Ces deux pathologies très différentes et qui n’ont pas de liens directs sont étudiées à l’échelle des Outre-mer depuis quelques années par les chercheurs et les médecins. Explications :

La leptospirose, une maladie liée aux rongeurs et à l’exposition aquatique.

La leptospirose est une infection due à une bactérie qui est transmise par des animaux (zoonose), principalement les rongeurs et notamment les rats qui sont excréteurs de la bactérie au niveau des urines. Si cette bactérie peut persister dans les environnements humides et l’eau douce des milieux tempérés, l’environnement tropical lui est particulièrement propice dès lors que les conditions de salinité sont favorables. On la retrouve alors dans les sols boueux, dans les eaux douces stagnantes (lacs, marais) ou dans les rivières. La contamination est le plus souvent indirecte par la pénétration de leptospires au niveau de la bouche, des yeux, des voies respiratoires et surtout de zones lésées de la peau (même minimes) après un contact avec l’environnement contaminé. La contamination peut se produire directement après un contact avec l’animal infecté, mais est plus rare. La leptospirose entraîne de la fièvre et des douleurs musculaires diffuses souvent associées à des troubles digestifs, des symptômes finalement assez peu spécifiques de la maladie et observés dans la grippe, la dengue ou le paludisme, notamment. L’évolution peut se compliquer de formes graves avec dysfonction sévère du foie, des reins et des saignements pulmonaires pouvant entraîner le décès, notamment en cas de retard avant la mise sous antibiotiques » plus adapté à “large public”.
Son taux d’incidence, c’est-à-dire le nombre de cas par an pour 100 000 habitants en France hexagonale avoisine les 1/100 000 depuis 2014, date à laquelle il a doublé. On y note de fortes disparités géographiques avec, d’une année sur l’autre, des variations importantes de la fréquence des cas dans les 13 régions. En 2021, les incidences les plus élevées ont été observées en Auvergne-Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Bretagne, Bourgogne–Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Corse. On retrouve un caractère saisonnier de la leptospirose avec un pic épidémique dans la période estivo-automnale qui lui a d’ailleurs donné l’un de ses nombreux noms : “ la fièvre d’automne”.
En territoire ultramarin, la situation est nettement plus préoccupante et l’épidémiologie de la leptospirose est très différente. D’abord, les pics d’incidence dans les régions tropicales sont bien corrélés aux saisons marquées par de fortes pluies. Ensuite, le nombre de cas est nettement plus élevé (voir carte) et certains territoires comme Wallis et Futuna comptent parmi les taux d’incidence les plus élevés de la planète, pouvant aller jusqu’à 1000/100 000. Dans les autres territoires, la situation est plus hétérogène. Mayotte et la Nouvelle-Calédonie ont les taux d’incidence qui ont le plus augmenté ces dernières années avec un doublement et triplement respectivement. À Mayotte, les investigations ont montré la présence d’une bactérie propre au territoire qui a été nommée Leptospira mayottensis. La Guyane, qui comptait parmi les territoires historiquement avec le plus faible taux d’incidence jusqu’en 2018, a multiplié par 4 ce taux pour désormais rattraper les Antilles par exemple (autour de 40/100 000 habitants par an). Cette augmentation s’explique probablement par une sensibilisation plus importante des praticiens sur le territoire, et une recherche plus systématique de cette étiologie dans ce territoire qu’on croyait il y a encore 15 ans pratiquement indemne de cette bactérie. Il n’y a pas de données disponibles à Saint-Martin ou Saint-Barth, dont les chiffres sont mélangés à ceux de la Guadeloupe. Il n’y a à priori pas de cas à Saint-Pierre-et-Miquelon, dont le climat n’est pas propice au développement de la maladie.
Les raisons des modifications de taux d’incidence sont parfois difficiles à mettre en évidence et à démêler en l’absence d’études épidémiologiques robustes, prospectives, notamment en raison de critères diagnostiques de la leptospirose qui peuvent s’avérer un peu complexes. La recherche du réservoir environnemental et animal de la bactérie, qui permet de mieux connaître les modes de transmission et de persistance, est également nécessaire. Finalement, parmi les possibles causes d’augmentation de cas, il est évoqué une recherche plus fréquente de la maladie par les médecins sensibilisés, un diagnostic biologique fait avec de meilleurs outils, et une réelle augmentation des cas en lien avec des phénomènes transitoires, notamment des évènements climatiques exceptionnels (inondations) ou des phénomènes plus pérennes (urbanisation anarchique, modification du réservoir).

