DOM, TOM, DROM, COM, POM, article 73, article 74 : quiconque souhaite comprendre les statuts des Outre-mer doit instantanément devenir un expert en droit constitutionnel ! D’ailleurs, les Ultramarins sont quasiment tous, à leur insu, des constitutionnalistes chevronnés tant le débat sur la question statutaire irrigue la vie politique locale depuis « toujours », ou plus précisément, depuis 1946. 76 ans ! Nos grands-parents, nos parents, nos enfants ont combattu ou combattent encore, tantôt contre le 74, tantôt pour l’autonomie, tantôt pour le droit commun… parfois – souvent ! – en poursuivant pourtant les mêmes objectifs. C’est à y perdre son créole !

Essayons de faire œuvre de pédagogie : de 1946 à 2003, les choses étaient « plutôt » simples. Il y avait, d’une part, les DOM (départements d’Outre-mer) et, d’autre part, les TOM (territoires d’Outre-mer). Dans les premiers, où la départementalisation a porté la promesse de l’égalité, les lois de la République s’appliquaient de plein droit (principe dit de l’identité ou de l’assimilation législative), ce qui n’était pas le cas dans les seconds, régis par des lois spéciales (principe dit de la spécialité législative). Certaines collectivités vont hésiter entre ces deux statuts, comme Saint-Pierre-et-Miquelon qui a été successivement TOM, DOM, collectivité à statut particulier dite sui generis (c’est-à-dire hors catégorie, « de son propre genre ») ou Mayotte qui était TOM, mais réclamait le statut de DOM.
Suite à l’évolution de la Nouvelle-Calédonie en 1998 et à la déclaration de Basse-Terre en 1999, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 est venue modifier en profondeur le droit des Outre-mer et ouvrir la voie de la différenciation : la catégorie des TOM disparaît, la distinction DOM/TOM est remplacée par la distinction « article 73/article 74 » en référence aux articles de la Constitution qui régissent les Outre-mer. La logique de l’article 73 reste le principe de l’identité législative, mais la possibilité d’adapter les lois est offerte aux collectivités ; la philosophie de l’article 74 reste la spécificité, mais avec possibilité d’être régi par le principe de l’identité législative. La frontière entre les deux statuts devient floue.

Une diversité de statuts

Aujourd’hui, relèvent de l’article 73 : la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte. On ne peut plus appeler cette catégorie « DOM » puisque la Guyane et la Martinique sont devenues, en 2016, des collectivités uniques : il n’y a plus de département et de région dans ces deux Outre-mer. Relèvent de l’article 74 : Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française ainsi que Saint-Barthélemy et Saint-Martin, anciennes communes de Guadeloupe qui deviennent des collectivités d’Outre-mer en 2007. La Nouvelle-Calédonie, elle, est traitée à part, aux articles 76 et 77 de la Constitution.
Outre et indépendamment de leur statut en droit « interne », les Outremer ont aussi un statut européen, qui peut être celui de régions ultrapériphériques (RUP) ou de pays et territoires d’Outre-mer (PTOM). Les RUP sont des territoires européens où s’appliquent le droit et les politiques de l’Union européenne alors que les pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) ne sont qu’« associés » à l’Union européenne. Les cinq collectivités de l’article 73 et Saint-Martin ont choisi le statut de RUP et bénéficient ainsi des fonds européens structurels et d’investissement (FEDER, FSE, FEADER, FEAMP…). Les collectivités de l’article 74 (à l’exception de Saint-Martin donc) ont opté pour le statut de PTOM et sont éligibles au fonds européen de développement (FED).

La quête du « meilleur » statut

Si elle a toujours été présente – bien qu’à des degrés divers selon les territoires –, la question statutaire se pose aujourd’hui dans un contexte nouveau : en Nouvelle-Calédonie, suite au troisième et dernier référendum d’autodétermination ; en Guadeloupe, où le ministre des Outre-mer s’est dit « prêt à débattre de l’autonomie » ; en Guyane, où le dernier Congrès des élus a voté à l’unanimité en faveur de l’évolution statutaire.
Contrairement à l’idée reçue, le choix ne se réduit pas à l’alternative entre le « 73 » dans lequel les collectivités seraient, pour grossir le trait, riche, mais soumises, et le « 74 » dans lequel les collectivités seraient pauvres, mais libres. Les options sont plus nombreuses et variées : statut de droit commun (comme les collectivités hexagonales), article 73, article 74, statut calédonien, voire statut particulier (« sui generis »). Ces différents statuts offrent des marges de manœuvre différentes aux collectivités, une gradation allant de la décentralisation (statut de droit commun) à l’autonomie (statut de la Nouvelle-Calédonie). Entre les deux, les combinaisons sont multiples : un « 73 » peu adapté (comme La Réunion), un « 74 » peu spécifique (comme Saint-Pierre-et-Miquelon), un « 73 » très adapté, un « 74 » très spécifique (comme la Polynésie française)… Le droit étant « la plus puissante des écoles de l’imagination », selon les mots de Jean Giraudoux, tout ou presque pourrait être envisagé !
Mais ce sont précisément ces arguties pseudo-juridiques qui phagocytent le débat sur la question statutaire : il faut en sortir. Le statut n’est pas une fin en soi, il n’est qu’un outil, qu’un cadre au service d’un projet de société. Avant de se demander « article 73 » ou « article 74 », il faut se demander quelles sont ses forces et ses faiblesses, quelles compétences doivent être exercées localement et quelles compétences doivent être exercées par l’État. L’hétérogénéité qui caractérise aujourd’hui les Outre-mer rend obsolète la distinction entre les articles 73 et 74 de la Constitution. Le temps des statuts à la carte est venu.

Véronique Bertile, Maître de conférences en Droit public à l’Université de Bordeaux