« Alors Mika, le mouvement c’est reparti ? » s’enquiert ce jeune Guyanais. Comme beaucoup d’autres garçons de son âge, il a suivi les aventures des 500 frères à la télévision. En quelques mois, ‘Mika’ Mancée et les 500 frères sont devenus des figures populaires d’un mouvement citoyen qui a agité la Guyane pendant plus de deux mois. Dans les médias, les noms de Mika Mancée et d’Olivier Goudet, les deux porte-paroles du collectif, ont côtoyé ceux des politiques de premier plan. Leurs interventions au balcon de la préfecture sont retransmises en direct sur tous les médias guyanais.
Originaires des quartiers populaires, les frères ont décidé d’agir contre les violences urbaines, les squats insalubres, les prisons surchargées, le sentiment d’insécurité des Guyanais. La mobilisation citoyenne qu’ils initient va tester leurs convictions. Quelques semaines après les événements de mars et avril 2017, les élus ont repris leurs sièges dans les hémicycles, les 500 frères, leurs quartiers. Mika Mancée, Olivier Goudet, Stéphane Palmot, José et Jocelyn Achille, Zadkiel Saint Orice et Francesca Félix ont accepté de témoigner sur leurs actions au sein du collectif, leurs convictions, leurs erreurs aussi.

Les 500 frères en marche
“20 000 frères” c’est le titre à la une du France Guyane au lendemain de l’appel à la mobilisation lancé par le collectif Pou Lagwiyann dékolé (ndlr. Pour que la Guyane décolle). Ce 28 mars 2017, un cortège de 20 000 manifestants, 12 000 selon les forces de l’ordre, défile entre le siège d’EDF et la préfecture de Cayenne. Les 500 frères entièrement vêtus de noir, en cagoules mènent la marche. Une action collective forte qui a touché tous ceux qui y ont participé.
Pour Stéphane Palmot, président du collectif, cette grande marche aura permis de montrer à l’Hexagone que les 500 frères n’étaient pas violents. Il se souvient « même si on nous disait milice, au final ils ont vu que le mouvement était légitime. Il n’y a pas eu de casse, de meurtres, ou de blessés. Il y avait des enfants, des grandes personnes. »
« Lagwiyann lévé » chantent les 500 frères et la foule de concert. Quelques jours plus tôt, l’Union des Travailleurs Guyanais (UTG) votait la grève générale à la majorité absolue. Dans la foulée, de nombreux secteurs d’activité s’organisent en collectif. Ce 28 mars, debouts sur un camion stationné près de la préfecture, les frères, mais aussi, des représentants syndicaux, des professionnels galvanisent les foules. Les élus sont absents. Quelques semaines plus tôt, la population avait rangé ses masques de carnaval et la vie avait repris son cours.

Cayenne enterre un frère, les 500 autres s’organisent
Nous sommes le 15 février 2017. Une soixantaine d’hommes et quelques femmes, entièrement vêtus de noir, le visage dissimulé par une cagoule défilent dans les rues de Cayenne. « Les voleurs nou bon ké sa ! les tueurs nou bon ké sa ! ». Quatre jours plus tôt, Hervé Tambour était froidement abattu devant laverie du quartier d’Eau Lisette.
C’est José Achille, le cousin du défunt, qui, le premier soumet l’idée des cagoules à ses co-équipiers. Pour cette première marche, ils s’organisent dans l’urgence. « Vous n’allez pas trouver cent cagoules en magasin. Je connaissais un couturier. J’ai pris du tissu chez Nouchaïa, du tissu noir extensible. J’ai fait faire les cagoules en mode rapide », nous confie l’intéressé.
Stéphane Palmot, fondateur du groupe Whatsapp
« contre la délinquance » devenu « les 500 frères contre la délinquance » est nommé président. Natif du village chinois, il est le cadet d’une fratrie de onze, c’est avec eux qu’il mène ses premières « actions fortes ». Au total, plus d’une centaine d’hommes et quelques femmes, dont des Frères de la crique, une association qui intervient auprès des jeunes dans le quartier de Chicago, des employés de l’État, des agents de sécurité aussi. « Les rôles, on les a pris, se souvient Mika Mancée, le plus célèbre des frères. Le rôle de porte-parole par exemple, je me le suis attribué. La sécurité c’est mon domaine. Le fait de savoir de quoi je parlais et d’être à l’aise sur ce sujet-là a fait de moi le porte-parole. »
Pendant deux mois, la centaine de frères et quelques sœurs financent, militent, défendent le collectif.

