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Organisés initialement pour rassembler les différents peuples amérindiens de Guyane, les Jeux Kali’na sont aujourd’hui l’un des grands évènements sportifs de la région. Et si les Amérindiens de tout le territoire sont effectivement présents, c’est la Guyane dans sa diversité qui se retrouve chaque année à Yalimapo.

Fin août, la Guyane sort doucement de la torpeur des grandes vacances. Les enfants et leurs parents organisent la rentrée. Dans ce même temps, dans les communes du territoire une agitation touche plusieurs centaines de personnes : « t’as vu, les inscriptions sont ouvertes ! », « vous participez cette année ? », « on va vous manger en kasilipo ! », « bon cette fois ci on s’entraîne ! ».
Chaque année, le deuxième week-end de décembre se déroule à Awala-Yalimapo les Jeux Kali’na. Enfants, adolescents et adultes s’affrontent au cours de jeux d’adresse, d’endurance et de force. Tous, grands et petits sont là certes pour prouver leur valeur sportive, mais surtout pour être ensemble. Ces jeux, qui permettent aussi une ouverture à la culture kali’na, offrent aux visiteurs un moment unique de partage.

Du Brésil à Yalimapo

C’est en rentrant du Brésil en 2003, que Hervé Robineau s’est pris à rêver. Une délégation de Awala-Yalimapo avait assisté aux Jeux autochtones organisés cette année-là dans l’État de l’Amapá. Les différentes nations amérindiennes du Brésil s’affrontaient lors de joutes de force et d’adresse telles que la lutte, le tir à l’arc, le transport de charge, le lancer de javelot… Si le défi sportif était bien réel, cette réunion avait surtout permis des échanges politiques, spirituels et familiaux. Les populations présentent lors de ces jeux avaient là une occasion unique de pouvoir discuter sur des problématiques communes.

« Et pourquoi pas chez nous ? ». Hervé et ses proches ont commencé à réfléchir à une transposition de ce qu’ils avaient vu au Brésil. Des jeux qui permettraient de se rencontrer. L’idée initiale était d’utiliser cet évènement sportif pour organiser un grand rassemblement des autochtones de Guyane à l’image de celui organisé en 1984 par l’Association des Amérindiens de Guyane française.
En 2004 un premier rendez-vous est proposé par la municipalité de Awala-Yalimapo. Cette préfiguration de ce que nous connaissons aujourd’hui réunissait à Awala une dizaine d’équipes, toutes amérindiennes. La compétition n’était pas à l’ordre du jour « on était là pour rire et être ensemble ».

Un succès populaire

Après l’édition test de 2004, la première édition ouverte se déroule en 2005. Les grandes lignes des Jeux Kali’na sont déjà présentes : des équipes mixtes comprenant 4 femmes, 4 hommes et 2 coachs, 9 épreuves sportives réalisées sur deux jours et des animations culturelles. Les épreuves se rapprochent le plus possible des gestes qui rythmaient le quotidien des villages amérindiens par le passé : course à pied, grimper de cocotier, jeu du diable, course de pirogue, tir à l’arc, glisse sur vase, montée de pirogue, tir à la corde, course de charge en relais…

Lors des premières éditions, les Jeux Kali’na restent un évènement local, la plupart des équipes venant de Awala-Yalimapo ou de Mana. Aujourd’hui, ce sont 40 équipes venues de toute la Guyane, du Suriname, mais parfois aussi de Martinique, du Canada ou du Brésil, qui s’affrontent sur la plage de Yalimapo.
Pour assister à ce spectacle sportif et culturel, le public est de plus en plus nombreux. Plus de 3000 personnes se retrouvent sur la plage de Yalimapo pendant trois jours. Au point que lors du week-end des Jeux, les hébergements de Mana et de Awala-Yalimapo sont pris d’assaut. La seule solution pour nombre d’équipes et de spectateurs est souvent de s’organiser pour dormir chez l’habitant.
En 2014, le succès populaire des Jeux Kali’na prend une autre dimension : pour la première fois, l’évènement est retransmis en direct à la télévision. Depuis cette date, télévisions et radios couvrent chaque année les épreuves et les animations culturelles.
Mais les Jeux Kali’na ne se limitent pas à ce long week-end sportif et culturel. Très vite Éveline Périgny arbitre en chef des Jeux a souhaité que cet évènement s’ouvre à la jeunesse. « Nous avons commencé par organiser des Jeux Kali’na à l’école de Awala-Yalimapo. Au fur et à mesure, nous avons intégré d’autres écoles de Guyane. Aujourd’hui, le jeudi est réservé aux Jeux Kali’na Junior et le vendredi à ceux des lycéens. Les élèves viennent de Cayenne, de Kourou ou de Saint-Laurent. Depuis quelques années, ces évènements se déroulent sur la plage de Yalimapo, comme pour les adultes ».

Se surpasser

Une autre évolution des Jeux Kali’na depuis leur création est l’élévation permanente du niveau des athlètes. Comme le dit Laurent de l’équipe Alawata : « c’est un vrai rendez-vous sportif, avant on y allait tranquille, mais maintenant il faut s’entraîner pour faire partie des dix premiers. Avec quatre gars solides et quatre filles sportives, ça allait, maintenant il faut quatre filles hors du commun ! ». En effet, si à l’origine ce rassemblement est avant tout ludique, les athlètes se sont pris au jeu. Et si toutes les équipes ne visent pas le podium, beaucoup espèrent bien « caresser les moustaches du jaguar », le trophée du vainqueur, un banc traditionnel (mule) en forme de jaguar.

