Plus de 23 ans après la disparition, toujours inexpliquée, de l’ancien journaliste Jean-Pascal Couraud dans la nuit du 15 au 16 décembre 1997 sur la côte ouest de Tahiti, la chambre de l’instruction de Papeete a confirmé, le 20 septembre dernier, les mises en examen pour meurtre de l’ex-femme du journaliste et de son amant.

Cette décision vient s’inscrire dans le cadre d’une affaire qui voit, aujourd’hui encore, s’affronter la thèse de l’élimination d’un homme trop dérangeant pour le pouvoir politique à celle d’une mort survenue sur fond d’adultère. Un dossier sulfureux aux multiples rebondissements qui implique toujours la garde rapprochée de l’ancien président de la Polynésie, ex-secrétaire d’État au Pacifique Sud et ami proche de Jacques Chirac, Gaston Flosse.
Dossier sulfureux aux multiples rebondissements
La disparition de Jean-Pascal Couraud, dit « JPK », qui s’est volatilisé de son domicile, est signalée le 16 décembre 1997 par son frère auprès de la brigade de gendarmerie de Punaauia, une commune située sur la côte Ouest de Tahiti où résidait le journaliste avec sa femme, Miri Tatarata. Malgré des recherches immédiatement entreprises par les unités de gendarmerie de Tahiti et par les agents de la Direction de la sécurité publique (DSP), malgré une mobilisation importante doublée de survols de la zone entourant le domicile du journaliste, les premières investigations restent vaines.
Le 12 janvier 1998, la mère de Jean-Pascal Couraud dépose plainte pour « enlèvement et séquestration ». Si aucun élément ne vient alors corroborer cette thèse, un témoin explique aux enquêteurs que la femme du journaliste, Miri Tatarata, a évoqué un mot que ce dernier lui aurait laissé le soir de sa disparition sur lequel il lui aurait déclaré : « Là où j’irai, je t’aimerai toujours ». Le témoin ajoute qu’elle a détruit le document. Interrogée sur ce mot, la femme de JPK nie son existence. Renvoyée devant le tribunal correctionnel pour « destruction, soustraction, recel ou altération d’un document de nature à faciliter la découverte d’un crime ou d’un délit » dans le cadre de l’information judiciaire ouverte contre x à la suite de la disparition de son mari, Miri Tatarata est finalement relaxée en juin 2004 au motif qu’il n’a pas été prouvé que son mari avait disparu dans le cadre de la commission d’un crime ou d’un délit. Certaines personnes de l’entourage du journaliste évoquent d’ailleurs son état dépressif et la possibilité qu’il ait mis fin à ses jours.
Filature, écoutes et espionnage

L’affaire aurait pu en rester là. Mais c’est sans compter le contexte politique de l’époque et l’activité professionnelle de Jean-Pascal Couraud. À l’époque de sa disparition, l’homme n’est plus journaliste. Il est responsable de la communication du maire de la commune de Arue, Boris Léontieff. Il est également connu en Polynésie pour être un fervent opposant au président de l’époque, Gaston Flosse. Ce dernier, très proche de Jacques Chirac, a été l’un de ses premiers soutiens lors de la fondation du RPR. Gaston Flosse a surtout un goût prononcé pour faire suivre et écouter ses opposants. Il a d’ailleurs créé le Groupe d’intervention de la Polynésie (GIP) au sein duquel une cellule de renseignements, sobrement appelée « Service Études et communication » (SED), a également été mis en place afin d’effectuer la filature, l’espionnage et les écoutes téléphoniques de nombreuses personnalités du terr

Couverture de Tahiti Infos du 5 octobre 2020

Couverture de Tahiti Infos du 5 octobre 2020

itoire dont JPK fait partie.
C’est ainsi que, le 6 octobre 2004, soit six mois après la relaxe de Miri Tatarata, les enquêteurs de la gendarmerie sont informés qu’un membre du GIP, Vetea Guilloux, a des révélations à faire sur la disparition du journaliste. Entendu, l’homme déclare qu’il a été témoin de l’enlèvement de Jean-Pascal Couraud sur un parking et qu’une semaine plus tard, un membre du GIP, Tino Mara, lui a avoué avoir emmené l’ancien journaliste sur un bateau avec l’aide d’un autre membre du GIP, Tutu Manate. Afin de le « faire parler sur certains dossiers », les deux hommes auraient « lesté » le journaliste avec des « parpaings attachés à ses pieds » pour l’immerger dans l’océan et le faire remonter à plusieurs reprises. Son corps aurait finalement été « lâché » dans l’eau sur ordre téléphonique. Selon Vetea Guilloux, ces faits auraient été commis sous la direction d’un cadre du GIP, Rere Puputauki.
JPK, cible du SED

