Le groupe Delgres était en concert le 25 novembre 2022 à Kourou en Guyane dans le cadre du festival Mo Jazz. Nous les avons rencontrés dans un hôtel de la ville spatiale​​ peu avant le concert. Entretien avec Pascal Danaë, le multi-instrumentiste et chanteur, Baptiste Brondy, le batteur et enfin Raphaël Gouthière, alias Rafgee, le joueur de soubassophone – une sorte de gros tuba qui fait office de basse, un instrument de rue que l’on retrouve dans les fanfares de La Nouvelle-Orléans.

BK: Delgres fait le pont entre les racines afro-américaines blues et la langue créole. On a même le sentiment que ça fait quelques années qu’on avait perdu cette connexion dans la musique grand public, qui resurgit aussi avec la chanteuse Leyla McCalla. Est-ce que vous avez le sentiment qu’il s’agit d’un retour de cette musique.

Pascal : C’est juste lié à nos histoires personnelles, celle de Leyla comme de la mienne. Elle est d’origine haïtienne, elle a décidé de quitter New York en 2010 pour s’installer à La Nouvelle-Orléans. Moi, je suis d’origine guadeloupéenne, mais j’ai grandi en région parisienne, et en tant que guitariste, j’apprécie le blues. J’ai toujours été obsédé par le fait de mélanger l’huile et l’eau. Il y a des choses qui ne sont pas censées forcément aller ensemble et j’aime bien l’idée de manipuler des choses nouvelles et créer quelque chose de différent, qui correspond à mon histoire. Pour moi, chanter du créole sur du blues, c’est évident.

BK : Est-ce que vous voyez d’autres groupes aujourd’hui qui font cette jonction entre la langue créole et l’univers blues folk ?

Pascal : Il y a une chanteuse haïtienne, Moonlight Benjamin, qui fait une musique plus rock mais avec un chant qui se rapproche des musiques un peu transe d’Haïti. Il y a aussi un musicien comme Corey Harris, qui fait écho à l’image du mélange entre l’huile et l’eau, nous l’avions croisé dans un festival au Canada.

BK : Mais dans les Caraïbes, il semble qu’il y ait assez peu ce genre de mélange créole et blues rock, non ?

Pascal : Mais c’est parce qu’on n’est pas dans la bonne sphère géographique pour ça. Côté Caraïbe, on est plus proche de l’Amérique latine. Mon père, dans les musiques qu’il écoutait, évidemment, il y avait le jazz, toute la musique latine, la salsa, le merengue, les trucs latins et tout, mais pas vraiment de blues. Les sons de guitares crades qui bavent, les saturés, il y en a beaucoup moins dans la sphère caribéenne, ce n’est pas leur truc. Moi, j’ai grandi loin d’ici [de la Caraïbe]. J’ai été dans un environnement où on jouait du rock, du blues, ce n’est pas du tout un souci d’utiliser tout ça.

BK : Prisonnière des clichés métropolitains, la langue créole a parfois besoin d’être vue différemment, ressentie différemment en France. C’est bien que votre musique puisse permettre à la langue de se libérer de tout ça, non ?

Pascal : Oui, finalement on a aussi ce qu’on mérite ! Ça fait 30 ans qu’on fait le même zouk, qu’on répète la même chose. Avec nous, les gens remarquent qu’il y a un truc différent et ils écoutent volontiers. Kassav, ils ont cartonné dans le monde entier parce qu’ils ont imposé leur truc, un truc bien. Concernant la langue créole, c’est vrai qu’il y a une perception, des préjugés. Si on est sincère, il y toujours moyen d’être écouté​.
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