Audrey

L’ambiance dans la tour de contrôle est plutôt détendue. Mais Audrey et les autres gardent toujours un œil sur l’écran du nouveau système de contrôle aérien data link, où l’on peut suivre chaque avion présent dans l’espace aérien Guyanais, jusqu’en plein milieu de l’océan. La machine est arrivée en 2011, deux ans après Audrey, au centre.
En quittant la Guyane pour sa prépa scientifique à Toulouse, la jeune Cayennaise ne pensait pas revenir de sitôt. Elle s’y était résolue. Maths sup, maths spé, puis trois ans d’école d’ingénieur en contrôle de la navigation aérienne. Sa première affectation est à Reims, où elle reçoit, au passage, le prix Talent d’outre-mer. Et, finalement, en 2009, une possibilité à Rochambeau. Audrey retrouve la Guyane.
Le travail pourrait sembler ennuyeux à l’aéroport Félix Eboué. Mais c’est sans compter la taille de l’espace aérien guyanais, une bande plus large que le département et qui s’étend jusqu’à la dorsale Atlantique. Il faut être en permanence disponible pour les avions qui le traversent, parler avec ceux qui survolent l’aéroport, avec les militaires, le Samu, les pilotes de l’aéroclub, avec Bob, qui passe ses journées à faire des loopings dans son avion jaune et rouge et, bien sûr, informer les vols internationaux et les bimoteurs d’Air Guyane qui décollent et atterrissent plusieurs fois par jour. L’ambiance est détendue, mais chacun sait parfaitement ce qu’il a à faire.
En cas de panne ou de crash, la tour de contrôle est la seule à connaître la position de l’appareil. Ce sont eux qui coordonnent les différents organismes de secours. En 2009, Audrey a été la dernière à entrer en contact avec l’hélicoptère qui s’est écrasé à Apatou. Une autre fois, elle a dû gérer l’atterrissage d’un vol Air France aveuglé par des fumées dans le cockpit. Un peu comme un sixième sens pour les pilotes.
Pourtant, le contrôle aérien est une voie qui reste méconnue. Pour transmettre la passion de son métier, Audrey va parfois en parler dans les écoles de Cayenne. On ne peut pas couper à l’expatriation, au moins le temps des études. Mais, Audrey en est la preuve, ce n’est que pour mieux revenir.

 

 Bob

« Vaincre sa peur ». Un leitmotiv dont Guillaume Robert, alias Bob, a fait son credo. Tout le monde a peur en l’air, et lui aussi, il l’avoue. Mais Bob ne se contente pas de transgresser les lois de la gravité pour s’éprouver. Il a remplacé l’acte de voler par un art de l’excellence : la voltige.
La vitesse de sa diction ne trompe pas. Bob fait partie de ces types qui traversent l’existence comme un boulet de canon, à toute berzingue, toujours en flirt avec les limites. C’est au cours de ses études d’ingénieur en contrôle aérien à Toulouse que Bob s’initie au pilotage. Le temps de se familiariser avec l’élément céleste, puis direction la Guyane, pour fuir l’Europe policée, la dépression du vieux continent.
À son arrivée, en 96, Bob rencontre Jacques Navier, un crack de la voltige, une légende du milieu, aujourd’hui pilote d’essai chez Dassault. Premières sessions d’acrobaties aériennes à l’aéroclub de Kourou. La lune de miel commence. À l’époque, et toujours aujourd’hui, l’Amazonie française fait figure d’eldorado, elle garde un côté préservé, vierge. L’avion reste un mode de transport privilégié. En survolant la canopée, on peut encore imaginer les sentiments qui animaient les pionniers de l’Aéropostale au-dessus de la jungle brésilienne. Au fil des boucles, des tonneaux, des vrilles, des renversements, des retournements, Bob apprivoise peu à peu les sursauts de la pesanteur. Son estomac s’habitue à digérer à l’envers.
Aujourd’hui, Bob pilote son propre avion, un Cap 21, au sein de l’association Zel Lagwiyann et initie à son tour les élèves ou les pilotes confirmés à la voltige. Ambiance familiale, à la cool, avec toujours le but de faire voler, le plus possible, de transmettre une passion. Le principe ici est de faire découvrir, sans faire vomir, sans trop forcer sur les machines. Pour ce qui est d’aller au bout de ses possibilités, Bob garde ça pour le stage d’été annuel de Dassault voltige, pour les compétitions et la gloire. Prévoir tout de même un bon tapis de cassoulet au fond de l’estomac. La sensation surprend.