« Juste pour les défier »
« Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité. » Face à Ségolène Royal et aux vingt-cinq représentants des États de la Caraïbe, José Achille se veut rassurant. Soutenu par une cinquantaine de frères, le visage dissimulé par une cagoule, il a fait irruption dans l’hémicycle de la Collectivité Territoriale de Guyane (CTG) où se tient la 14e Convention de Carthagène pour la protection du milieu marin. Nous sommes le 17 mars en fin de matinée.
« Ce n’était pas prévu », se remémore José Achille. « On s’était donné rendez-vous à 5 h du matin devant la Chambre de Commerce et de l’Industrie pour bloquer l’accès aux consulats. On était là tout seuls, on commençait à s’échauffer. Oliver me dit « manman ke rivé » en parlant de Ségolène Royal. À Montabo, les gendarmes nous ont laissé passer. Pareil à Bourda. On avait l’intention de rester dehors devant la CTG. Et on entend dans leurs micros « empêchez-les de passer. » Ils sont deux et nous cinquante. Je dis aux gars « Oh les gars ! Nou ka passé. » Juste pour les défier. On passe, on commence à marcher. Et puis on prend un élan. On explose la ligne de sécurité devant la CTG. Lorsqu’on ouvre la première porte, on voit le chauffeur de Rodolphe Alexandre. Comme on savait qu’il allait le rejoindre, on l’a suivi. On le suit, on pousse la porte. C’est là que l’on voit un tas de personnes. Nous-mêmes, on était surpris. »
Face aux élus, les 500 frères refusent d’ôter leur cagoule. Pour Mikaël Mancée, c’est clair « il fallait ce genre d’actions, sinon on ne nous aurait jamais entendu ». Nul doute qu’avec cette action, les 500 frères ont fait un joli pied de nez aux élus, toujours aussi démunis face aux problèmes de sécurité. Le soir au JT, il ne reste à Rodolphe Alexandre qu’à condamner cette action qu’il qualifie d’« accident diplomatique. » La population est partagée.

Les 500 frères à la table des négociations
« Il y en aura eu des rapports de force, des moments de tension », se souvient le président des 500 frères, Stéphane Palmot. Suite à la marche du 28 mars, le collectif s’est vu propulser à la tête d’un mouvement social de grande ampleur. La fusée au sol, et l’économie paralysée, Paris a dû envoyer ses ministres. Matthias Fekl, ministre de l’Intérieur et Ericka Bareigts, ministre des Outre Mer ainsi qu’une poignée de hauts fonctionnaires arrivent le 29 mars dans la capitale guyanaise.
Alors que la pression monte pour les collectifs réunis au sein de Pou la Gwiyann dékolé et pour les élus jusqu’alors en retrait, la préfecture annonce que la délégation ministérielle ne rencontrera que le collectif. Pour Gilles Vernet, directeur des programmes à Radio Péyi, c’est clairement « une tentative de la préfecture pour diviser. Quel intérêt pour la préfecture de dire qui pouvait aller rencontrer la délégation ? » La séance est suspendue à plusieurs reprises. Les journalistes sont sommés de quitter la salle de réunion. Après trois suspensions, le collectif Pou Lagwiyann dékolé annonce finalement qu’eux seuls rencontreront les ministres. Les élus restent signataires des accords et responsables de son application.
Pour Stéphane Palmot, « ils n’avaient pas le choix. Ils n’ont rien fait jusque là et maintenant ils veulent faire de la récupération. »

