorphisme de l’allèle Arg230Cys.

Mis en évidence au sein de populations mésoaméricaines, ces résultats constitueraient donc un premier exemple robuste de co-évolution gène-culture impliquant une mutation autochtone amérindienne. Dans le domaine de la biologie évolutionniste, les exemples bien documentés de tels phénomènes, associés aux origines de l’histoire agricole, sont encore assez rares. Ces résultats apportent donc des informations très utiles pour mieux comprendre les phénomènes de co-évolution et les processus de construction de « niches » écologiques.

Champ de maïs en Amérique centrale © Stephen Rostain (archéologue américaniste CNRS)

Référence :

Evolutionary responses to a constructed niche: Ancient Mesoamericans as a model of gene-culture coevolution, Plos One,  Tábita Hünemeier, Carlos Eduardo Guerra Amorim, Soledad Azevedo, Veronica Contini, Víctor Acuña-Alonzo, Francisco Rothhammer, Jean-Michel Dugoujon, Stephane Mazières, Ramiro Barrantes, María Teresa Villarreal-Molina, Vanessa Rodrigues Paixão-Côrtes, Francisco M. Salzano, Samuel Canizales-Quinteros, Andres Ruiz-Linares, Maria Cátira Bortolini

Lien vers l’article en ligne :

http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0038862

Contacts chercheurs

Stéphane Mazières, Laboratoire Anthropologie Bio-culturelle, Droit, Ethique et Santé (ADES), UMR CNRS 7268, Aix-Marseille-Université/CNRS/EFS, Marseille, France, mail : Stephane.MAZIERES@univ-amu.fr, tel : 04 91 69 88 76
Jean-Michel Dugoujon, Laboratoire Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse (AMIS), UMR CNRS 5288, Université Paul Sabatier, Toulouse, France, mail : jean-michel.dugoujon@univ-tlse3.fr, tel : 05 61 14 59 85

 

Contact communication

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