 

 Ben

Une affaire de précision, de sang-froid. Et une confiance absolue. Lorsque Ben pilote son hélicoptère pendant plus de huit minutes en vol stationnaire, cinquante mètres au-dessus de la forêt vierge, aucune erreur ne pardonne.
Soutenue par un câble relié à l’appareil, une énorme pièce de métal doit venir coiffer l’un des trois pylônes du nouveau système Copas, en plein cœur de la réserve des Nouragues. Le dispositif pèse plusieurs centaines de kilos. Le temps que son helper serre les derniers boulons, Ben doit, sans aucune référence, corriger les effets du vent et les variations de poids. S’il dévie de plus de cinquante centimètres, il risque de broyer la main de son helper, de lui casser un membre ou, au pire, de le faire basculer dans le vide. Le genre de chantier que Ben affectionne.
Trente ans plus tôt, en 1981, juste après son bac, Ben intègre l’armée. Il est alors l’officier de réserve Christophe Bienaimé. Aussitôt, l’école de l’air, pour décrocher son brevet de pilote de chasse en 83. La porte qu’il a choisie, la petite, ne le mènera pas aux postes commandements qu’ambitionnent les élèves de la prestigieuse école de l’air de Salon-de-Provence. Sa carrière au sein de l’armée ne pourra pas dépasser vingt ans. Dès le début, Ben a en tête sa reconversion future.
En 1992, l’escadron de Ben change d’appareil. Ben est trop grand pour piloter le nouvel avion de chasse. Il devient pilote d’hélicoptère, par la force des choses. Il passe par le Gabon, puis se retrouve affecté en Guyane en 95. Il n’en repartira plus. C’est l’endroit qu’il choisit pour rejoindre le civil.
Adieu les bi-turbines de l’armée et leurs pilotages automatiques. Avec une rigueur toute militaire, Ben accumule les heures de vol en
monoturbine, se familiarise avec leurs caprices, la précision qu’ils demandent. En 2003 est créée la société Helicojyp, deux Écureuils US 350 proposant tout ce que permet ce type d’appareil, de la location au levage de matériel de chantier, en passant par la photographie aérienne, les déposes dans l’arrière-pays ou la couverture du Tour de Guyane. Un seul accident depuis, et des prouesses techniques par tous les temps, tous les vents. « J’ai fait une fois demi-tour, précise Ben avec une pointe de fierté. Quoiqu’il arrive, on décolle. On ne reporte jamais. »
Aujourd’hui, Ben a dépassé les 12 000 heures de vol, dont plus de 8 500 au-dessus de la Guyane. Et ne compte pas s’arrêter là.

 Pascal 

Depuis plus de vingt ans et six mille heures de vol, Pascal Légère sillonne le ciel de Guyane dans son aile à moteur.
Pour ce motard, l’Ulm a été comme une suite logique. Juste une envie de changer de bécane. On retrouve en vol quelques sensations de la moto. La tête à l’air libre, la même liberté. L’engin a même des airs de gros scooter. « On est juste assis sur une chaise avec une toile dessus », comme dit Pascal.
C’est d’ailleurs « pour passer à autre chose que la moto » qu’il apprend, au milieu des années 70, à piloter un Ulm. Pour s’élever au-dessus de la route, prendre un peu de distance avec l’asphalte. Voler devient vite une passion dont Pascal ne peut plus se passer. Et, comme tous les idéalistes passionnés, il entretient le projet d’en faire un métier.
En 91, à son arrivée en Guyane, Pascal est chef d’atelier moto. C’est là que le projet prend corps. En 92, sous la houlette de Patrice Barcouria, « un grand monsieur de l’Ulm », Pascal devient instructeur d’Ulm à Montsinnery. Cinq ans plus tard, en 97, il monte sa propre structure.
Le parc d’Ulm Equateur compte aujourd’hui quatre aéronefs. Deux d’entre eux sont des Ulm dits « pendulaires », soit une aile portant une nacelle motorisée. Les deux autres, « multiaxes », ressemblent plus à des avions classiques. Ce sont leurs poids qui les maintiennent dans la catégorie Ulm. Leur particularité, une paire de flotteurs qui leur permettent de se poser sur l’eau.
En l’absence de routes vers l’intérieur des terres, le réseau fluvial du département laisse imaginer les possibilités qu’offrirait l’hydraviation. Pascal envisage déjà de faire venir des gens de métropole pour les former. L’hydravion, « l’avenir de la Guyane » selon Pascal. Et en même temps, un retour aux sources, puisque c’est comme ça qu’a commencé, avec Galmot, l’aventure aérienne guyanaise.

Photos de Philippe Roger
Texte de Damien Lansade