En Guyane, une dynamique est à l’œuvre visant à réaffirmer le potentiel culturel, économique et environnemental de l’açaí, un petit fruit de palmier comestible. Des projets familiaux, artisanaux et semi-industriels tentent de mieux approvisionner le marché local notamment urbain et visent l’exportation.

 Les baies, fruits et graines de la forêt amazonienne sont à la mode. Il y a vingt ans, les firmes pharmaceutiques et cosmétiques du monde entier ont jeté leur dévolu sur l’une d’entre elles, l’açaí (Euterpe oleracea ), un petit fruit de palmier, rond et d’un violet profond. Des salles de sport aux rayons de beauté des magasins l’açaí est depuis présenté en Europe, en Amérique du Nord et au Japon comme un « super aliment » aux propriétés énergétiques et antioxydantes, un allié pour la perte de poids et contre le vieillissement cellulaire notamment grâce à la présence d’anthocyanes, antioxydants de premier choix. L’açaí pousse en grappes généreuses dans la coiffe d’un palmier gracile (Euterpe oleracea) qui pousse naturellement dans les forêts humides du Brésil, de Guyane et du Suriname. Il est un mets de choix pour les toucans et toucanets et est aussi fortement apprécié par les populations humaines, qui le consomment sous forme d’un jus épais à la consistance crémeuse accompagné de sucre et de farine de manioc torréfiée.

Actuellement une dynamique de fond est à l’œuvre en Guyane visant à réaffirmer le potentiel culturel, économique et environnemental de ce petit fruit de palmier. Des projets familiaux, artisanaux et semi-industriels tentent de mieux approvisionner le marché local notamment urbain et visent l’exportation.
C’est le cas de l’usine Yana wassai, implantée à Montsinéry-Tonnegrande, petite commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de Cayenne. Dans cette usine de 2 000 m² inaugurée en septembre 2022, l’objectif est de transformer 200 tonnes d’açaí (aussi appelé « wassay ou wassai ») par an en pulpe congelée et en poudre déshydratée labellisées bio et commerce équitable.
« L’idée de construire une usine remonte à environ neuf ans, raconte le président de la société, Dave Drelin, ancien gendarme et fils d’exploitant agricole. Lors de mes différents voyages au Brésil, je voyais comment la culture du wassay se développait et j’ai eu l’idée de développer quelque chose ici en Guyane. »
La famille Drelin, soutenue par des fonds publics, s’est donc lancée dans la construction de l’usine de transformation et dans la mise en exploitation conséquente de 200 hectares de terres aussi sur terrains humides que plus secs. Neuf millions d’euros ont été investis (1/3 de subventions publiques). Yana wassai lorgne aujourd’hui sur les marchés européens, notamment le secteur cosmétique qui achète à prix d’or la poudre d’açaí. Voilà pourquoi 90 % de la production de l’usine est consacrée à l’exportation. « Les commandes commencent à arriver, affirme Dave Drelin, en premier lieu celles de laboratoires européens. » Mais pour la petite usine, il faut désormais réussir à concurrencer le géant brésilien confortablement installé sur les marchés internationaux.

Ne pas reproduire les désastres du Brésil

Car depuis les années 2000, quelques firmes du Nord Brésil se sont lancées dans une exploitation du palmier à échelle industrielle pour alimenter le marché amazonien brésilien, le reste du pays ainsi que les marchés internationaux. Entre 2003 et 2013 par exemple, la production a ainsi triplé en volume et sa valeur a quintuplé.
C’est donc sur le terrain des labels et de la « qualité » que Dave Drelin compte faire la différence : « Nous respectons un schéma de responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) relativement ambitieux avec une politique zéro déchet, l’emploi de personnes en réinsertion, des locaux sous maîtrise de l’énergie et des engagements environnementaux. Notre cheval de bataille c’est non à la monoculture ». Car dans le Nord Brésil, la fièvre du wassay a des conséquences sociales et environnementales dévastatrices. À l’image de l’huile de palme, les forêts sont coupées et les zones humides saccagées par les industriels qui plantent à perte de vue de l’açaí dopé aux engrais et pesticides. Pourtant, pour fournir deux récoltes par an, la plante avait initialement besoin de pousser à l’orée et à l’ombre des arbres dans des zones inondables d’eau douce et saumâtre.
« En Guyane, on n’est pas sur la même échelle que le Brésil, souligne Hugues Bergère, éleveur et président de la coopérative Bio-Savanes. Pour l’usine Yana wassai on a besoin de moins de 1 000 hectares [de plantations], ce qui veut dire 200 agriculteurs disséminés à travers le territoire. Je pense que la mise en place de cette filière de production aura très peu d’impact négatif en termes de défriche. Le wassay est intéressant, car il est peu dépendant des [engrais, pesticides] et assez rustique. On a un cahier des charges précis et on conseille aux agriculteurs de ne pas faire de trop grandes cultures ni de monoculture. Moi, je souhaite que les plantations soient privilégiées sur des terrains à réhabiliter, notamment sur des prairies créées ces vingt dernières années. » La coopérative Bio-Savanes est partie prenante du projet Yana wassai puisqu’elle accompagne les agriculteurs et agricultrices et participe au plan d’approvisionnement de l’usine
Hugues Bergère en est convaincu, la filière de production et de transformation de l’açaí « a de l’avenir. On peut mettre en place une filière stable avec un niveau de technicité simple et ça c’est très structurant pour le territoire ».

