Le photographe naturaliste Gabriel Barathieu réalise depuis trois ans des clichés dans les eaux mahoraises, à plus de 100 mètres de profondeur. En 2019, il crée, avec d’autres plongeurs et un panel de scientifiques, l’association Deep Blue Exploration afin d’identifier les espèces de cette zone encore méconnue et de mener à bien des projets scientifiques.

c’est dans l’atmosphère sombre et intrigante des eaux mahoraises profondes que Gabriel Barathieu dégaine son appareil photo. Il plonge jusqu’à plus de 100 mètres sous la surface de l’eau, dans des endroits encore inexplorés, et remonte des clichés qui permettent d’inventorier la biodiversité de cette zone méconnue. « A 80 mètres il n’y a plus qu’1% de la lumière du soleil. C’est une ambiance vraiment particulière ! La faune s’est adaptée au manque de luminosité, on ne retrouve donc pas les mêmes espèces qu’en surface. Il y a tant à découvrir, c’est incroyable », raconte le photographe naturaliste de 37 ans. Il commence à plonger dans la zone mésophotique, située entre 50 et 150 mètres de profondeur, il y a seulement trois ans. C’est Laurent Ballesta, le photographe et plongeur des abysses, qui lui donne envie de se lancer. « Lorsqu’il venait à la Réunion, où je vivais avant de venir m’installer à Mayotte il y a quatre ans, j’allais à toutes ses conférences », note Gabriel Barathieu.
C’est à La Réunion, en s’y installant en 2008, qu’il se met à plonger régulièrement et à se perfectionner en photographie sous-marine. Il remporte le prix du photographe sous-marin de l’année 2017 – Underwater photographer of the year 2017.

Quinze minutes à 100 mètres
En 2013, il passe une formation sur un recycleur, machine qui permet de recycler le mélange gazeux respiré par le plongeur, indispensable pour descendre aussi profondément. « C’est un investissement financier et personnel important. Le recycleur coûte à lui seul entre sept et dix mille euros. Il faut s’entraîner avec puis passer une formation Trimix car pour descendre aussi profond il faut respirer un mélange de gaz particulier. C’est un milieu hostile, ce n’est plus de la plongée loisir mais technique », précise Gabriel Barathieu. Il ressent le besoin d’arrêter durant deux ans, quand son moniteur décède lors d’une plongée profonde à la Réunion. Il reprend cependant en 2016, en arrivant à Mayotte. « Je ressentais le besoin de bouger, de découvrir de nouveaux fonds marins, j’avais l’impression d’avoir fait le tour de ce qu’il y avait à voir et à photographier dans les eaux réunionnaises », explique le plongeur, originaire du sud-ouest de la France. Le lagon de Mayotte est un coup de cœur. Avant la crise de la covid où la pratique de la plongée est déconseillée, il effectuait deux plongées profondes chaque semaine. En trois minutes, il arrive à 100 mètres de profondeur pour y rester un temps très court, seulement quinze minutes, avant de remonter en deux heures et demie. « Il ne faut pas perdre de temps à chercher un sujet à photographier, il faut être rapide et efficace », explique-t-il.

Création de Deep Blue Exploration
Lorsqu’il descend pour la première fois à 70 mètres, il raconte avoir ressenti un mélange d’excitation et d’anxiété. « Et encore aujourd’hui, chaque plongée est un saut dans l’inconnu. Quand on est passionné, on s’émerveille de tout, comme d’un petit crabe qu’on n’avait encore jamais vu sur un corail mou. C’est exaltant ! On saute de joie dès qu’on voit une espèce qu’on ne connait pas », s’exclame-t-il. Il découvre de nombreuses espèces, certaines n’ont même jamais été décrites par la science. En postant sur Internet ses clichés pour obtenir des renseignements, il est contacté par le professeur Bernard Thomassin, directeur de recherche honoraire CNRS du Centre d’océanologie de Marseille et attaché scientifique du Musée d’histoire naturelle de la ville de Nice. Il est intéressé par une collaboration afin d’effectuer un inventaire de la faune mésophotique de Mayotte. C’est ainsi que Gabriel Barathieu, ainsi que trois autres plongeurs, s’associent à six scientifiques spécialistes de la biodiversité marine. En juin 2019, cette collaboration est officialisée par la création de l’association Deep Blue Exploration, dont Gabriel Barathieu est le président.

Une première à Mayotte
Il a effectué environ 150 plongées profondes dans le lagon de Mayotte. Il décrit ce milieu où peu se sont rendus et où personne n’avait encore pris de photographies : « Il y a beaucoup moins de diversité de coraux, seulement une trentaine d’espèces. C’est surtout les éponges qui prospèrent car elles n’ont pas besoin de lumière. On rencontre des gros mérous, des loches géantes, on voit régulièrement des bancs de requins marteaux halicornes, de deux ou trois individus à plus de 150. Nous avons vu un poisson lune, encore jamais observé à Mayotte ! » L’association Deep Blue Exploration effectue l’inventaire de toutes ces espèces de la zone mésophotique. Une première à Mayotte. Gabriel Barathieu envoie aux scientifiques ses clichés et ces derniers réalisent les identifications. A ce jour, ils auraient potentiellement découvert deux nouvelles espèces pour la science (une crevette et un poisson). Ils ont également découvert six espèces d’invertébrées qui n’étaient pas répertoriées dans l’océan Indien et une trentaine d’espèces nouvelles pour l’île de Mayotte.

Un projet scientifique ambitieux
L’association a mis en place un projet scientifique nommé Remeso. Un projet ambitieux qui s’inscrit dans le temps. Une hypothèse circule dans le monde scientifique : les zones mésophotiques pourraient servir de refuge et de nurserie pour certaines espèces des récifs coralliens superficiels, particulièrement touchés par le changement climatique et les pressions anthropiques. « Le projet vise à répondre à cette hypothèse. Pour se faire nous commençons par étudier la biodiversité de la zone mésophotique grâce à la photo-identification. Un suivi temporel sera effectué pour évaluer la résistance et la résilience des récifs profonds. Et, il nous faudra identifier s’il y a des connexions entre les récifs de surface et les récifs profonds. C’est un travail de longue haleine. On pose les premières pierres à l’heure actuelle », explique Gabriel Barathieu, fier de contribuer à améliorer les connaissances scientifiques avec son travail de plongeur photographe.
Les zones plus profondes sont moins soumises aux variations de température de l’eau, elles pourraient donc être moins touchées par le changement climatique. « Lors de nos plongées nous avons révélé de nombreux records de profondeur en photographiant des organismes à plus de cent mètres de profondeur qui, d’après la littérature scientifique, ne vivaient que proche de la surface. Cela signifie qu’ils vivent également en profondeur mais qu’on l’ignorait. Si leur habitat proche de la surface disparait, ces animaux-là se réfugieront en profondeur puisqu’ils s’y trouvent d’ores et déjà », explique le photographe naturaliste. Certaines espèces pourraient aussi s’acclimater aux plus grandes profondeurs « mais pour le démontrer, cela va mettre du temps ».
Ils démarrent ce projet scientifique sur deux spots. Le but à terme est de créer des stations permanentes autour de Mayotte. Or, cela demande des moyens financiers et l’association, encore jeune, ne fonctionne aujourd’hui que sur fonds propres et les membres sont tous bénévoles.
Texte de Sylvie Nadin & photos de Gabriel Barathieu