Aussi de nombreux athlètes s’entraînent très sérieusement et la constitution des équipes relève parfois d’une véritable stratégie. Des coureurs à pied, parmi les meilleurs de Guyane, sont au départ de la course de dix kilomètres. Les vainqueurs des compétitions de pirogues qui ont lieu dans l’année aux quatre coins du territoire sont également présents.
Certaines équipes ont leur spécialité, comme Siliko au tir à la corde, Meku Makon à la remontée de pirogue, Asutanon Upinamon à la course de pirogue… D’autres, particulièrement complètes, jouent plus le classement général. C’est notamment le cas des équipes originaires du village de Ayawande sur la crique Coswine. Équipe la plus titré des Jeux avec quatre victoires, Ayawande, est rarement absente du podium. Mais ce petit village d’une dizaine d’habitants est aussi représenté par Moyowai ou Yakalawa, deux autres équipes qui terminent souvent aux premières places. Pour Ron Kajiralé, de l’équipe Ayawande ce n’est pas une surprise : « les familles originaires de la crique Coswine nous pratiquons encore la plupart des activités traditionnelles. Toutes ces épreuves, c’est ce que l’on fait chaque jour. On a ça dans le sang. Maintenant, ça devient un sport. Pourquoi pas. Et comme tout le monde a envie de participer, on a été obligé de faire plusieurs équipes ».
Si le niveau des athlètes fait le bonheur des spectateurs, certains regrettent les mauvais côtés de cette importance croissante accordée à la compétition. Ils souhaitent que les Jeux soient un grand rassemblement sportif, mais qu’ils restent surtout festifs et conviviaux, ainsi qu’une vitrine des savoirs amérindiens. Depuis quelques années, aux épreuves sportives est venu s’ajouter un quiz sur les cultures amérindiennes qui compte pour le classement général.
La compétition permet toutefois aux athlètes de se surpasser. L’équipe Anuwana qui regroupe des athlètes de Mana et de Awala-Yalimapo l’illustre bien. Habituée des podiums, une partie des membres de l’équipe historique a décidé de passer la main à des jeunes du territoire. Si les premières années ont été difficiles, à force de travail la nouvelle génération font aujourd’hui la fierté de leurs aînés. Les résultats attendus ne sont pas uniquement sportifs, ce compagnonnage est également un moyen de transmettre les valeurs et les savoirs kali’na. Ainsi que le dit Sylviane Kilinan, l’une des membres historiques de cette équipe « les jeunes, il faut leur apprendre ce qu’est d’être un Kali’na ! ».
Comme le résume Laurent de l’équipe Alawata : « il y a cette confrontation en face à face qui est devenue amicale au fil du temps, mais qui est très intense. De plus la participation du public est super importante. C’est devenu une compétition avec des gens qu’on connaît et si par hasard on gagne, alors on sera les champions du monde ! ».

La plus belle victoire

À l’origine, l’objectif des Jeux Kali’na était de permettre un rassemblement annuel des différentes nations amérindiennes de Guyane, afin de favoriser les échanges. La présence d’équipes de Camopi, de Trois-Saut ou du Haut-Maroni lors des dernières éditions souligne que cet objectif est atteint. Il a même été largement dépassé.

En effet, dans une Guyane souffrant parfois de communautarisme, les Jeux Kali’na rassemblent aujourd’hui toutes les composantes de la société guyanaise : Amérindiens, Créoles, Noirs marrons, métropolitains, Brésiliens, Surinamais… Et si l’objet de ce rassemblement est une compétition au cours de laquelle ces athlètes s’affrontent physiquement, elle produit au final du respect, de l’amitié et une belle joie collective.
Il suffit d’assister aux retrouvailles des différentes équipes, le vendredi soir lors de la cérémonie d’ouverture pour comprendre qu’au fil des années ces équipes sont devenues une grande famille. Au point que certains athlètes, qui ont quitté la région, reviennent chaque année à Yalimapo pour participer à l’évènement. Pour traverser, épuisés par deux jours d’effort, la haie d’honneur formée par tous les autres participants avant d’arriver sur le podium lors de la cérémonie de clôture.
Si les Jeux Kali’na devaient être le rendez-vous annuel des Amérindiens de Guyane, c’est finalement les Guyanais dans toute leur diversité qui se retrouvent chaque année à Yalimapo. Dans un contexte de confrontation sportive, ils apprennent à se connaître, à se respecter et prennent plaisir à vivre ensemble, le temps d’un week-end. Et c’est sans doute la plus belle victoire des Jeux Kali’na.

Texte Françoise Armanville & Johan Chevalier
Photos Johan Chevalier

Nos chaleureux remerciements à la municipalité de Awala-Yalimapo, à Michel Thérèse et Daniel William ainsi qu’à toute la population qui nous accueille chaque année. Joyeux grognements de baboune à toutes les équipes et à la famille Alawata pour tous les moments partagés.