L’association environnementale Maiouri nature Guyane et deux Cayennais ont déposé un recours devant le tribunal administratif de Cayenne le 28 février 2020 à l’encontre d’un permis de construire controversé délivré par la maire de Cayenne, Marie-Laure Phinéra-Horth à l’homme d’affaires Didier Magnan.

Les requérants contestent un permis de construire délivré in extremis par l’élue à l’ancien président du Medef Guyane, Didier Magnan, sur un terrain – magnifique sous-bois en bord de mer – lui appartenant sur la petite route cossue de Bourda, qui surplombe le nord de l’anse de Bourda.

Photo Maiouri Nature Guyane

Le 25 octobre dernier, le maire de Cayenne a accordé le permis de construire une villa T5 alors qu’un mois plus tôt, (le 27 septembre) le conseil municipal avait adopté le plan local d’urbanisme, dans lequel le terrain concerné devenait une « zone naturelle à préserver » non constructible sauf extensions de bâtiments !

« La mairie a la volonté de mettre Bourda en zone de protection mais apparemment pas cette parcelle » vilipende Maiouri nature – dont le siège social se situe à Bourda.

« Comment la commune peut approuver un plan d’urbanisme qui classe la parcelle en inconstructible et en terrain boisé littoral significatif au mois de septembre et délivrer un permis de construire sur cette même parcelle un mois plus tard ? » s’étonne aussi le délégué des Outre-mer au Conservatoire du littoral, Alain Brondeau. Le Conservatoire du littoral avait émis un avis défavorable il y a quelques années, lorsqu’il avait été consulté par la mairie. Car deux demandes de permis de construire avaient été par le passé introduites par Didier Magnan.

« Le permis de construire a été délivré cette fois parce que tous les avis et concessionnaires consultés sont favorables » et parce que le « projet de construction a évolué entre 2013 et 2020 » se défend le pôle urbanisme de Cayenne mais aussi « parce que [le projet] respecte le plan local d’urbanisme sur lequel il a été instruit ».

De fait, le 25 octobre lorsque l’autorisation est signée de Marie-Laure Phinéra-Horth, le PLU n’était semble-t-il toujours pas entré vigueur, car pas encore publié sur le recueil des actes administratifs.

« On joue vraiment sur les dates à quelques jours près de manière surprenante. Le permis a été passé dans les arrêts de jeu » souligne le Conservatoire du littoral. Interrogée sur la date de parution au recueil des actes administratifs du nouveau PLU, la mairie de Cayenne n’a pas répondu.

Vue de la parcelle sur le cadastre depuis le portail IGN

Plusieurs « avis favorables » étonnants ont été donnés à ce projet : celui de l’ex-chef de service de l’unité risques à la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal), et celui de l’architecte des bâtiments de France (ABF) de Guyane.

Le terrain de M. Magnan se situe dans le périmètre protégé de la maison préfectorale, bâtiment classé aux monuments historiques. En ce sens, le point de vue de l’ABF doit être entendu. En 2013 et 2014, l’ABF d’alors, Patrick Le Bris, avait rejeté le dossier au motif que le projet était « trop proche du rivage » et que « l’impact visuel de la villa serait préjudiciable à l’aspect encore “naturel” et boisé de ce segment littoral ». Son successeur, David Foucambert a de son côté jugé en octobre dernier le dossier valable concluant laconiquement que le projet est « hors champ de visibilité » du monument classé.

Cet « avis favorable » était envoyé à la mairie le 21 octobre, soit près d’un mois après l’adoption par la municipalité du classement de la parcelle en secteur 3 de l’Aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (Avap). Ce zonage 3, plus haut degré de protection d’une Avap ! vise pourtant à « préserver [l]es paysages » ; « seules peuvent être autorisées les extensions raisonnées des bâtiments existants à condition de leur intégration parfaite au site ».

L’avis du chef de service « risques, énergie, mines et déchets » de la Deal a aussi fortement joué officiellement dans la balance. Deux mois avant son départ à la retraite, Guy Faoucher avait estimé conforme le projet immobilier de l’ancien vice-président de la fédération régionale du BTP.

Vue sur le sous bois depuis la plage nord de l’anse des Salines. Photo MB

Il y a cependant un « possible impact de glissement de grande ampleur envisageable », notait le chef de service estimant malgré tout que la « zone rouge inconstructible couvre uniquement les voiries et les aires de stationnement, alors que la villa se trouve en « zone de précaution ».

« Les zones rouges sont estimées très exposées et les risques y sont particulièrement redoutables » rappelle le plan de prévention des risques mouvement de terrain (PPRMT) de l’île de Cayenne de 2001. « Le déboisement et le défrichement des sols » (lien : http://www.guyane.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/idc-2001-ppr_mvt-reglement.pdf) y sont interdits. Comment dans ces cas-là aménager six places de parking, l’entrée de la maison et mener le chantier de construction sans toucher une seule tige ?

En zone d’aléa fort, c’est à dire en zone rouge, « une étude technique devra être réalisée par un bureau d’étude compétent afin de définir les mesures de construction adaptées au projet et au site. En fournissant cette étude technique, le maître d’ouvrage s’engage à en respecter les préconisations lors de la réalisation des travaux » prévient le PPR.

C’est sans connaissance de cette étude technique, mais sur des « a priori » que l’ex-chef de service de la Deal rendait un avis favorable. « [M. Magnan] a a priori, fait faire une étude géotechnique. Cette étude non annexé (sic) à la présente (sic) demande, statue sur le fait que le projet est situé hors de la zone à risque » signait le 4 octobre Guy Faoucher. Pourtant 21 jours plus tard, la mairie réclamait une étude qui « devra être réalisée par un bureau d’étude compétent afin de définir les mesures de construction adaptées au projet et au site »…

Autre point d’attention : celle de la situation du terrain, en bord de mer. « La situation d’érosion du trait de côte est très préoccupante dans la partie nord de la plage (Anse de Bourda) » note la version 2015 du plan de prévention des risques inondations (PPRI) de l’île de Cayenne annexée au nouveau PLU.

« A court terme, si ce projet immobilier se réalise, l’accès de la plage ne sera, au mieux, accessible que par deux étroits passages qui déboucheront sur un amoncellement de roches instables, empêchant une jouissance paisible des lieux. A moyen terme, ces droits de passage au littoral, mal aisés et dangereux, deviendront peu utilisés et disparaitront un jour. Il faudra alors se rendre au niveau de l’Ifremer pour accéder à ce qui pourrait subsister de cette plage » estime Maiouri nature qui « regrett[e] simplement que ni la mairie mais surtout le Conservatoire du littoral, dont la fonction principale est de protéger les sites exceptionnels littoraux, ne se soient pas portés acquéreurs lors des récentes passations de foncier. Pourtant, ce n’est pas faute les avoir interpelés sur le sujet, depuis plusieurs années ».

Texte de Marion Briswalter

Plus d’infos

Cagnotte ( crowdfunding) des citoyens pour le recours juridique contre le projet immobilier de la petite plage de Bourda https://www.helloasso.com/associations/maiouri-nature-guyane/formulaires/2

Document complémentaire :  le précédent jugement https://sites.google.com/site/maiourinature/urbanisme-contre-vents-et-marees/Jugement%20TAfluo_nw_Ay.pdf?attredirects=0&d=1