En 1971 parait Les veines ouvertes de l’Amérique Latine. L’écrivain Eduardo Galeano y décrit l’éradication des Amérindiens et le pillage des ressources de l’Amérique latine du début de la colonisation jusqu’à aujourd’hui. Pour le photographe Miquel Dewever-Plana, ce «cri» éveille le désir d’une enquête approfondie, qui le mènera, pendant 20 ans, au Mexique et au Guatemala, auprès des populations mayas. En 2013, en exposant ce travail en Guyane, il prend conscience de la situation des Amérindiens français d’Amazonie.
Entre 2013 et 2015, le photographe séjourne plusieurs mois dans les villages enclavés de Tahluwen, en pays Wayana et Camopi, Teko et Wayãpi. Autour des notions d’identité, de territoire et de mémoire, il collecte, dans l’intimité, des récits de vie tout en faisant poser les témoins pour des portraits, en tenue traditionnelle et occidentale. Miquel renverse les codes, ceux de la photographie anthropométrique du XIXe siècle pour laquelle le portrait était une fenêtre sur l’âme humaine, mais celle des « autres », criminels, malades, « sauvages », révélateur d’une société croyant pouvoir hiérarchiser les Hommes en classes, catégories et.. races. C’est aussi une référence à Edward Sheriff Curtis et son travail sur les nations indiennes d’Amérique du Nord.
« Le développement est un voyage avec plus de naufragés que de navigants », écrit Galeano. C’est de ce voyage dont parle Miquel dans son projet D’une rive à l’autre. Mais son discours et sa démarche sortent les naufragés de l’eau et les navigants des errances identitaires de ceux qui voudraient condamner quiconque, et les Amérindiens, à la déculturation nécessaire véhiculée par la mondialisation ou, à l’inverse, au retour absurde vers un “âge d’or ” de l’histoire et d’une tradition fantasmée. Dans ses diptyques, chaque portrait renvoie face à face les essentialistes de tout bord. Ici, on sort la tête de l’eau. Face à l’objectif, on se présente droit, solide dans sa culture et dans celle de l’Autre, dans leur hybridation et leurs appartenances multiples.
Là où un travail purement documentaire aurait laissé des icônes, des figures, des scènes et des paysages, assurément « belles et poignantes », la minutieuse enquête de Miquel, restituée partiellement ici, nous permet au contraire d’accéder aux personnes dans leur singularité, hors de l’histoire dont on les dit victimes. « Nous serons des mendiants, tant que nous ne remettrons pas en cause leur version de l’histoire. Assumons la rupture, la discorde, la discordance. Gâchons le paysage et annonçons des temps nouveaux. Ils nous disent 1789. Répondons 1492  

1. Houria Bouteldja, Les bancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire  (La Fabrique éditions)
Texte de David Redon

http://www.miquel-dewever-plana.com