Les 500 Frères font les comptes
Nous sommes le week-end du 1er et 2 avril, les 500 frères à l’instar des autres collectifs sont réunis à la préfecture. Aux revendications sécuritaires se sont ajoutées celles des socios professionnelles, des personnels éducatifs et des acteurs culturels. Au total, un cahier des charges de plus de 400 revendications est présenté aux ministres. Pour Mikaël Mancée, c’est clair, « cette mobilisation n’était pas préparée. Tout le monde s’est greffé au projet parce que c’était le moment d’apporter ses revendications. On n’était pas préparés à travailler ensemble. » Les 500 frères soutenus par les avocats obtiennent gain de cause. Le centre pénitentiaire, le commissariat à Saint-Laurent-du-Maroni et la cité judiciaire. « On a fait des recherches. On n’est pas juste une bande de types cagoulés qui débarquent dans la ville. » Les négociations se poursuivent jusqu’à tard dans la nuit. La population guyanaise reste massée aux abords de la préfecture. Ils attendent les déclarations officielles des porte-paroles. Pour Francesca Félix, responsable du QG des 500 frères au barrage de la Crique Fouillée, les 500 frères étaient sous pression. « Vous ne pouvez pas garder la population en haleine pendant trois, quatre, cinq mois. Il y avait une population qui était là en attente. On n’avait pas trop le choix. Il fallait que ça bouge. Il fallait qu’on ait des réponses tout de suite »
Le lendemain matin, Olivier Goudet annonce à la foule que les accords n’ont pas abouti.

La valse des frères
Coup de théâtre au balcon de la préfecture, Olivier Goudet « veut 2, 5 milliards tout de suite ». Les barrages sont reconduits et la population est appelée à se mobiliser le mardi suivant à Kourou. Pour Mikaël Mancée, c’est clair le collectif des 500 frères « s’est perdu » Il nous confie, « Moi je n’étais pas venu pour ça. Je trouvais qu’on se perdait. On était venus pour combattre l’insécurité. »
À Kourou, les frères se heurtent à l’appareil d’État. La foule descendue en masse attend des discours enflammés. Il y en aura peu. Mais la mobilisation et les barrages continuent. Le collectif Pou Lagwiyann circulé voit le jour. Ils exigent la levée des barrages et accusent Pou Lagwiyann Dékolé et Olivier Goudet de s’être éloignés des préoccupations du peuple. Mi-avril, c’est la valse des frères. « Comme je vous dis, non seulement je n’étais pas d’accord pour continuer à bloquer, et puis il y a un gros travail de fond qui n’a pas été fait » souvent crédité de la création du collectif des 500 frères, Mikaël Mancée annonce ce lundi 18 avril qu’il n’en est plus le porte-parole. « On a appris sa sortie du collectif en même temps que tout le monde », témoigne l’un des frères, Zadkiel Saint-Orice. Quelques jours plus tard, le lundi 24 avril, Stéphane Palmot et Olivier Goudet annoncent le départ de José Achille.

La Guyane avait-elle besoin des 500 frères ?
« C’est à la rue qu’on doit ce mouvement », rappelle Rodolphe Alexandre lors de l’inauguration de la fresque de la fraternité, le 13 mai dernier au village chinois. Sur cette fresque de l’artiste guyanais Abel Adonaï, on peut voir les 500 frères encagoulés en marche, en arrière-plan, le drapeau de la Guyane semble les porter. De retour au village chinois où tout a commencé quelques mois plus tôt, Mika Mancée, Olivier Goudet, Stéphane Palmot, Zadkiel Saint Orice, Francesca Félix et beaucoup d’autres sont rassemblés une nouvelle fois pour manifester leur détermination à apporter un mieux vivre aux Guyanais.
Pour Olivier Goudet, souvent décrié dans la presse, le combat continue. « Je suis un guerrier », nous confie-t-il. Et de poursuivre, « je l’ai fait parce que je suis un Guyanais, la Guyane ne doit pas rester dans cet état. Et pourtant, on m’a bousculé, on m’a incendié, on m’a menotté. Comme disait Élie Brême, quand vous faites, n’attendez rien en retour. »
Alors la Guyane avait-elle besoin des 500 frères ? Pour Mika Mancée, « c’est évident, mais le plus dur reste à faire. » Sur les réseaux sociaux, les avis sont plus partagés. Pour certains, les accords votés étaient déjà dans les clous depuis des années. Pour d’autres, les 500 frères ont surtout cherché à se faire remarquer. Au final, plus que des milliards, les 500 frères ont surtout montré que la population mobilisée pouvait renverser le status-quo. La chose publique, res publica n’est pas que l’affaire des représentants.
Le 11 juillet dernier, Rodolphe Alexandre, Gabriel Serville, Antoine Karam, George Patient et Lénaïck Adam rencontraient le président Emmanuel Macron et la nouvelle ministre des Outre-Mer, Annick Girardin. Et pour les 500 frères, le combat n’est pas terminé. « Nous sommes déterminés à poursuivre le mouvement », rappelle Olivier Goudet également à Paris pour suivre les avancées du comité de suivi.

