Née en République dominicaine, diplômée d’État et travaillant comme infirmière dans un hôpital de Saint-Domingue, Anne Dimanche Saintil, 27 ans, a été congédiée du jour au lendemain en raison de ses origines haïtiennes. Privée d’acte de naissance – sa mère a accouché au domicile familial – elle redoute d’être expulsée en Haïti, pays où elle n’a jamais mis les pieds.

Selon les estimations, de 50 000 à 110 000 « citoyens » comme Anne Dimanche – originaires d’Haïti pour la quasi-totalité d’entre eux – se retrouvent sans statut juridique après que le gouvernement a retiré, sur décision de la Cour suprême fin 2013, la citoyenneté aux enfants nés de parents sans papiers sur le sol dominicain. Ils sont devenus des étrangers dans leur propre pays, empêchés d’obtenir des copies certifiées conformes de leur acte de naissance ou tout autre documentation nécessaire pour se marier, inscrire leurs enfants à l’école, ou occuper un emploi formel. Et des étudiants, infirmières, médecins, avocats ou encore sportifs de haut niveau ont dû renoncer à se rendre aux États-Unis faute de passeport.

« Les mesures prises par la République dominicaine contre les immigrants haïtiens et les Dominicains d’origine haïtienne sont ignobles en termes de discrimination et de violation des droits fondamentaux de la personne », déclare Carlos Ponce, responsable de l’Amérique latine à Freedom House, une organisation basée à Washington qui défend les droits civils et politiques.
De son côté, par ces décisions le gouvernement dominicain affirme apporter une solution humaine à l’immigration clandestine en provenance d’Haïti. La République dominicaine est un « pays sans exclusion, sans discrimination, mais aussi un pays rigoureusement organisé et dans lequel la loi doit être respectée », a déclaré le président Medina au cours de son allocution du 27 février marquant l’anniversaire de l’indépendance du pays en 1844. Ce dernier peut compter sur le soutien de ses administrés : dans un sondage réalisé à la mi-octobre, il recueille 91% de popularité.

Les migrants haïtiens travaillent essentiellement dans la construction et l’agriculture, et participent à la croissance de l’économie locale qui a atteint 7,1% l’an dernier. Selon Fermin Acosta, président de l’association dominicaine des constructeurs et promoteurs, la mise en œuvre des expulsions, programmée à partir du 15 juin, conduirait à une paralysie de l’économie, car près de « 270 000 Haïtiens sans papiers travaillent dans la construction ».

Les déportations ont débuté
Face aux critiques, le gouvernement dominicain a mis en place un processus de régularisation qui a permis de répertorier quelque 24 000 citoyens anciennement détenteurs de carte d’identité nationale et 8 755 personnes jamais inscrites à l’état civil. Cependant, les associations de défense des droits de l’homme ont qualifié le processus d’ « échec » et dénoncent les déportations systématiques. Ainsi en janvier, 51 personnes d’un bus ont été expulsées alors qu’elles se rendaient à l’administration et s’apprêtaient à régulariser leur situation. Les soldats dominicains armés sont montés à bord, les passagers dont plusieurs enfants ont été arrêtés et conduits jusqu’à la frontière haïtienne où ils ont été relâchés.
Un grand nombre de personnes touchées par cette mesure sont probablement éligibles à la citoyenneté haïtienne, car Haïti reconnaît le droit du sang. Mais, Haïti n’est pas préparé à absorber tous ces rapatriés. Dévasté par un tremblement de terre en 2010, le pays a le plus faible revenu par habitant des Amériques, soit 852 USD, contre 5894 USD en République dominicaine.
Quant à Anne Dimanche, son avenir est incertain : elle est régulièrement harcelée par la police, qui lui demande sa carte d’identité nationale, mais aussi par des Dominicains « de souche », qui la traitent d’ « Ha-ï-tienne » et de « négresse ». Elle craint aussi pour ses deux jeunes frères et sœurs, étudiants inscrits à l’université en médecine et dentaire. « Ils pourraient obtenir leur diplôme, dit-elle, mais ils ne savent pas ce qui va se passer. »

Extraits de l’article « Dominican nurse fired for having Haitian parents » du Daily Herald (25/03/15)

Photos : portraits haïtiens anonymes par P-O Jay – Atelier Aymara ( en haut : Grosse Caye près d’Aquin / en bas : Port-au-Prince )

 

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