Une carotte marine révèle l’empreinte environnementale de l’homme en Afrique centrale il y a 3000 ans

Une équipe de chercheurs de l’unité Géosciences marines1 du Centre Ifremer Bretagne a rédigé un article à paraître le 9 février dans Science2. L’étude géochimique d’une carotte de sédiments marins, prélevée à 900 mètres de profondeur au large du Congo, suggère que l’arrivée des premiers agriculteurs en Afrique centrale, il y a environ 3000 ans, a eu un impact environnemental important sur la forêt tropicale.
Une accélération soudaine de l’intensité de l’érosion chimique des sols a en effet été détectée pour cette période et reflète, d’après les scientifiques, une intensification des activités humaines, très probablement liée à l’introduction de l’agriculture.
Ces résultats remettent en question l’hypothèse de l’origine purement climatique de l’épisode de déforestation de la forêt tropicale d’Afrique centrale du premier millénaire avant J.-C.

Navire L’Atalante © Ifremer/Michel Gouillou

Une partie de la forêt tropicale d’Afrique centrale disparue il y a 3000 ans
Au premier millénaire avant notre ère, la forêt tropicale d’Afrique centrale subit une perturbation majeure, marquée par la destruction d’une partie de son domaine forestier et son remplacement par les savanes.
Cet épisode de déforestation est bien documenté dans de nombreux enregistrements sédimentaires de lacs, depuis la frange côtière Atlantique jusqu’à la région des Grands Lacs africains. Sa cause est généralement attribuée à une baisse progressive des précipitations en Afrique centrale, dans un contexte de changement climatique régional.
Il est également connu qu’à cette même époque, des populations issues des confins du Cameroun et du Nigeria actuels émigrèrent à travers l’Afrique subsaharienne, colonisant progressivement la forêt tropicale. Les vagues de migrations bantoues (du nom de la langue parlée par ces pionniers) furent à l’origine d’une profonde mutation du peuplement de l’Afrique, associée notamment à la diffusion de l’agriculture et de la technologie de la métallurgie du fer.

Financée par l’ANR (Agence nationale de la Recherche), l’étude menée par l’Ifremer, s’inscrit dans le cadre du projet ECO-MIST3. Elle remet en cause l’origine purement climatique de cette déforestation.

L’empreinte environnementale de l’homme déjà très marquée
Les scientifiques se sont appuyés sur l’analyse d’une carotte de sédiments marins d’une dizaine de mètres, prélevée lors de la campagne océanographique ZaïAngo1 menée en 1998 à bord du navire océanographique L’Atalante de l’Ifremer, à environ 900 mètres de profondeur au large de la République Populaire du Congo. À cet endroit, l’accumulation continue sur la pente continentale de sédiments argileux exportés par le fleuve Congo permet de reconstruire, à l’aide de traceurs géochimiques et isotopiques4, les conditions environnementales ayant régné en Afrique centrale par le passé.
Les résultats de l’analyse de la carotte montrent clairement que l’intensité de l’érosion chimique dans le bassin du Congo a fluctué de pair avec les variations régionales des précipitations au cours des derniers 40 000 ans. Cependant, à partir d’une certaine période, il y a environ 3000 ans, alors que le régime des précipitations en Afrique est en nette diminution, les traceurs géochimiques indiquent une accélération soudaine de l’intensité de l’érosion chimique des sols, atteignant des niveaux inégalés sur les derniers 40 000 ans, et entièrement découplée du signal climatique naturel. Sur la base de ces résultats, les scientifiques expliquent cette forte augmentation de l’érosion par l’intensification des activités humaines, liée probablement à l’introduction de l’agriculture par les paysans bantous. Cette étude suggère que l’empreinte de l’homme dans son environnement était déjà très marquée à cette époque.

Mise en oeuvre d’un carottier à bord de L’Atalante © Ifremer/Michel Gouillou

Johanna Martin – Marion Le Foll – 01 46 48 22 40/42 – presse@ifremer.fr

1 Laboratoire « Géochimie et Métallogénie » et laboratoire « Environnements Sédimentaires »
2 Germain Bayon, Bernard Dennielou, Joël Etoubleau, Emmanuel Ponzevera, Samuel Toucanne, Sylvain Bermell, 2012. Intensifying weathering and land-use in Iron Age Central Africa.
Mise en ligne de l’article le 9 février sur le portail Science Express : http://www.scienceexpress.org
3 Étude des processus d’érosion continentale à l’aide de nouveaux traceurs moléculaires et isotopiques