Texte de Maud Alamachère
Photos de Jody Amiet, Christel Bonard, Karin Sherag.

 

Mikaël Mancée, le grand frère

Co-fondateur du collectif des 500 Frères, Mikaël Mancée en est aussi le membre le plus emblématique. En tombant le premier la cagoule, cet ancien policier de 33 ans est devenu le visage de la révolte guyanaise. Toujours « mobilisé pour (son) pays », il devrait bientôt présider une nouvelle association baptisée sobrement Les Grands Frères. 

En quittant le collectif Pou Lagwiyann dékolé le 18 avril, trois jours seulement avant la signature de l’Accord de Guyane, Mikaël Mancée avait promis de « ne rien lâcher ». Et demandait à la population de continuer à lui faire confiance. « On réfléchit à la suite. Ce sera un combat sur la durée et il faut s’y préparer », annonçait-il.
Proclamé porte-parole du mouvement, il n’était plus en phase avec les méthodes utilisées. « Je ne conçois pas de taper sur la population pour laquelle on se bat », expliquait-il pour justifier son départ. Mais sa détermination, elle, est toujours restée intacte. Cofondateur du collectif des 500 Frères contre la délinquance, c’est au sein d’une autre association, baptisée cette fois Les Grands Frères, qu’on le retrouvera bientôt. Toujours aux côtés de ses comparses José Achille et Serge Mortin, il assumera la fonction de président. Un rôle taillé sur mesure. Car Mancée, ce n’est pas qu’un physique imposant, c’est aussi une tête bien pleine. Et un leader né. Il apparaît toujours réfléchi, posé. Digne. Il sait trouver les mots. Mobiliser les troupes tout en contenant les ardeurs. Superhéros pour les enfants, il incarne tout à la fois l’ami, le fils, le frère parfait.
C’est lui, le premier, à tomber la cagoule noire des 500 Frères pour apparaître à visage découvert et raconter son histoire. Officier de police judiciaire au commissariat de Cayenne, en disponibilité depuis le début de l’année, il dénonce l’échec d’un système auquel il a participé pendant onze ans. « J’ai compris pourquoi ça ne marche pas. Mais à l’intérieur, je ne pouvais pas parler, alors j’en suis sorti », raconte-t-il. Le meurtre d’Hervé Tambour, tué de deux balles dans la cité Eau-Lisette, à Cayenne, pour avoir refusé de donner sa chaîne en or, est le crime de trop. Achille, Mancée et leurs potes décident que « la peur doit changer de camp. » En février, les 500 Frères débarquent pour la première fois dans les rues de Cayenne. Vêtus de noir et encagoulés, ces gars musclés impressionnent. Mais sont immédiatement adoptés par la population guyanaise. Et si la cagoule est décriée dans l’Hexagone, elle reste le symbole le plus fort du collectif qui refuse de s’en séparer. « Il fallait marquer les esprits, argumente « Mika ». Sans la cagoule, nous n’aurions jamais été pris au sérieux. »
Charismatique, Mancée est sollicité de toute part. Y compris en politique. On aurait pu s’attendre à le retrouver candidat aux législatives, en juin, comme Davy Rimane et Djemetree Guard. Mais Mancée n’est pas prêt. « Aujourd’hui, ça ne m’intéresse pas », répond-il, sans fermer la porte. « Quand j’étais jeune je ne voulais pas avoir d’enfant et maintenant j’en ai quatre. Et quand j’étais petit, la police ne m’intéressait pas non plus… » Pour l’instant, « Mika » préfère jouer le rôle de Grand Frère.

Texte de Karin Scherhag