L’épidémie du VIH est extrêmement hétérogène​

La répartition du VIH est extrêmement hétérogène d’un territoire ultramarin à l’autre, avec des situations et des taux d’incidence allant d’un extrême à l’autre selon le territoire concerné. Ainsi, la Guyane est le département français le plus touché par le VIH avec près de 4 000 personnes vivant avec le VIH, dont au moins 10 % ne connaissent pas leur statut vis-à-vis de l’infection par le VIH. Les ¾ des patients sont de nationalité étrangère, mais plus de la moitié s’est infectée après leur arrivée en Guyane, un phénomène observé aussi chez les migrants d’origine subsaharienne en France. La transmission est essentiellement hétérosexuelle en lien avec le multipartenariat et les rapports transactionnels, avec à peu près autant de femmes que d’hommes infectés. De l’autre côté de l’équateur, certains territoires semblent épargnés par ce virus, avec parfois l’absence totale de patient vivant avec le VIH (PVVIH) suivi localement, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Wallis et Futuna, même si certains patients de W&F pourraient être suivis en Nouvelle-Calédonie. Aux Antilles, l’incidence reste élevée, bien qu’inférieure à celle du reste des Caraïbes, comme Haïti ou la Jamaïque. La situation reste cependant différente d’une île à l’autre des Antilles françaises. Ainsi, pour les patients suivis en Martinique, la transmission par relations homosexuelles y est plus importante de l’ordre de 30 %. À l’inverse, la transmission chez les patients suivis à Saint-Martin, à l’instar de la Guyane, est principalement hétérosexuelle, et une population majoritairement née à l’étranger, notamment dans la région Caraïbe. Dans l’océan Indien, alors que l’épidémie semble stabilisée à La Réunion, avec un bon contrôle de l’infection chez chez les patients réunionnais suivis sous traitements, la situation est explosive ces dernières années à Mayotte avec de nombreux nouveaux diagnostics, principalement en provenance des îles comoriennes voisines et des réfugiés politiques venant de l’Afrique des Grands Lacs. La population HSH représente environ 30 % des patients suivis à Mayotte et La Réunion. Enfin, la situation dans les îles de l’océan Pacifique, Polynésie et Nouvelle-Calédonie, n’est ni comparable à celle des autres territoires, ni entre elles. En Nouvelle-Calédonie, l’isolement de l’île fait que les migrants ne représentent qu’une infime minorité des patients suivis, les deux principaux profils des patients suivis étant caricaturalement des patients HSH issus de l’hexagone d’un côté, et de l’autre une population kanak en situation de précarité essentiellement hétérosexuelle cisgenre. Enfin, le suivi des patients de Polynésie française est concentré sur le Centre Hospitalier de Nouméa, avec comme pour Mayotte ou la Nouvelle-Calédonie, un problème majeur lié l’insularité, à savoir la crainte de problèmes de confidentialité dans la prise en charge qui peut s’avérer un facteur freinant le suivi et l’adhésion aux soins. Une partie importante des PVVIH suivis dans ces îles serait constituée des “ rae rae ” (à prononcer réré, une tradition ancienne de transgenre au sein de certaines familles polynésiennes), des patients transgenres au sein de laquelle les relations sexuelles tarifées seraient fréquentes, et source de contamination par des IST.
Au total, si la leptospirose touche globalement plus les territoires ultramarins tropicaux que la métropole, avec certains records mondiaux comme à Wallis et Futuna, l’épidémie du VIH dans ces territoires est encore plus spécifique et incomparable d’un lieu à l’autre ; l’épidémiologie du VIH y est particulièrement associée au contexte social, culturel et géographique, nécessitant une approche très différente et ciblée sur chaque population.

Paul Le Turnier et Loïc Epelboin,
médecins infectiologues au Centre Hospitalier de Cayenne