Condamné pour dénonciation mensongère, car l’horaire de l’enlèvement qu’il avait donné aux enquêteurs n’était pas compatible avec les éléments du dossier, Vetea Guilloux conteste aujourd’hui encore avoir menti sur ses déclarations. Un supplément d’information est tout de même demandé par la cour d’appel de Papeete pour investiguer sur la disparition de JPK. Un juge d’instruction est saisi et les recherches et auditions reprennent.
Il faut ensuite attendre 2013 pour que le juge d’instruction frappe un grand coup dans le dossier. Après de nouvelles investigations, le magistrat décide finalement, en juin et juillet, de mettre Tino Mara, Tutu Manate et Rere Puputauki en examen pour enlèvement et séquestration et pour meurtre en bande organisée. À l’origine, notamment, de cette décision, une conséquente « note finale récapitulative » rédigée par les avocats de la famille de l’ancien journaliste. Ils relèvent en effet que les déclarations de Vetea Guilloux sont corroborées par plusieurs indices et témoignages.
La note se base notamment sur les déclarations de plusieurs témoins qui ont relaté, dans le cadre privé ou professionnel, avoir entendu Tino Mara, Tutu Manate ou leurs proches, évoquer ce fameux lestage dans le lagon. Le juge d’instruction pointe également que Jean-Pascal Couraud était la cible du SED et qu’il avait rapporté à ses proches avoir été victime de plusieurs tentatives d’intimidation durant les mois qui avaient précédé sa disparition. Les trois GIP contestent en revanche fermement les soupçons pesant sur eux, assurant qu’ils ne connaissaient JPK qu’à travers les médias.
La thèse personnelle

Cinq longues années passent avant que la Section de recherches (SR) de Papeete ne soit saisie sur commission rogatoire en 2019 afin de relancer les investigations dans cette affaire qui oppose toujours les partisans de la thèse politique à la thèse personnelle. Car, à l’époque de sa disparition, Jean-Pascal Couraud savait que sa femme, Miri Tatarata, entretenait une relation adultère avec un homme nommé Francis Stein qui n’était autre que l’un des meilleurs amis de l’ancien journaliste. Et durant les jours qui ont précédé sa disparition, l’épouse de JPK a varié dans ses déclarations.
Dans la soirée du 15 décembre, Miri Tatarata avait en effet expliqué qu’elle s’était endormie devant la télé alors que son mari se trouvait à ses côtés. Elle aurait constaté sa disparition en se réveillant et aurait trouvé, posés sur son lit, un crâne humain et un mot rédigé par JPK qui lui aurait écrit : « Quoi que je fasse, où que j’aille, je continuerai à t’aimer. » Bien qu’ayant parlé de cet écrit à plusieurs personnes de son entourage, Miri Tatara l’aurait, selon ses déclarations, détruit dans la panique.
Éléments inexpliqués

Le 26 juin 2019, les enquêteurs de la Section de recherches de Papeete placent donc les deux anciens amants en garde à vue. Si de nombreuses pistes n’ont rien donné, comme des recherches de traces de sang au Blue Star notamment, ils s’attardent sur une série d’éléments « inexpliqués » durant la journée et la soirée de la disparition de JPK, le 15 décembre 1997.
Parmi ces éléments, le nouveau témoignage de l’ex-femme de Francis Stein qui déclare aujourd’hui que, dans son souvenir, son mari n’était pas au domicile le soir de la disparition. « Il lui semble qu’il était sorti pour une réunion politique et que l’appel passé par Miri était en relation avec cette réunion. Il était déjà habillé lorsqu’il est venu lui annoncer qu’il devait repartir », relatent les gendarmes. Une version contestée par l’intéressé, qui assure avoir passé la soirée à son domicile jusqu’à l’appel de Miri Tatarata vers 1 h 20 du matin, lui annonçant la disparition de JPK.
Toujours au domicile de Francis Stein le soir de la disparition, les enquêteurs se sont intéressés au fonctionnement d’une alarme que ce dernier avait toujours affirmé avoir déclenché en se levant pour répondre au téléphone à Miri Tatarata. « Or cela est impossible », affirment les gendarmes, « car l’appel de Miri a été passé à 1 h 22 et l’alarme a déclenché à 1 h 32 soit plus de 10 minutes après l’appel ». Les enquêteurs disent alors « s’interroger sur le délai constaté entre l’appel au secours de Miri et le départ de son amant, ce dernier mettant 10 minutes pour quitter la maison ».
Mises en examen pour meurtre

Un autre élément nouveau a également focalisé l’attention des enquêteurs. À l’époque de sa disparition, JPK disposait d’un téléphone portable qui lui avait été mis à disposition par la mairie de Arue six mois plus tôt. Or si plusieurs collègues et proches de JPK confirment l’avoir vu utiliser son portable, Miri Tatarata n’explique pas pourquoi elle n’a jamais pensé à l’appeler sur ce numéro l’après-midi et le soir de sa disparition.
Malgré leurs dénégations en garde à vue, le juge d’instruction en charge du dossier estime qu’il dispose d’indices graves et concordants permettant d’impliquer Miri Tatarata et Francis Stein. Le 28 juin 2019, ils sont donc présentés devant le magistrat instructeur, mis en examen pour meurtre et placés sous contrôle judiciaire.
Alors que « l’affaire JPK » comporte désormais cinq suspects dans deux volets totalement différents, difficile de savoir exactement ce que recèle la totalité du dossier d’instruction. Le juge doit maintenant choisir de renvoyer ou non l’affaire aux assises. Mais avant cela le dossier pourrait encore évoluer, puisqu’au regard des récentes mises en examen de Miri Taratata et Francis Stein, les avocats de Rere Puputauki, Tino Mara et Tutu Manate devraient demander l’annulation de leurs mises en examen. En parallèle, Vetea Guilloux a été reconvoqué devant la cour d’appel de Paris le 5 février 2021, soit 16 ans après sa condamnation toujours provisoire pour dénonciations calomnieuse et mensongère…
par Garance Colbert.