Dans l’Ouest de la Guyane, à quelques kilomètres du bourg de Mana se trouve le village d’Acarouany. Le lieu fut tout d’abord une léproserie, puis un camp de réfugiés, c’est aujourd’hui un lieu d’habitat spontané. Quand on s’y rend, une drôle d’impression vous saisit : ni complètement habité, ni complètement abandonné.

Ce sont des lieux marqués par la malédiction. Des lieux où, chaque siècle, l’Histoire s’invite et apporte son quota d’événements douloureux. Dans l’ouest de la Guyane, à quelques kilomètres du bourg de Mana, se trouve un de ces lieux. Le village de l’Acarouany.
D’abord léproserie, puis camp de réfugiés, c’est aujourd’hui un lieu d’habitat spontané. En 1999, le village est classé monument historique. Pourtant lorsqu’on y foule le sol, rien ne le laisse penser. Entre bâtiments délabrés et habitations occupées, naît chez le visiteur la sensation d’un lieu qui ne trouve pas le repos. Invité par le Service culturel de Mana à travailler sur un projet documentaire sur l’Acarouany, Karl Joseph a posé son regard sur le lieu et a illustré cette sensation étrange à travers une série de photographies.

Situé dans l’ouest de la Guyane, à quelques kilomètres du bourg de Mana, se trouve le village de l’Acarouany. Son histoire commence en 1833 sous l’impulsion d’Anne-Marie Javouhey, M

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ère supérieure de la congrégation de Saint-Joseph-de-Cluny. Elle décide d’y transférer la léproserie des îles du Salut. Le village devient un lieu de soin, mais aussi de quarantaine puisqu’il faut deux heures de canot depuis Mana pour s’y rendre. Une petite chapelle, des cases en bois et un dispensaire sont érigés. Les lépreux, tenus à l’écart du reste de la population, pour beaucoup anciens bagnards, meurent à l’abri des regards. Venu en visite, Léon-Gontran Damas est horrifié par cet endroit qu’il dépeint comme un mouroir où il n’y a pas d’espoir.

Il faut attendre 1947 pour que le village se métamorphose en un endroit sain lorsqu’il est rattaché au conseil Général. Les infrastructures se modernisent et laissent place à des petits pavillons en dur, une église contemporaine, un presbytère et tout un ensemble de bâtiments nécessaires au bon fonctionnement de la léproserie. Le lieu est tenu d’une main de fer par les Sœurs et le conseil Général. C’est un exemple de réussite et de modernité.14Acarouany Acarouany-ChapelleLéproserie
En 1979, la léproserie ferme, les malades sont blanchis, mais une poignée d’entre eux décident cependant d’y rester. Quelques années plus tard, en 1986, la guerre civile éclate au Suriname, opposant le gouvernement de Desiré Bouterse aux jungles commando de Ronnie Brunswitj. Durant cette période, la Guyane se porte volontaire pour l’accueil des réfugiés. Ils affluent par milliers et sont logés pour la plupart entre Saint-Laurent et Mana, dans des camps. Le village de l’Acarouany en devient un. De nombreux bâtiments sont réquisitionnés et des tentes sont installées pour permettre l’accueil des Surinamais.
Du statut d’hôpital, le village adopte le statut de camp de déplacés. Les Sœurs ont laissé la place aux treillis, les malades, aux familles de réfugiés. Ici, point de matériaux démontables et destructibles pour accueillir les réfugiés, mais des maisonnettes en dur jusqu’à ce que le camp sature. Puis des tentes sont montées.

Le village de l’Acarouany présente l’avantage d’être idéalement situé à l’écart et quasi invisible depuis la route. Comme du temps des lépreux, les réfugiés sont tenus à bonne distance du reste de la société.

à la fin de la guerre civile, en 1992, les autorités françaises font pression sur les réfugiés pour qu’ils quittent la France. La majorité d’entre eux s’enfuient. Le village replonge dans l’oubli. Cet événement scelle son destin et conduit à la situation actuelle : pensé comme un espace transitoire, pour un temps délimité, il a vu s’enraciner les ex-réfugiés ; le provisoire est devenu durable.20Acarouany-StatueJavouhey Aujourd’hui, l’endroit est habité par une communauté bigarrée : Businengés, Hmongs, Haïtiens, Brésiliens, Métropolitains. Impossible de connaître le nombre de ses habitants tant il est fluctuant. Certains sont là depuis 20 ans quand d’autres ne font que transiter. L’écart de niveau de vie, tout en restant modeste, est lui aussi important. Alors que certains ont une voiture, l’eau courante et l’électricité, d’autres ne possèdent que leur force de travail.Il existe cependant un trait commun à tous ces habitants. Ils sont tous, d’une force remarquable, très accueillants. Et leur sourire compense le sceau de malédiction qui semble peser sur ce lieu.
Toutes les maisons du village sont occupées par des familles, mais les infrastructures d’hier, exemplaires, ne sont plus qu’obsolètes et précaires. C’est un jeu d’absence et de présence : là, sous la végétation, on devine un pan de mur ; quelques branches s’échappent d’une fenêtre ; sur le pas de cette porte, des termites ont dessiné leurs galeries. Plus loin, on repeint, on entretient, on empêche l’oubli de s’installer.
C’est toute l’histoire du village de l’Acarouany qu’on peut lire à travers les marques laissées sur les murs par ceux qui l’ont habitée et qui l’ont, malgré les vicissitudes, préservée.

Les dates clés

Un lieu, trois temps.
- 1833-1979 : L’Acarouany, dernière léproserie de France
- 1986-1992 : L’Acarouany, plus grand camp de réfugiés de Guyane
- 1992-aujourd’hui : L’Acarouany, lieu d’habitat spontané

Pour aller plus loin

Le web-documentaire sur l’Acarouany ww.villageacarouany.fr (Idée originale du Service culturel de Mana, Réalisation Anne-Pauline Serres)

Un documentaire sur internet, délinéarisé, en trois parties, à visionner en ligne. Il s’agit de courts métrages documentaires sur l’Acarouany d’hier et d’aujourd’hui à la forme originale : dessin animé, photographies sonores, témoignages actuels, vidéos d’archives… Le site héberge également une galerie de photographies de Karl Joseph.

Texte de Anne-Pauline Serres
Photos fonds Arnauld Heuret