Dans l’Ouest guyanais, une dynamique familiale et artisanale

Plus à l’Ouest, dans la commune de Mana, un autre programme est en cours et porté par le pôle agroalimentaire de l’Ouest guyanais. Cette fois, c’est l’approvisionnement du marché local qui est recherché plutôt que l’exportation avec comme ligne directrice le soutien et l’encouragement de la transformation artisanale et familiale du wassay. « On accompagne des personnes qui vivent à Mana et à Saint-Laurent du Maroni, explique Steeve Félicité-Zulma, responsable de l’atelier d’agrotransformation pour les produits végétaux. Notre but est d’accompagner les initiatives. On essaye d’apporter les outils techniques qui font appel à des règles d’hygiène et sécurité pour que les agrotransformateurs soient dans les normes et qu’ils reçoivent une formation de base. » Car le petit fruit violet est un produit fragile, facilement périssable et qui demande souvent d’être cueilli à plusieurs mètres de hauteur dans la cime des palmiers de forêt.
À ce jour, une « trentaine d’agrotransformateurs » sont accompagnés par le pôle de Mana et « une centaine » de personnes ont reçu une formation. Des machines comme des dépulpeuses sont aussi mises à disposition au pôle pour qui le souhaite. Le public est varié : il peut s’agir « d’agriculteur·rices qui cherchent de nouveaux débouchés, de personnes déjà en activité et qui transforment le wassay de façon artisanale et familiale ou de personnes qui souhaitent en tirer une activité complémentaire ». La dynamique est exaltante. « Quand j’étais petit, tout le monde consommait du wassay mais personne n’imaginait qu’on pourrait le planter, raconte Steeve Félicité-Zulma, on allait le chercher dans la forêt et aujourd’hui on est face à un marché en pleine expansion, absolument pas saturé avec des débouchés économiques encore à développer. »
Dans le même temps et depuis 2019, le Cirad a porté avec sept partenaires de recherche et d’enseignement supérieur du Suriname, du Brésil, et de Guyane un projet transnational de partage de connaissances sur l’açaí et la filière en circuits courts et industriels. Le projet « Açaí ’ action » repose sur la valorisation des ressources d’Amazonie par les familles rurales, qui ont un rôle important à jouer dans la préservation de la biodiversité et dans les dynamiques de développement local. Nathalie Cialdella, agronome et chercheuse du Cirad est à l’origine du programme. « On accompagne un mouvement en cours : l’açaí est un produit d’autoconsommation ou d’alimentation de base qui rassemble des savoirs empiriques et académiques et qui fait l’objet d’énormément d’attente. Les gens, localement et surtout en ville, sont désireux d’en manger. » Le programme a consisté pendant trois années à organiser au Brésil et en Guyane des voyages d’études, des ateliers de formation dans des maisons familiales rurales et d’échanges de connaissances à l’attention d’une centaine de personnes, universitaires, chercheur·ses et stagiaires ayant déjà une activité professionnelle (formelle ou non) en relation avec l’açaí. « Le projet a permis de donner une visibilité à une activité artisanale significative sur le territoire guyanais en particulier, note Nathalie Cialdella. En Guyane on parle souvent de développement endogène. Cette activité y participe vraiment que ce soit en filière semi-industrielle ou artisanale. Pour l’instant, il y a de l’espace pour le développement de ces deux types de filières, qui peuvent se stimuler mutuellement. »

Texte Marion Briswalter – Photo P-O Jay

Le projet « Açaí’action »
Proposé au programme de coopération interrégionale Amazonie (2019-2022), Açaí’action tente de rapprocher les connaissances empiriques accumulées par les populations avec les connaissances scientifiques. Démarré en 2019, le programme est porté par le Cirad avec la participation de huit institutions d’enseignement et de recherche françaises, brésiliennes et surinamaises. L’idée étant de co-construire des connaissances et d’organiser des échanges entre ces trois pays fortement consommateurs des fruits de palmiers et qui partagent de nombreux défis, en particulier la préservation de la biodiversité exceptionnelle des forêts tropicales humides et la reconnaissance et l’inclusion sociale et économique des populations rurales.
L’idée du projet est aussi de permettre aux participant·es d’approfondir leurs connaissances
sur l’ensemble des étapes de transformation et de commercialisation, pour les filières artisanale et industrielle qui coexistent au Brésil. Les échanges ont aussi permis de mettre en valeur une unité dans l’espace de coopération autour de pratiques de production et d’alimentation communes.